Alfons Mucha, L’art pour embellir et améliorer le monde
« La sagesse sait que son voyage est l’unique qui conduit au bien et au bonheur de l’humanité. Dans ce voyage, […] la sagesse éclaire son propre chemin, et avec sa lumière guide l’homme errant » Alphonse Mucha
Actuellement se tient à Madrid, dans le Palais de Gaviria une très riche rétrospective de l’œuvre d’Alfons Mucha (1860-1938) (1), épris d’humanisme, reconnu pour avoir été un des fondateurs de l’Art Nouveau, avec la volonté d’améliorer le monde par la beauté de l’art, le rendant accessible au plus grand nombre.
« Mucha croyait à la valeur universelle de l’art et considérait que l’artiste devait inspirer les gens et contribuer à travers son œuvre au progrès de la société. » (2)
Artiste prolifique, il a laissé sa trace dans divers domaines de l’art : affiches, bijoux, décorations d’intérieur, scénographies théâtrales, peintures, sculptures et photographies.
D’origine tchèque, il est étroitement lié à la France de la Belle Époque (3), devenant un des protagonistes principaux de l’Art Nouveau, mouvement qui s’étendra sur toute l’Europe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
Connu dans son pays comme « le grand Tchèque », il dessina les premiers timbres et billets de la Tchécoslovaquie et réalisa l’Épopée Slave, monumentale œuvre picturale consacrée à l’histoire de son peuple. Il fut également membre remarqué de la franc-maçonnerie et après la Première Guerre Mondiale œuvra toujours en faveur de la paix et du progrès spirituel de l’humanité.
« L’Art Nouveau » et le style Mucha
Pour Mucha, l’art ne peut jamais être nouveau. Il voulait indiquer que dans sa vision du rôle de l’art, il ne pouvait se limiter à de simples modes ou des « ismes ». Paradoxalement, il fut au centre d’un mouvement artistique qui sut créer et orienter les modes de son temps.
Après s’être formé à l’Académie de Beaux Arts de Munich où il apprit le dessin académique de la figure humaine et développa son gout pour la peinture historique, il arriva à Paris en 1887 où il se forma à l’Académie Julian sous la tutelle de Jules-Joseph Lefebvre et de Jean-Paul Laurens. Le premier lui inspira les figures solitaires des femmes idéalisées et le deuxième les tableaux à thématique historique. Il entra en relation avec un cercle de jeunes artistes français, en particulier Paul Sérusier et le groupe des Nabis. Par la suite, il rencontrera et aidera Paul Gauguin à monter une exposition avec ses tableaux de Tahiti ; les premières projections des Frères Lumière se feront chez lui et il animera un cercle de jeunes artistes slaves qui étaient nombreux à Paris, donnant naissance à l’expression de la bohème.
Le nom d’Art Nouveau dérive d’une galerie d’art, la Maison de l’Art Nouveau, créée à Paris en 1895 par un marchand d’art allemand Siegfried Bing. L’objectif de cet art était de se libérer des carcans rigides du passé en préparant l’avènement du modernisme. Il englobait la peinture, la sculpture, l’architecture et les arts graphiques et décoratives et depuis 1900 il se répandit à travers toute l’Europe, en faisant vivre des styles enracinés dans les traditions locales mais où l’on sentait un souffle de vie exprimé par l’abondance des courbes et d’éléments végétaux. Mucha sera un de ses meilleurs représentants, il disait simplement qu’il l’avait fait « à sa manière », ce qui donnera le style Mucha.
L’actrice Sarah Bernhardt sollicite Mucha pour la réalisation d’une affiche publicitaire de Gismonda, pièce qu’elle devait jouer au Théâtre de la Renaissance. Le 1 janvier 1885, Paris se réveille avec ses murs inondés de l’affiche représentant l’actrice, telle une merveilleuse icône byzantine. Ce fut un grand succès pour les deux et pendant six ans, Mucha signa un contrat pour faire toutes les affiches des œuvres de la grande comédienne.
Pendant ses années parisiennes, Mucha et un grand succès avec ses illustrations et, dans son souci de rendre l’art le plus accessible, il créa des « posters » d’art en collaboration avec des imprimeurs de qualité. L’originalité de son œuvre, les progrès technologiques et la slavophilie de l’époque en firent une figure centrale de son temps. Mucha écrit : « le public percevait qu’il manquait quelque chose… il avait besoin de respirer de l’air frais, trouver la paix et l’équilibre. Les anciennes harmonies avaient perdu leur signification, comme si elles étaient creuses… les gens étaient heureux de rassasier leur soif de beauté dans une nouvelle source. L’élément slave avec son tonifiant caractère nouveau, était ce qu’ils cherchaient ». (4)
La quête spirituelle de Mucha
Mais ce succès de façade ne suffisait pas à Mucha qui aspirait à transmettre un message plus profond. « Je n’avais pas trouvé une satisfaction profonde dans ce type de travail (l’art décoratif). Je sentais que mon destin était autre, que j’étais appelé à faire quelque chose de plus grand. Je regardais autour de moi cherchant la manière de diffuser une lumière capable d’atteindre les recoins les plus cachés. » (5)
Cette quête spirituelle le conduit à la franc-maçonnerie. Il intègre comme apprenti la loge parisienne du Grand Orient de France en 1898. Il avait déjà une quête spirituelle, s’intéressant aux différents courants mystiques de l’époque, comme la théosophie et aux recherches sur l’au-delà et l’inconscient dont il échangeait avec des amis comme l’écrivain suédois August Strindberg ou le parapsychologue français Albert de Rochas.
À cette époque, le grand combat de la franc-maçonnerie consistait à préserver les acquis de la Révolution française : liberté, fraternité, égalité et à combattre pour la loi de la séparation de l’Église et de l’État.
Mais, en Mucha coexistaient deux tendances apparemment antinomiques, d’une part le libéralisme maçon et de l’autre, l’exclusivisme nationaliste, car il voulut toujours défendre sa patrie, œuvrant pour l’indépendance de la Tchécoslovaquie.
De cette particulière alchimie, l’artiste avait extrait ses principes philosophiques et sa vision humaniste universelle qui transcendait les frontières d’un nationalisme conventionnel.
Très touché par les guerres, il souhaitait conduire l’humanité vers un chemin de paix et de fraternité universelle.
Trois grands ensembles résument ce grand dessein de sa vie que nous aborderons dans un prochain article : Le Pater ; l’Épopée slave et le triptyque inachevé : L’Âge de la raison, l’Âge de l’amour, l’Âge de la Sagesse.
(1) Alfons Mucha, Exposition au Palacio de Gaviria (Calle Arenal 9, 28013 Madrid), jusqu’au 25 février 2018 – www.muchamadrid.com
(2) Alfons Mucha, Tomoko Sato, Editions Arthemisia Books, 2017, en espagnol
(3) Période entre la fin du XIXe siècle et le début de la Première Guerre mondiale en 1914 marquée par des progrès sociaux, économiques, technologiques et politiques
(4) Opus cité, page 20
(5) Opus cité, page 20
par Laura WINCKLER
Illustrations
Auto-portrait d’Alfons Mucha
Zodiaque
Gismonde
Allégorie des saisons