Bertrand Du Guesclin, connétable de France, preux parmi les preux
L’histoire regorge de héros qui ont su, par leur courage et leur bravoure, reconquérir la terre de France aux mains des ennemis. Bertrand Du Guesclin est l’un de ceux-là.
« Par tous les saints de Bretagne, que mon fils est laid ! Mais c’est un monstre ! »
Par un jour gris de Bretagne de 1320, dans la grande salle du château de la Motte-Broons, Jeanne de Malemains vient de mettre au monde un premier enfant mâle, Bertrand, Robert Du Guesclin. « Dame Jeanne, je vous jure sur Dieu que ce garçon passera en gloire tous ses ancêtres bretons. Il sera comblé d’honneurs et on parlera de lui jusqu’à Jérusalem ! » lui dit la religieuse venue aider à la naissance.
Mais avant de connaître la gloire, Bertrand Du Guesclin, fils du seigneur de Broons et de Sens, est livré à l’éducation fruste et brutale des serviteurs du domaine. À lui le bas bout de la table et les restes des repas de ses frères et sœurs. L’enfant hideux et contrefait subit coups et cruelles moqueries sans qu’on puisse jamais lui arracher une plainte. Et il rend coup pour coup avec une telle détermination et une telle froideur qu’il effraie son entourage.
Son passe-temps : recruter des troupes d’enfants de son âge auxquels il apprend l’art du combat ! On l’enferme durant des mois dans une tour du château de la Motte-Broons, il s’en échappe. On l’enferme de nouveau, le voilà bientôt parti pour Rennes rejoindre son oncle !
Nous sommes en 1337, Bertrand a dix-sept ans. La ville de Rennes est en émoi. Un grand tournoi se prépare. Bertrand se fraye un chemin à travers la foule. Une idée folle vient de germer dans son esprit. Sous les clameurs de l’assemblée, un chevalier inconnu mais étonnant d’énergie et de ruse sort vainqueur de quinze joutes successives. Le tournoi s’achève, le chevalier relève la visière de son masque : c’est Bertrand Du Guesclin !
Du Guesclin sous la bannière de la France
La guerre de Cent Ans éclate. La Bretagne natale de Bertrand est partagée en deux moitiés ennemies. L’une, la Bretagne celtique, se veut rattachée à l’Angleterre, l’autre veut appartenir à la terre de France. Pour Du Guesclin le choix est immédiat : il se battra pour la France sous la bannière du bon Duc Charles de Blois. La forêt de Brocéliande, qu’il connaît si bien, devient son quartier général.
Sa tactique au combat contre l’Anglais est la ruse. Les coups reçus dans son enfance ont trempé son âme et la forêt de Brocéliande, à l’effrayant prestige, est son école de guerre. Elle lui apprend l’embuscade, le piège, la patience, l’endurance. Il en vient à deviner les pires tours de l’ennemi avec une justesse qui tient de la magie.
Il vient d’en découdre avec un bataillon d’Anglais et galope à bride abattue jusqu’à Dinan où on l’attend pour célébrer son mariage. En effet, cet homme qui se sait laid a pourtant touché le cœur de Tiphaine Raguenel, belle et érudite, qui lit si bien dans les astres et dans le fond des âmes.
Un acte de bravoure insensée de la part de Du Guesclin, ou Du Claquin (les scribes écorcheront toujours ce nom bizarre) va définitivement lier son sort à celui du dauphin Charles, futur Charles V : 1358. Le dauphin devant Melun tente en vain un dernier assaut pour prendre la ville. Du Guesclin est au pied des remparts. Il empoigne tout à coup une échelle énorme, la dresse seul contre les murs, se couvre de sa targe (1) comme d’un toit et escalade les échelons devant les soldats stupéfaits.
Ce qu’il fait là est pure folie. Il se sait attendu au sommet des remparts par toute la garnison et les sarcasmes ne lui sont pas épargnés. Cependant, la terrible colère bretonne le possède et il ne sent pas le choc des pierres qu’on lance dans sa direction. Mais l’échelle casse. Du Guesclin tombe de quinze mètres. Qu’à cela ne tienne ! Quelque temps après, remis sur pied, il repart à l’assaut.
Un homme au service de ses soldats
Impressionné par une telle force de caractère, le dauphin Charles lui offre la capitainerie de Pontorson, région frontière entre la Bretagne et la Normandie. Aussitôt dans ses fonctions, Bertrand visite les postes français, les renforce, les coordonne. Son mot d’ordre : liaison. Pour cela, il organise minutieusement un réseau de renseignements et entend être immédiatement informé de tout pour se porter avec sa foudroyante promptitude là où on a besoin de lui et de ses chers « routiers ».
Le peuple ne l’appelle plus que le « bon Bertrand ». On admire surtout que les Bretons qui composent sa petite armée ne se paient jamais sur les pauvres paysans. C’est que Bertrand n’a qu’un désir : convertir le brigand en soldat loyal et courageux. Pour ses hommes, n’a-t-il pas été capable de galoper durant quatre-vingts lieues et de forcer la porte du futur Charles V pour exiger que leur solde soit payée sur le champ ?
La guerre interminable contre l’Anglais épuise la France et les seigneurs se rendent peu à peu aux Anglais. L’état du pays est préoccupant. Coup de théâtre ! On apprend qu’un capitaine breton que l’on connaît à peine vient de chasser les Anglais, de façon magistrale, de la ville de Rennes ! Il n’est autre que Bertrand Du Guesclin ! C’est alors que Charles de Blois le fait chevalier. « Servir Dieu, servir les dames, défendre les faibles, s’opposer à la trahison ». Tel est son engagement. Son cri de guerre, « Notre Dame Guesclin » et son étendard, un aigle à deux têtes.
Du Guesclin prisonnier
1367. Un moment de paix en France, mais l’on se bat en Espagne. Charles V envoie Du Guesclin avec ses fidèles « routiers ». À l’issue d’une bataille sanglante, Du Guesclin est fait prisonnier par le prince Noir, fils du roi d’Angleterre.
– « Chevalier, fixez-vous-même le montant de la rançon qui vous rendra à la France », lui propose le Prince Noir.
– « Sire, contre ma liberté, je vous donnerai cent mille florins ! »
La somme est si élevée que le Prince Noir est abasourdi. Bertrand sourit :
– « Je sais que toutes les fileuses de France fileront la laine et la vendront pour vous verser ma rançon ». En effet, le 17 janvier 1368, l’incroyable rançon est versée. Bertrand Du Guesclin est libre !
Du Guesclin connétable
La guerre contre l’Angleterre connaît des accalmies puis reprend plus violemment que jamais. Une fois encore, Charles V fait appel au valeureux chevalier breton. Mais, cette fois, pour le nommer connétable, chef de toutes les armées de France.
Du Guesclin, désormais porteur de l’épée d’or émaillée de fleurs de lys, entreprend, ville par ville, la reconquête de la France. À peine une année plus tard, il ne reste aux Anglais que quelques places sans importance stratégique.
Juillet 1380, Bertrand Du Guesclin a soixante ans. Il se trouve devant la ville de Châteauneuf-de-Randon, depuis plusieurs mois aux mains des Anglais. Cet homme, solide comme un roc, pour la première fois de sa vie, sent ses forces le trahir. Il est pris de fièvres violentes. Il baise son épée d’or. « Souvenez-vous, mes soldats, que vous n’avez faire qu’à ceux qui ont des armes au poing. Les gens d’Église, le pauvre peuple, les enfants ne sont pas vos ennemis ».
Le soleil est à son zénith. Bertrand a rendu l’âme. Le gouverneur de la ville assiégée, apprenant la nouvelle, se fait conduire sous la tente de Du Guesclin. Il s’incline pour une courte prière et dépose un trousseau de clefs sur la poitrine du connétable. Ce sont les clefs de la ville de Châteauneuf-de-Randon !
Bertrand Du Guesclin vient de gagner sa dernière bataille.