Colloque à Mumbaï, rendre possible un changement véritable, gouvernance pour un monde meilleur
Dans le cadre du 150e anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi qui sera célébré en octobre 2019, la revue Acropolis à voulu lui rendre hommage par une série d’articles.
Dans un premier article, la vie a de Gandhi a été évoquée. Dans un second article, il est question d’un colloque organisé en Inde en décembre 2018, qui a commencé une série d’évènements dans le monde, célébrant cet anniversaire.
Le 15 décembre 2018, l’association Nouvelle Acropole Inde a organisé un colloque à Mumbaï (1) sur le thème Rendre possible un changement véritable, Gouvernance pour un monde meilleur.
Différentes personnalités indiennes et étrangères ont partagé leurs expériences de changements positifs et leurs approches complémentaires dans les domaines de l’éducation, de l’économie du social, de l’écologie et de la philosophie, pour induire des changements durables.
Yaron Barzilay, directeur de Nouvelle Acropole en Inde du Nord a donné un message, au commencement du colloque : « Nous avons choisi d’orienter nos propos cette année sur le concept de gouvernance, clé d’un changement durable.En effet nous constatons que le progrès et la technologie n’ont pas fait régresser la faim et la misère, pas plus que l’avidité, faute d’une gouvernance réellement inspirée par l’éthique.
L’action durable, la bonne gouvernance s’appuient sur la quête de la vérité et de la sagesse.
L’action bonne implique déjà d’être bon ; le monde peut-il être meilleur sans aspiration individuelle consciente à devenir meilleur ? Cela rejoint la démarche d’ordre philosophique du » connais-toi toi-même » dont le postulat est qu’il faut apprendre à se conduire soi-même pour pouvoir conduire les autres et » devenir le changement qu’on aspire à voir dans le monde. » Or un monde sans orientation, dépourvu de sens, de finalités et de valeurs concrètes ne peut résoudre les crises mais au contraire va les amplifier et même les susciter. L’homme porte en lui le choix et la solution : l’éducation philosophique œuvre pour le renouveau de l’homme. D’où le choix, (à l’heure des contre-vérités et des fake news(2), de la surabondance d’informations indifférenciées où la frontière entre le réel et la fiction s’estompe, générant confusion et apathie), de placer ce colloque sous l’égide du Mahatma Gandhi, source d’inspiration et exemple de gouvernance philosophique, dont la vie a illustré sa quête inlassable de vérité et dont le 150eanniversaire de la naissance va être célébré en octobre prochain. » Seule la vérité va perdurer, tout le reste sera balayé par les flux du temps « .
Nos différents intervenants vont partager avec nous leurs expériences de changements positifs et leurs approches complémentaires dans les domaines de l’éducation, de l’économie du social, de l’écologie et de la philosophie pour induire des changements durables. »
Se transformer par l’éducation
Anu Aga et Sonam Wangchuk sont intervenus sur le thème de la transformation par l’éducation. Gandhi l’avait définie comme une approche globale d’amélioration de l’enfant et de l’homme (corps, âme et esprit) orientée sur la vie.
Anu Aga est une femme d’affaires et économiste qui a mis sa fortune au service du projet dont elle est l’instigatrice « Enseigner pour l’Inde » (TFI). Le double objet de ce projet est de dispenser une éducation de qualité aux enfants de milieux défavorisés et de développer le sens du leadership chez les jeunes.
La première chose que l’éducation doit enseigner c’est à accepter ses imperfections, base sans laquelle toute progression est impossible. Ensuite, elle fait le constat que l’essor des technologies et leur menace destructrice ne nous ont pas fait avancer dans la compréhension de nous-mêmes. La finalité de l’éducation est donc d’éveiller le cœur de l’être humain et de rendre le monde meilleur en développant le sens des valeurs comme le don sans calcul. L’éducation classique (lecture, écriture et arithmétique) strictement intellectuelle ne suffit pas et doit s’accompagner de l’ouverture à l’empathie et d’un savoir-faire concret. Le projet TFI s’est engagé sur 3 axes : équité dans l’éducation ; transformation personnelle par l’apprentissage de l’auto- gouvernance ; action collective en collaboration avec le monde environnant
La découverte du taux d’échec de 95% du système éducatif au Ladak (3) a fait abandonner à Sonam Wangchuk ses études d’ingénieur pour s’engager dans l’éducation. Les solutions mises en œuvre ont permis de réduire ce taux à 25%.
La première chose a été de changer les croyances selon lesquelles les livres étaient la seule référence valable. Or l’éducation doit être un processus d’éveil dans les trois plans : la tête, le cœur empathique et le savoir-faire concret. L’apprentissage a donc été orienté vers plus d’humanité et de souci de l’enfant, la découverte par l’immersion dans l’environnement et l’application. C’est ce souci de contextualiser l’éducation qui a abouti à la création de l’université alternative du Ladakh (HIAL) qui traite de problématiques locales dont l’écologie appliquée. Ainsi pour contrer les problèmes dus aux dérèglements climatiques comme les inondations et le manque d’eau périodiques, les étudiants ont mis en place une application intelligente de la géométrie avec le projet des stupas de glace (4) pour en ralentir la fonte.
Les deux intervenants ont conclu sur l’importance d’un enseignement prodigué dans la langue maternelle tel que le préconisait Gandhi pour construire la confiance et la conviction chez l’enfant, gage d’un futur meilleur.
Pour une économie responsable
Ronnie Screwvala et Chetna Sinha Gala ont des approches différentes de l’économie responsable.
Ronnie Screwvala est un homme d’affaires à la réussite notoire qui a vendu son vaste groupe de communication et de divertissement pour créer la fondation Swadesen 2013 dont l’objet est de rendre possible l’éradication de la pauvreté dans le monde rural. La clé de son succès s’appuie sur l’idée que tout commerce doit générer du profit. Le profit n’est pas un mot tabou. Ainsi, le social business(entreprises sociales et solidaires) ne peut pas être non lucratif. Pouvoir générer des bénéfices est essentiel si l’on veut attirer les gens, créer une organisation efficace et produire un impact. Swadess investit auprès de 500 000 personnes dans 2000 villages dans les domaines de l’hygiène, de l’apport d’eau potable, de la santé et de l’éducation. Il a créé Upgrade le plus vaste site éducatif en ligne en Inde qui illustre bien comment on peut redonner du pouvoir aux gens en augmentant leurs opportunités de travail.
De son côté, en 1997, Chetna Sinha Gala a fondé un organisme de microcrédit qui comptait 1335 clients en 2016, pour favoriser l’autonomie économique des femmes dans les zones rurales : elle a aidé 310 000 femmes et 84 000 emprunteurs. Au départ sa demande d’ouverture d’une banque avait été rejetée au motif que la majorité des femmes concernées étaient illettrées. Sans se décourager, elle s’est présentée avec 15 autres femmes affirmant que « si elles ne savaient pas lire, elles savaient compter ; qu’on leur fasse calculer le taux d’intérêt d’une somme importante ; et qu’on demande aux employés de la banque de faire la même chose sans calculatrice et l’on verra qui est le plus rapide ». Cela a fonctionné. En tant que militante dans le domaine social, Chetna Sinha Gala se dédie à transmettre des compétences d’entreprenariat aux femmes des zones rurales touchées par la sécheresse et à leur permettre d’acquérir des terres et des moyens de productions. La clé de sa réussite a été de considérer que les pauvres avaient les moyens de penser, de trouver des solutions et qu’il fallait leur donner le contrôle de leur argent. Ils pourraient alors assurer un projet durable, créer des richesses et contrôler leurs vies en recouvrant leur propre pouvoir d’agir.
Vers un nouveau modèle de société
Saamdu Chetri et Tridip Suhrud sont intervenus en proposant des nouveaux modèles de société.
Inspiré par Gandhi, qui dans son livre Hind Swaraj (5) a dénoncé le malaise de la civilisation moderne, le Dr saamdu Chetri a voulu répondre à l’obsession matérialiste de la croissance (le P.N.B. comme unique étalon du développement de l’humanité), par le concept du B.N.B. ou bonheur national brut, mis en œuvre au Bhoutan (6). En effet contrairement au P.N.B. qui peut croître en détruisant la planète, le B.N.B. repose fondamentalement sur l’idée d’entraide et de vie en harmonie avec la nature et dans l’ancrage culturel du pays.
L’Organisation des Nations Unies (O.N.U.) a appuyé financièrement le développement de mesures pour la mise en œuvre du B.N.B qui se résume à 9 critères d’appréciation : bonne gouvernance ou auto-gouvernance, gestion du temps, bien-être psychologique, dynamique collective, résilience et diversité culturelles, niveau de vie, santé, éducation, conscience écologique, dans une approche holistique, équitable et durable.
On apprend aux enfants à se satisfaire de ce qu’ils ont. Et l’accent est mis sur les liens familiaux, sociaux, la compassion, le respect de la nature, et sur l’apprentissage des valeurs dans l’éducation pour contrer l’avidité du monde environnant. Les 4 piliers qui sous-tendent ces valeurs sont la capacité relationnelle, l’intégrité, la compassion et le sens de l’humain. L’amour et le sens du partage sont les racines de la confiance. La seule compétition qui vaille est avec soi-même : intentions justes, acceptation et lâcher prise, expression de la gratitude, valorisation de ses progrès, intériorité sont les pratiques préconisées pour être heureux.
Tripid Suhrud développe l’idée d’auto-gouvernance dans deux directions : savoir se diriger soi-même et se conformer aux règles. Les deux requièrent l’autolimitation pour que puisse émerger la notion de citoyenneté. La société sera plus juste si chacun acquiert la capacité d’agir dans la recherche de la vérité, sans crainte. Dans un monde tourmenté, où sévissent la violence, la pauvreté, l’intolérance et l’auto-satisfaction de nos dirigeants, nous avons besoin d’instructeurs, de chefs de la trempe de Gandhi qui soient capables de reconnaître leurs erreurs, de mener le combat intérieur et de s’améliorer à partir de là. Et la nouvelle génération doit apprendre à faire son devoir avant de revendiquer des droits. Nous sommes redevables envers la nature, notre futur et les autres êtres humains.
Se reconnecter à la nature
Vandana Shiva, écologiste altermondialiste a commencé son parcours de militante avec une thèse sur la théorie des quanta par rejet de la vision mécaniciste du monde ; puis avec le mouvement des Chipko (enlacer les arbres pour les sauver) reliant ainsi sa culture scientifique et son engagement écologique. Le concept de Vasudhaiva Kutumbakam (la Famille de la Terre) repose sur l’idée d’interconnexion qui exclut toute idée l’anthropocentrisme et prône l’amour de la Terre dont nous devons prendre soin. La vie est diversité et le réductionnisme, que ce soit la monoculture, la junk food (7) ou la mode standardisée est cause de 75% des maladies et de la misère des producteurs qui ne perçoivent que 1% de la vente de leurs produits. C’est l’appât du gain qui est la cause de la destruction écologique. Le P.N.B. ne mesure que les profits qui sont basés sur l’exploitation de l’homme et de la nature avec obligation de consommer. Il s’agit là d’une stratégie commerciale ou « technologie de guerre » qui a impulsé la révolution industrielle et a permis dans l’après-guerre de vendre les surplus de produits chimiques utilisés dans les camps d’extermination et encore lors d’attaques terroristes.
Toute vie individuelle doit tirer profit du fait de faire partie d’un système où toutes les parties sont reliées. Or on a rompu la chaîne du vivant en détruisant les insectes pollinisateurs comme les abeilles et en désertifiant les sols par l’usage de pesticides, réduisant la production alimentaire d’un tiers.
L’agriculture biologique n’est pas une technique mais une obligation de la famille humaine, un acte de gratitude envers la Terre : (agriculture signifie « soin de la terre ») C’est à mettre en relation avec le satyagraha (8) de Gandhi qui reconnaît l’existence de lois cosmiques dont celle de Gaïa (terre vivante et auto organisée) qui nous gouvernent tous et qui doivent être placées au-dessus de la législation humaine.
Si nous ne changeons pas de vision dans les dix ans à venir, nous allons vers un effondrement de nos systèmes qui supportent la vie. La vie ne doit pas seulement être protégée à l’extérieur mais à l’intérieur ; ainsi le microbiote intestinal, appelé deuxième cerveau est détruit par une mauvaise nourriture et cause de maladies neurodégénératives. Dans la culture indienne, la nourriture est sacrée. Vandana Shiva a lutté contre le brevetage du vivant et notamment des graines hybrides devenues stériles qui enrichissent les multinationales agroalimentaires et acculent les paysans au suicide. Au rouet de Gandhi, qui a lutté contre l’empire du coton industriel, Vandana Shiva a répondu avec la graine comme symbole de l’empire de la vie.
Promouvoir un changement durable, devenir le changement
Auteur de Après la chute, l’histoire continue, Pierre Poulain explique que la chute des civilisations, qui est un phénomène universel, soulève la question du pourquoi. Nous avons perdu le sens de notre destinée qui est union avec la nature, responsabilité, gain spirituel, savoir être. Nous cherchons à l’extérieur des solutions de survie, alors que la clé est en nous et dans le sentiment d’appartenance à l’humanité.Notre mentalité modernité est médiévale dans le sens d’un cloisonnement, d’une perte d’unité, de désunion. Le processus de renaissance historique ne sera possible que par la récupération des valeurs humaines, par le cheminement pratique d’éveil de la conscience qui est précisément ce qu’on appelle philosophie ou amour de la sagesse, à la portée de tous.
Dans son approche de photosophie, ou amour du beau appliqué à la recherche de sens par l’image, Pierre Poulain (9), (qui se définit lui-même comme phiphoou philosophe-photographe), nous explique que c’est la tension entre l’image et le texte qui éveille les réponses à l’intérieur de chacun.