Des jardins à la Française comme au XVIIe siècle à l’abbaye Saint Georges de Boscherville en Normandie
À huit kilomètres à vol d’oiseau de Rouen, sur un coteau de la rive droite, se dresse l’abbaye romane bénédictine Saint-Georges, située à Saint Martin de Boscherville. L’intérêt de ce site est non seulement la visite d’un des spécimens les plus complets de l’art roman du début du XIIe siècle mais surtout de son domaine, reconstitution dans l’esprit du XVIIesiècle de jardins à la Française où se mêlent l’utilitaire et l’ornemental, de quoi ravir tous les sens, en cette période d’été. Un lieu à découvrir.
L’abbaye romane bénédictine Saint-Georges a été construite au XIIe siècle, dans un domaine de sept hectares, où se sont succédés depuis le 1er siècle de notre ère plusieurs édifices, dont les restes ont été mis à jour grâce à des fouilles archéologiques au XXe siècle : un temple gallo-romain (Ier siècle av J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C.), la chapelle mérovingienne et carolingienne saint Georges au VIIe siècle, une église collégiale carolingienne du XIe siècle avec son cloître en bois, et une abbaye bénédictine, construite au XIIe siècle qui prospéra jusqu’au XIVe siècle. Après une période de déclin, l’abbaye fut reprise en 1659 par la congrégation bénédictine de saint-Maur (disciple de saint Benoît) qui la réforma sur le plan architectural et spirituel. En 1680, ils aménagèrent des jardins à la Française.
Dans les années 1980, l’abbaye fut restaurée et des jardins furent recréés, tels qu’ils étaient au XVIIe siècle, s’appuyant sur des documents de l’époque.
Un aménagement à la Française
L’abbaye de Boscherville se trouve sur un domaine de sept hectares, constitué en terrasses réparties sur quatre niveaux avec un axe central majestueux à l’escalier monumental.
À la première terrasse, on y trouve sur quatre hectares, un jardin à ordonnancement géométrique (potager, jardin simple, jardin d’herbes aromatiques, parterres de bosquets, un jardin des senteurs d’inspiration médiévale). Au deuxième niveau, le verger avec les arbres fruitiers aux variétés anciennes. Sur la troisième terrasse, des vignes (1000 pieds pour produire du vin de messe) et à la quatrième terrasse se trouve le pavillon des vents et un labyrinthe végétal d’inspiration Renaissance.
L’axe central comprend un bassin avec un jet d’eau et deux parterres de fleurs à dessin géométrique.
Du haut des jardins, on peut admirer un vaste panorama sur la vallée de la Seine.
Une succession de cadrans solaires nous rappelle le lien à la nature et les connaissances scientifiques des moines mauristes.
Du jardin utilitaire au jardin d’agrément
Au XIIe siècle, le jardin a une vocation et perspective spécifiquement morale : la culture de la terre est considérée comme le châtiment pour l’homme responsable du péché originel. Le travail des moines appliquant la règle de saint-Benoît est de recréer l’Éden, jardin paradisiaque.
Sous la Renaissance, le jardin n’est plus utilitaire mais d’agrément. On passe de l’ordre divin à l’expression de la beauté par un agencement fondé sur des proportions mathématiques. Ce qu’on appelle le jardin à la Française. Le domaine de l’abbaye de Boscherville n’échappa pas à la transformation.
Dans les années 1980, les jardins ont été recrées tels qu’ils étaient au XVIIesiècle, s’appuyant sur des documents de 1683 (Monasticum Gallicanum) et un dessin aquarelle attribué au graveur et dessinateur Louis Boudan en date de 1700.
Les images Monasticum Gallicanumillustrent bien la transition de l’hortus conclusus (jardin enclos, symbolisme de la vierge et d’une vision paradisiaque, avec des plantes et fleurs qui rappellent la Vierge) au jardin à la Française et le mariage entre l’utilitaire et l’ornemental.
Le potager, moyen de subsistance
Le potager a une forme carrée (croix chrétienne avec 4 points cardinaux, 4 éléments…) et est divisé en quatre parties (comme les 4 fleuves qui compartimentaient le jardin d’Eden).
Le jardin devait assurer subsistance et nourriture aux moines.
Le potager actuel contient des légumes à feuilles vertes : laitue, chou, auxquels ont été rajoutés de nouveaux légumes, topinambours, carottes rouges, bettes de Méditerranée.
À l’extrémité nord du potager sont plantés des fruits rouges : cassis, myrtilles, framboises et autres mures.
Le jardin médicinal
Le jardin médicinal (jardin de simples et de plantes aromatiques), situé près de l’infirmerie à l’origine, contient des herbes destinées à soigner les maladies sous forme de décoctions, infusions, baumes, potions, pommades, élixirs…
On y trouve de la pulmonaire pour les maladies respiratoires, du pavot aux vertus sédatives, de la menthe, de l’hysope, de la bourrache…
Sont également présentes des herbes aromatiques (ail, fenouil, anis, menthe), des herbes condimentaires autour du jardin de simples (cerfeuil, pimprenelle, oseille rouge, fenouil, estragon, coriandre…)
Le jardin des senteurs
Les fleurs sont disséminées sur l’ensemble du domaine. À l’origine, elles servaient d’abord à décorer l’autel de l’église : fleurs blanches (pureté), fleurs rouges (passion) et marguerites (éternité). Elles sont également présentes pour le plaisir des sens et de l’ornement.
On trouve des parterres de roses blanches Iceberg entouré de buissons d’ifs. 1600 rosiers sont simultanément en fleurs.
Le Jardin des senteurs (jardin des bouquetiers) accolé à l’abbatiale, en forme de croix, s’inspire du jardin d’agrément médiéval. Il rassemble plantes et fleurs destinées à réveiller les sens olfactifs et visuels.
À chaque saison, il y a toujours une floraison avec des couleurs différentes :
- au printemps, le bleu des valérianes grecques et bleuets, le rose des pivoines ou le rouge des pavots d’Orient, glycines, roses, narcisses, jacinthes, lilas, muguet, orangers du Mexique… – – – en été : le bleu des lavandes, des passiflores et des buddleia, le blanc des rosiers, crinum, chevrefeuille, le rose des phlox, le orange des hémérocalles, le jaune des rudbeckias…
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en automne : des couleurs plus froides comme le violet mauve des caryopteris, le blanc des asters, le vert des eléagnus…
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en hiver, le vert du sarococca, le blanc des chevrefeuilles, de l’osmanthe et de la viorne, le jaune du mahonia…
Le tout avec des odeurs parfois très prononcées qui nous donneraient l’illusion d’être un nez de parfumerie.
Enfin, des ruches présentes dans le jardin participent à la pollinisation des arbres fruitiers (espèces anciennes de pruniers et de pommiers) et des plantes cultivées.
À noter que les moines ont beaucoup contribué à la dimension pédagogique et à la diffusion de techniques agricoles (paillette de lin recouvrant la partie non cultivée des parterres, des semis de plantes permettant de régénérer le sol du potager).
Le domaine de Saint Georges de Boscherville nous propose donc ainsi un voyage à travers l’histoire (différentes strates) et à travers les différents sens afin de mieux se pénétrer d’une nature qui se dit belle et généreuse.
Pour s’y rendre :
Abbaye Saint Georges de Boscherville
12, route de l’abbaye – 76840 Saint Martin de Boscherville
Tel : 02 35 32 10 82 – www.abbayesaintgeorges.fr
À lire
Les jardins de l’abbaye Saint Georges de Boscherville
par Donna Canada-Smith,
Photographies de David Bordes,
Éditions du Palais, 2015
Par Marie-Agnès LAMBERT