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RevueSociété

Éditorial : Quittons l’inquiétude, osons l’aventure ! 

Désengagés au travail, ballotés par l’instabilité politique, inquiets pour leur futur, il y a en ce début 2025, comme dit Jérôme Fourquet, « de l’inquiétude et de la perplexité chez beaucoup de nos citoyens sur la façon dont le pays va pouvoir se remettre en marche ». Et cette incompréhension, tant de fois manifestée, se transforme aujourd’hui en une lassitude qui semble tourner trop souvent à l’impuissance, au découragement et au dégoût. 

Selon la grande enquête Qualisocial (1), sur la qualité de vie et des conditions de travail, le niveau de désengagement des Français au travail est sévère (53 %) alors qu’à l’inverse, le taux d’implication active est faible (12 %). 62 % ne se considèrent pas « satisfaits de leur vie », un mal-être individuel qui affecte la motivation et conduit vers une certaine déprime collective. Ainsi, d’après une étude réalisée par OpinionWay, 34 % des salariés seraient en burn-out dont 13 % en burn-out sévère, soit 2,5 millions de personnes, ce qui commence à faire beaucoup !

Autres temps mais mêmes maux, nous voilà bien proches d’une affection, l’acédie, dénoncée dès le Moyen-Âge par saint Thomas d’Aquin, qui disait dans sa Somme théologique qu’elle est « une tristesse accablante qui produit dans l’esprit de l’homme une dépression telle qu’il n’a plus envie de faire quoi que ce soit ». Le pape François lui-même en février 2024 s’était ému de cet ennui mortel qui resurgit dans l’âme de nos contemporains en disant : « On se laisse aller et la distraction, l’absence de pensée, apparaissent comme la seule issue : on aimerait être hébété, avoir l’esprit complètement vide… C’est un peu comme mourir par anticipation… croire que tout est vain, que rien n’a de sens, qu’il ne vaut pas la peine de se préoccuper de rien ni de personne » (2)
Cette acédie qui revient, définie selon le dictionnaire Larousse comme « un état spirituel de mélancolie dû à l’indifférence, au découragement ou au dégoût » est pour Marie-Madeleine Davy, historienne et philosophe, une maladie de l’homme intérieur. Il est atteint par « … la négligence, l’indifférence qui se mue en tristesse et en découragement… une sorte d’ennui … une immense lassitude ». 
Elle poursuit : « L’homme atteint par ce mal se déplaît dans son intériorité ; pour y échapper, il cherche de constantes compensations dans le sommeil, la nourriture, l’oisiveté, les bavardages … tout ce qui menace sa tranquillité l’inquiète. » Cet homme atteint d’aboulie, trouble mental caractérisé par l’affaiblissement de la volonté, ressent comme une inhibition de l’activité physique et intellectuelle. Dès lors, « il se sent épuisé comme au soir d’un très long voyage et ne peut fixer son attention… paresseux, tout effort lui paraît insurmontable… ». Pour autant, comme elle le dit très bien : « La cause d’un tel état ne provient pas de motifs extérieurs, ces causes sont au-dedans » (3).

Peut-être est-ce la philosophe Hannah Arendt (4) qui fournit les apports les plus éclairants pour sortir de cette impasse, en distinguant vie active (Vita activa) et vie contemplative (Vita contemplativa). La première regroupe le travail, l’activité créatrice et l’action, mettant l’accent sur l’implication dans le monde extérieur et la transformation de ce monde par l’effort humain. La seconde renvoie dans une dimension intérieure, à une vie consacrée à la pensée, la méditation et la quête de sens. Pour elle, ces deux formes de vie ne sont pas hiérarchisées mais complémentaires, et vivre une existence humaine accomplie; implique le respect d’un équilibre, aujourd’hui compromis, entre notre forme d’engagement dans le monde et nos fondements intérieurs. 

L’acédie dénoncée hier par les philosophes médiévaux et les Pères du désert, et qui resurgit aujourd’hui dans une France déboussolée, avec ses états de lassitude et de dégoût profond pour le monde et soi-même, comme ses formes de paralysie intérieure, n’est au fond que l’expression d’un déséquilibre et d’un profond désalignement entre vie active et vie intérieure. Une maladie de l’âme dans laquelle l’individu ne parvient plus à aligner son vécu quotidien et ses finalités.

François Cheng résume comme à son habitude en une petite phrase ciselée, l’essentiel de l’enjeu : « Notre vraie vie, c’est l’itinéraire de notre âme ». À vrai dire, dès que cette juste perspective se remet en place et que nous recouvrons la vigilance, et un regard lucide sur la trajectoire que nous voulons donner à notre vie, la confusion et le mal-être se dissipent.  Alors revit en nous, ce que l’on pourrait appeler l’esprit d’Aventure, comme une braise toujours présente en notre âme, qui n’attendait que l’occasion de se transformer en feu de joie.
C’est ce qu’illustre magnifiquement le défi de Violette Dorange, 23 ans seulement, plus jeune navigatrice de toute l’histoire du Vendée Globe, et marraine de la Fondation Apprentis d’Auteuil, qui témoigne : « Depuis toute petite, je veux vivre des aventures, traverser l’Atlantique, faire le tour du monde, ça m’a toujours fait rêver ». Le courage et le dépassement de soi sont toujours possibles, aujourd’hui comme hier et demain, pour qui ose et se bat avec persévérance. 

Il ne s’agit pas tant de changer notre vie, mais la perspective et le sens que nous lui donnons et c’est précisément le propre de la philosophie, que de nous conduire à cette lucidité. L’acédie moderne n’est qu’une forme de complaisance, car dès lors que nous sortons de l’égocentrisme pour nous intéresser à plus grand, tout redevient possible. Comme le dit Henry d’Anselme, le « héros au sac à dos » qui témoigne dans un livre (5) et une interview au magazine Le Point « Rêvez grand, et agissez, dans ma génération, on a un peu trop tendance à se regarder le bidon, à se lamenter. Relevons la tête vers quelque chose qui nous dépasse. Si on veut redevenir une puissance créatrice, il faut se nourrir de ce qu’il y a de plus beau, de plus grand. »

Que pouvons-nous nous souhaiter de mieux pour 2025 ?

(1) Organisme qui accompagne les directions des Ressources Humaines et les organismes sociaux qui font de la santé mentale et du bien-être au travail une priorité pour leur organisation
https://www.qualisocial.com/barometre-qvct-qualisocial-ipsos-2024
https://empreintehumaine.com/wp-content/uploads/2022/07/BT10-Infographie-1-1.pdf
(2) Extrait du discours prononcé par le Pape François, le mercredi 14 février 2025 au Vatican
https://www.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2024/documents/20240214-udienza-generale.html
(3) Extrait de L’homme intérieur et ses métamorphoses de Marie-Madeleine Davy, Éditions Albin Michel, 2016, pages 74 à 76
(4) Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, 1958, paru aux Éditions Calmann-Levy en 1983, réédité en 2018, 504 pages
(5) Henri d’Anselme, Le héros au sac à dos, Sur le chemin des cathédrales, Éditions Fayard, 2024, 256 pages

Thierry ADDA
Président de Nouvelle Acropole France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de philosophie Nouvelle Acropole France

Thierry ADDA

Président de Nouvelle Acropole France

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