Face à la violence, quelle autorité ?
Editorial revue Acropolis – novembre 2018
Le 11 novembre prochain, plus de 120 dignitaires étrangers (1) vont célébrer à Paris la fin de la première Guerre mondiale. On a cru qu’elle serait la dernière des dernières guerres, la « der des ders ». Mais en fait il n’en fut rien. Elle généra plus de dix-huit millions de morts (2), et encore plus de blessés, victimes d’une violence inouïe. Un siècle plus tard, de très nombreux conflits se déroulent sur la planète, et bien que le nombre de morts ait diminué, les populations civiles paient un énorme tribut avec des millions de réfugiés et de blessés…
La violence est devenue un des fléaux majeurs dans nos sociétés développées. Elle s’est généralisée dans les établissements scolaires ; les incivilités augmentent dans la rue et les transports ; les affrontements entre bandes d’adolescents provoquent de plus en plus de morts violentes, notamment de mineurs (de janvier à août 2018, cent cinquante-neuf affrontements ont eu lieu et une dizaine de mineurs en sont morts).
Bien sûr, certains spécialistes affirment que la violence n’est pas un fait nouveau. Mais l’arrivée de drogues dans les quartiers populaires ainsi que la présence des réseaux sociaux ont favorisé l’essor d’une scénarisation digitale des affrontements, témoignant d’une attitude narcissique en temps réel, pour montrer au monde son existence et sa violence face à une audience qui s’élargit de plus en plus.
Comme l’explique le sociologue Marwan Mohammed (3), la dynamique collective écrase les consciences individuelles. Les déclencheurs des affrontements et des violences sont futiles – un regard ou un mot de travers –, et même en garde-à-vue, les responsables des affrontements sont incapables d’en expliquer la cause.
En réalité, les affrontements sont des moyens compensatoires pour de plus en plus de jeunes désœuvrés et en échec scolaire qui veulent s’accomplir, exister, vivre une certaine solidarité et une fraternité. Ils expriment des normes de virilité qu’ils testent ensuite dans des agressions, des prises de risques ou des menaces et qui évaluent la qualité des liens établis entre eux. Ils en attendent des gratifications symboliques qui les valorisent et leur donnent une identité.
La société entière demande plus d’autorité, mais la question est : quelle autorité ? Ce n’est pas celle qui réprime ou obéit à des questions de simple sécurité.
Il nous faut instaurer une autre culture de l’autorité : celle qui fait du bien, qui inspire, élève et ne réprime pas, qui défend et institue des valeurs, qui densifie le tramage de l’être.
L’origine du mot autorité est la même que celle du mot « auteur », qui veut dire créateur. L’autorité est en relation avec la capacité d’augmenter, de faire grandir, parce qu’elle peut humaniser la société et la rendre habitable.
Le point de départ est la notion de respect. Le respect est l’attitude qui consiste à s’abstenir de tout ce qui pourrait porter atteinte à autrui. Le respect n’est ni l’admiration ni la crainte. Ce n’est pas l’admiration parce qu’il n’y a pas d’élan affectif mais obéissance à un principe commun qui est partagé par tous. Ce n’est pas non plus la crainte car le respect suppose de l’estime et non la peur en tant que valeur.
La culture du respect que peut instaurer l’autorité ne peut être qu’universelle. Si le respect s’adressait seulement aux hommes, aux personnes à titre individuel et non à l’humanité, chacun ne respecterait que ce qu’il apprécierait et ce qui lui serait profitable. Il ne respecterait donc jamais l’humanité, c’est-à-dire le fait qu’une personne soit un être humain en tant que tel et qui mérite notre respect.
En réalité, avec le développement actuel des communautarismes, le respect exclusif de ce qui nous convient n’est pas du respect mais un sentiment confus, mû par la recherche d’un profit.
Une clarification s’impose pour qu’une nouvelle culture, basée sur le respect et la responsabilité, puisse instaurer une autorité naturelle. C’est un engagement que nous devons accepter, qui ne dépend pas uniquement des institutions mais de notre capacité à exercer notre qualité de citoyen. Pour cela, nous devons absolument sortir de nos zones de confort.