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Arts

Filles du Nil, femme et société dans l’ancienne Égypte 

« On n’apprend pas à connaître le cœur d’une femme, pas plus que quiconque ne connaît le ciel ». Proverbe égyptien

Gardienne du mystère, faiseuse de liens, porteuse de vie, la femme de l’Egypte pharaonique a porté haut le message de la plus belle spiritualité.

À écouter en podcast

Une excellente exposition, Femmes du Nil, présentant plus de 300 objets en provenance de 17 musées du monde a rendu hommage aux Femmes en Égypte à Madrid en 2022 (1).
Cette riche exposition était organisée en cinq sections richement illustrées et avec des apports pédagogiques innovants :

  • Le rôle de la femme dans la société
  • Femmes royales
  • Déesses et temples
  • De la mort à l’éternité
  • Égyptomanie.
    La dernière section est un clin d’œil au regard passionné mais aussi déformé de la mode égyptienne déclenchée à partir de l’expédition d’Égypte de Bonaparte et qui s’est prolongé et augmenté avec les diverses fouilles du XIXe siècle pour atteindre peut-être son apogée autour de la découverte du tombeau de Toutankhamon au début du XXe siècle.

Le rôle de la femme dans la société

Un grand hymne à Isis traduit la notion de complémentarité équitable entre la femme et l’homme : « Tu as rendu le pouvoir des femmes égal à celui des hommes ».
Le rôle essentiel de la femme est de faire le don de la vie sur terre et dans l’invisible, mission symbolisée par la déesse Isis, la grande magicienne auprès de son époux Osiris et donnant vie à Horus, le gardien de la royauté.
La femme garantit l’union, représentée par son nœud, Tit et ses qualités doubles les plus appréciées sont : beauté et amour ; joie et allégresse ; sérénité et paix, stabilité et fermeté. « Une femme au cœur joyeux apporte l’équilibre ».

La femme égyptienne est libre, indépendante, peut épouser la personne de son choix et divorcer en gardant ses biens qu’elle peut léguer à qui elle veut. Aux plus hautes fonctions de l’État, elle tient le rôle de Grande Épouse royale, de régente et peut même devenir Pharaon.
La femme célibataire possédait une autonomie juridique et gérait ses propres biens. Rien n’interdisait la jeune fille d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Il existait même des contrats de mariage temporaires. Le mariage était un acte social et pas juridique, Se marier consistait en « vivre ensemble », « fonder une maison », en se disant mutuellement : « tu es mon mari, tu es ma femme ». Une fois ensemble, les mariés devaient assurer leur responsabilité et les mariages étaient plutôt stables car il y avait une grande moralité. Néanmoins, des dispositions juridiques pouvaient être prises pour assurer la subsistance de la femme en cas de malheur, veuvage ou divorce. La femme mariée gardait son nom qui faisait partie de son identité et lui permettait de franchir l’épreuve de la mort.
Comme « Dame de la maison », son rôle essentiel était de gérer la maison et s’occuper de l’éducation des enfants, desquels elle doit « ouvrir les oreilles », les vivantes, pour leurs transmettre les enseignements des sages. On attendait de la maîtresse de maison qu’elle fût active, compétence et généreuse, capable de venir au secours de quelqu’un dans la détresse, de donner du pain à un affamé ou de vêtir celui qui allait nu, garante de la santé et de l’hygiène et gestionnaire du domaine (2).

Hérodote constate la différence avec la femme grecque, car la femme égyptienne est indépendante, avec d’importantes capacités d’action juridique, sociale et économique.
Les tâches féminines, au-delà des fonctions à la campagne où le travail féminin complète celui de l’homme pouvaient être très variées. Une femme pouvait être directrice d’une province, d’une ville, d’un domaine administratif ; elle pouvait être inspectrice du trésor, scribe (sous la protection de Sechat) dans la maison de Vie, médecin (patronne des thérapeutes ; Sekhmet « celle qui exerce la maîtrise », qui apporte à la fois les maladies et les moyens de les guérir) prêtresse, coiffeuse, chef d’entreprise, pilote de bateau et même vizir.
Tout lui était ouvert à l’exception de l’armée.
Son rôle de mère ne lui empêche pas d’honorer aussi celui d’épouse et on constate le goût pour la beauté et les soins portés au corps avec les parfums, bijoux et beaux tissus, en particulier en lin, retrouvés dans les tombes. Leurs représentations sont toujours d’une grande beauté et dégagent noblesse et sérénité en toute circonstance.

Femmes royales

Le mot « reine » n’existe pas dans le vocabulaire des Égyptiens. Durant l’Ancien Empire, la « reine » est désignée par une série de titres qui renseignent sur ses fonctions et son lien de parenté avec le roi : « Mère du Roi », « Épouse du Roi », « Mère des enfants du Roi », « Sœur du Roi », « Fille ainée du Roi ». Au Moyen Empire, on ajoute « Maîtresse des deux Terres » et « Grande Épouse royale ».
C’est la grande Épouse royale qui met au jour le futur héritier dans une hiérogamie où le dieu Amon prend la place de son époux pour garantir la nature divine du futur roi.

Ainsi, les rôles se succèdent : épouse et mère inspirés des modèles divins. La mère du roi joue un rôle très important pendant la jeunesse de son fils et peut devenir régente si son fils devient orphelin.

La beauté de la reine n’était pas seulement physique mais découlait de ses vertus et son rayonnement. Un exemple qui a transcendé le temps est celui de la reine Néfertari, Grande Épouse royale de Ramsès II, à qui fut dédié le plus beau sanctuaire souterrain de l’Égypte, creusé à Abou Simbel, ainsi que le merveilleux tombeau à Thèbes consacrés à « à la douce voix, aux mains vivantes, élégante avec sa double plume ». Elle devait réjouir le cœur du dieu : « grande d’amour », maîtresse de charme » « grande de merveilles dans la maison de son père ».
Les Grandes épouses royales ont joué un rôle politique de conseil auprès du Roi, ce qui leur permettait devenir régentes ou tutrices. Dans certains cas, elles deviendront Pharaon depuis l’Ancien Empire jusqu’à l’époque ptolémaïque, comme pour Nitökris, Neferou Sobek, Taousert, Hatshepsout, Cléopâtre VII.
Les reines prêtresses étaient un peu les incarnations de la déesse Mout, épouse du dieu Amon, elles contribuaient par les cérémonies traditionnelles à maintenir l’ordre universel.
Sous la facette religieuse, elle accompagne le Pharaon dans les célébrations et les rites, comme le lever du Soleil, symbolisant la victoire de Râ sur les ténèbres représentées par le serpent Apophis, ou la crue du Nil, marquant le nouvel An (3).
Seul, le Pharaon ne pouvait assurer l’ordre du monde : il lui fallait sa contre-partie féminine.
Tout pharaon devait avoir une Grande épouse royale. Par contre, mystère du féminin, la femme pharaon pouvait gouverner seule.
D’autres prêtresses royales étaient les Divines Adoratrices d’Amon, filles des pharaon ou dames de la noblesse qui assumeront un rôle essentiel dans l’administration des temples thébains, notamment à la Basse époque (4).

Déesses et Temples

Mais toutes les actions réalisées dans le monde humain ont leurs modèles dans le monde céleste. Les archétypes sont symbolisés par de nombreuses déesses que les femmes incarnent dans le monde terrestre.
La religion assurait un lien étroit avec les cycles de la nature et le rythme de l’année, marquée par la crue du Nil qui délimitait le calendrier et ses rites.
Le lien avec les dieux se réalisait dans les temples et les prêtresses avaient des fonctions complémentaires à celles des prêtres.

La figure d’Isis pris une place prépondérante avec le temps, Elle affirme la puissance et pérennité de la vie dans tous les plans de l’existence. Elle incarne la puissance vitale de l’amour : l’amour pour son mari Osiris comme parèdre et épouse, l’amour pour son fils Horus comme mère. L’amour lui confère la magie créatrice de la vie, comme fécondité, naissance ou renaissance et guérison, transformation, mais aussi le pouvoir de protection contre tous les maux.
Cette figure qui éclipsa toutes les autres divinités avec le temps, arrivera jusqu’à nos jours avec la figure de la Vierge Marie avec l’enfant sur ses genoux, qui reprend l’image d’Isis avec l’enfant Horus.

Au départ, une déesse unique incarne la pluralité des visages et des fonctions, la déesse Hathor, épouse d’Horus l’Ancien, le démiurge. Son nom signifie le château d’Horus, elle symbolise le ciel, le palais royal et la matrice de toute manifestation. Représentée par une colonne quadri face, comme à Dendérah, elle porte en elle tous les visages de la fémininité : la mère, l’épouse, la maîtresse, la fille du dieu. Et aussi tous les aspects depuis les plus tendres de la maternité et la douceur comme Bastet à celui de la fureur et la colère, comme Sekhmet ; la beauté de la féminité comme Isis, ou la vigilance et la gardienne du silence et de la mort, comme la déesse serpent Mertseger gardienne de la colline d’Occident à Thèbes.
Avec le temps, cet archétype céleste de la féminité, se recentre en une seule figure de grande magicienne qui sera Isis. Epouse d’Osiris et mère de l’enfant Horus elle retrace tout le cycle de vie, mort et renaissance et à travers ce mythe s’instaure tout le cycle de la Royauté et le lien entre les cycles cosmiques, journaliers et annuels ainsi que les cycles de vie et de mort humaine. Le cosmos et l’homme resonnent à l’unisson.

Isis la magicienne est capable de redonner vie au mort dans l’au-delà (Osiris) comme de donner vie au vivant dans cette vie (Horus). Ces doubles naissances font d’elle l’initiatrice par excellence. Par ses paroles, son souffle vital, son mouvement joyeux et rythmé, sa ténacité, elle maintient l’ordre harmonieux de l’univers et de l’homme.

De la mort à l’Eternité

« L’utérus maternel, l’obscurité nourricière, l’indéfinition du monde aquatique et la naissance à la lumière. L’expérience de l’accouchement et de la naissance passe par une série d’images que ceux qui sommes nés de femme portons dans notre mémoire inconsciente et dans la rétine. Le moment traumatisant de l’exposition à la lumière du jour pour la première fois, qui donne l’expression « donner la lumière » est une bonne illustration, il implique une expérience unique dans le temps et au commencement de la vie telle que nous la connaissons les êtres humains. Il n’est pas étonnant que lorsqu’un mortel affronte ce qui le définit, la mort, ce moment soit celui dont il se rappelle et qu’il cherche à répéter. L’idée que le dépassement du traumatisme de la fin de l’existence terrestre passe forcement par une expérience nouvelle première du retour à la vie et à la lumière est centrale dans la religion égyptienne et est en rapport avec les aspects matériels du monde funéraire. » (5) La colline occidentale de Thèbes est inondée chaque jour de la lumière solaire renaissante qui évoque cette réveil des âmes à l’aube, comme l’enseigne le Livre des Morts Egyptiens dont le titre original était le Livre de la Sortie à la Lumière du jour.

Les Égyptiens aimaient la vie et ils souhaitaient prolonger l’existence terrestre dans le règne d’Osiris, dans le monde de l’au-delà. Une fois réalisé le voyage à travers une géographie de l’au-delà très bien décrite dans les textes, on arrive à la salle de la Balance pour célébrer le rite de la psychostasie, la pesée de l’âme. Le but de tout Égyptien et Égyptienne était de devenir un maat keru, « juste de voix », un être illuminé pouvant vivre dans le royaume d’Osiris, avec le cœur en paix, ayant agi de son vivant avec justesse et harmonie (6).

Toutes les femmes sont un rayon de la déesse Isis et ont pour mission de l’incarner là où elles sont, quelles que soient leur place, pour marquer leur environnement et leur temps de cette Justice, Maât, traduite en quête d’harmonie intérieure, sociale, et cosmique. Les Égyptiennes nous apprennent que la puissance féminine vient donc de ce que nous assumons de représenter et d’incarner, la dimension transcendante dont nous sommes porteuses.

(1) Exposition Hijas del Nilo, organisée par Grupo Eulen, Madrid, du 10 juin au 31 décembre 2022. Voir Catalogue, Hijas del Nilo, Ed. Grupo Eulen, 2022
(2 Lire l’article Ces femmes qui ont fait l’Égypte, d’Annaelle Mehr, Revue Acropolis 304 (02/2019)
(3) Dans le rite du Jour de l’an, lors de l’arrivée de l’inondation le 19 juillet, elle incarne le matin radieux, l’étoile Sothis. L’étoile du matin devait rituellement remettre au monde chaque année le pharaon Soleil au moment du retour de Sothis (après une occultation de 75 jours)
(4) Lire l’article L’épopée égyptienne des pharaons éthiopiens, de Laura Winckler, Revue Acropolis 343 (09/2022)
(5) José Ramon Perez-Accino, La señora de la montaña, p. 86, Catalogue Hijas del Nilo, opus cité
(6) Lire Égypte, miroir du ciel, de Fernand Schwarz, Éditions Acropolis, 2022
Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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