Histoire

Hommage à Joséphine Baker Un combat de toute une vie

 

Dans le cadre de la « Journée internationale des droits des femmes », rendons hommage à Joséphine Baker (1906-1975), danseuse, meneuse de revue, chanteuse, actrice, héroïne de guerre, militante pour les droits civiques des noirs, mère d’une tribu de douze enfants. Elle incarne les quatre archétypes de la femme. Héroïne de tous les combats, elle s’inscrit officiellement dans l’Histoire de France, depuis son entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.

Laura Wincker, dans ses livres Femmes, filles de déesses, et Dieux intérieurs, explique que les femmes s’identifient à quatre archétypes et quatre modèle de comportement et d’existence qui peuvent évoluer au cours de la vie : Aphrodite qui représente la beauté, la jeunesse et l’amour, Athéna, la femme d’action, Demeter, la mère nourricière et, Hera, l’épouse et la reine. Joséphine Baker (de son vrai nom Freda Joséphine Mac Donald) à elle seule, a représenté successivement voire en même temps, les quatre facettes de la femme, vivant pleinement chacune d’entre elles dans tous les combats qu’elle a menés.

L’« Aphrodite » de la danse

Dès sa jeunesse, Joséphine Baker est amenée à travailler comme domestique chez des Blancs aisés pour nourrir sa famille. La danse sera une échappatoire et un moyen de dépasser ses conditions de vie parfois difficiles.  
À 13 ans, elle se marie et rejoint un trio d’artistes de spectacle de danse de rue. Elle épouse ensuite Willy Baker dont elle prendra le nom pour la scène. Elle le quitte à 16 ans pour tenter sa chance à New-York. Elle démarre à Broadway puis Caroline Dudely Reagan, épouse de Donald J. Reagan lui propose de venir en France où elle sera la vedette d’un spectacle la Revue Nègre. Cette arrivée à Paris est vécue comme une libération. 

Joséphine Baker fait ses débuts à Paris au théâtre des Champs Élysées puis au Théâtre des Folies bergères. Vêtue d’un simple pagne, puis d’un costume de plumes roses et d’une ceinture de seize bananes – qui l’a rendue célèbre –, accompagnée d’un guépard, elle danse le charleston dans un décor de savane, au rythme des tambours. Sur scène, on la voit se déhancher, tordre ses jambes, onduler, se contorsionner, proche de la transe. Elle louche, fait des roulements d’yeux moqueurs pour railler l’imagerie noire, multiplie les grimaces. Elle bouscule les stéréotypes, les tourne en burlesque sublime.
Au début elle refuse de danser nue mais elle déjoue les préjugés sexistes pour faire de sa féminité un atout qui lui sera très utile pour collecter plus tard des renseignements au bénéfice de la Résistance.
Elle se lance dans la chanson sur les conseils de Giuseppe Abattino dit Pépito (son amant,  manager et mentor pendant dix ans) et joue dans le film La sirène des Tropiques
Pendant les années folles, Joséphine Baker devient l’égérie des cubistes qui vénèrent son style et ses formes, et des Parisiens pour le jazz et les musiques noires. Elle rencontre Georges Simenon qui deviendra son secrétaire et son amant pendant quelques mois. 
Son ascension vers la gloire se poursuit en 1930 au Casino de Paris. Elle chante « J’ai deux amours » de Vincent Scotta, ce qui lui vaudra un immense succès. Elle retourne aux États-Unis pour une tournée d’un an mais n’y rencontre pas la réussite escomptée car elle est victime de ségrégations raciales. Elle rentre en France et en 1934 épouse Jean Lion, courtier en sucre juif et devient par ce fait Française. Elle continue à se produire, en France au cabaret de Jean-Claude Brialy, La Goulue et à l’étranger à Bruxelles, Copenhague, Amsterdam et Berlin pour sauver sa propriété de Dordogne mise aux enchères en raison de ses nombreuses dettes. Brigitte Bardot participe au sauvetage de la propriété.
Joséphine Baker devient l’une des premières ambassadrices noires de la haute couture française (Christian Dior, Pierre Balmain) et est également la femme noire la plus photographiée au monde et de son époque.

« L’Athéna » : de l’émancipation des noirs…

Parallèlement, Joséphine Baker milite pour le Mouvement de la Renaissance de Harlem, prônant l’émancipation des Noirs américains, confrontés à la ségrégation raciale et participe ensuite à la vague d’indignation soulevée par le meurtre d’un jeune Afro-américain Emmett Till dans le comté de Tallahatchie dans le Mississippi (les deux assassins sont acquittés).
Dans les années 60, elle milite contre la politique de l’Apartheid menée en Afrique du Sud et retourne aux États-Unis où elle soutient le mouvement des droits civiques du pasteur Martin Luther King, notamment en 1963 avec la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. Elle prononce un discours, vêtue de son ancien uniforme de l’Armée de l’Air française et de ses médailles de résistante. 
Elle s’engage également dans l’action de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (qui deviendra la LICRA en 1980), puis en Argentine pour lutter contre le racisme avec le couple Évita et Eva Peron puis à Cuba où elle sera soutenue par Fidel Castro.
En mai 68, elle participe en tête de cortège à une grande manifestation de soutien à De Gaulle sur l’avenue des Champs Élysées. 

… et du contrespionnage français

Joséphine Baker a 33 ans quand la seconde guerre mondiale éclate. Elle est devenue française deux ans plus tôt. Elle chante avec ses musiciens pour les soldats au front. Elle se mobilise pour la Croix-Rouge et en 1940 s’engage dans les services secrets de la France Libre, aux côté du Général de Gaulle, en France, en Afrique du Nord (Algérie, Maroc) et au Moyen-Orient (Égypte, Liban, Syrie). Elle s’acquitte de missions importantes, transportant des informations secrètes écrites à l’encre invisible sur ses partitions de musique, faisant passer dans son corsage une liste d’espions nazis ou dans ses valises de nombreux documents. Ses activités de résistance lui vaudront une médaille de la Résistance française avec rosette, chevalier de la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre.

La « Demeter » de la tribu de l’arc-en-ciel 

En 1947, Joséphine Baker, mariée à Jo Bouillon, achète le château des Milandes à Castelnaud-Fayrac (appelé aujourd’hui Castelnaud la Chapelle) en Dordogne. Ce « château de la Belle au Bois dormant » est la demeure de douze enfants que Joséphine a adoptés, ne pouvant plus avoir d’enfants, suite à la naissance d’un enfant mort-né et de ses complications. Ils constituent une tribu « arc-en-ciel », avec leurs origines différentes (Japon, Colombie, Finlande, France, Algérie, Cote d’Ivoire, Vénézuéla et Maroc). Joséphine les élèvera avec son mari et ensuite sans lui, ce qui lui vaudra de nombreux concerts pour entretenir le château et la nombreuse famille et domestiques.

Pour Joséphine, les couleurs de peau, les origines, les religions peuvent non seulement cohabiter mais vivre en harmonie.

Elle se préoccupe de la pauvreté en participant aux soupes populaires en faveur des sans-abris et en distribuant de la nourriture aux personnes âgées « Le pot au feu des vieux », précurseur des Restos du Cœur.

Héra ou la fidélité de ses engagements

Joséphine a toujours été fidèle à ses engagements : dans ses unions, dans la danse qu’elle aimait plus que tout, dans ses combats contre la ségrégation raciale, contre le nazisme, contre les différences, contre la pauvreté et enfin pour l’universalisme et pour défendre son territoire et sa famille. 
Bien qu’elle se soit mariée plusieurs fois où eut des amants, elle leur restera toujours fidèle et malgré de nombreuses tournées en France et à l’étranger, elle retournera toujours à son îlot de paix où vit sa famille. 
Elle s’engagera pour des œuvres caritatives et sera soutenue en cela par le couple princier de Monaco, notamment Grâce qui, d’origine américaine comme Joséphine Baker, lui avancera les fonds nécessaires à l’acquisition d’une grande maison à Roquebrune. Ruinée mais aidée par la Croix-Rouge et le couple princier, Joséphine Baker remonte sur scène à l’Olympia, à Belgrade, Londres ou New-York.
En 1975, pour célébrer ses cinquante ans de carrière, elle inaugure la rétrospective Joséphine à Bobino, avec entre autres le mécénat du couple princier de Monaco et devant de nombreux artistes. Après sa quatorzième représentation, elle est victime d’une attaque cérébrale et meurt. Elle a 68 ans. 
Elle reçoit les honneurs militaires et une messe est prononcée à l’Église de la Madeleine à Paris. Son corps sera transporté à Monaco pour y être enterré.

Joséphine Baker entre officiellement dans l’Histoire de France

Le 30 novembre 2021, – date anniversaire de sa naturalisation française après son mariage il y a 84 ans avec Jean Lion –, Joséphine Baker entre au Panthéon. Elle est la sixième femme et la première femme noire à rejoindre le monument républicain. Son cercueil est vide car sa dépouille repose à Monaco, comme l’a désiré sa famille, aux côtés de son dernier mari et de l’un de ses enfants. C’est donc un cénotaphe qui a été installé dans le caveau° 13 de la Crypte du Panthéon, aux côtés de l’écrivain Maurice Genevoix. Il contient une poignée de terre des quatre endroits symboliques où Joséphine a passé une partie de sa vie : St-Louis, Paris, les Milandes et Monaco. Le cercueil a été porté par des aviateurs sur la musique de la Marseillaise jouée par la Garde républicaine de Paris. Des enfants ont joué un air de la Diva.

Joséphine a fait de sa vie un combat : devenir une danseuse noire et mener des revues ; militer pour l’émancipation des Noirs et la reconnaissance de leurs droits ; lutter contre le racisme et la pauvreté ; combattre aux côtés de la France contre les nazis ; devenir une citoyenne libre et digne ; combattre les différences en accueillant des couleurs de peau, des conditions sociales et religions sous un même toit – ses origines afro-américaine, espagnole, amérindienne l’y ont bien aidé –, lutter pour garder son foyer. Elle a fait de sa vie un combat pour l’universalisme, l’égalité de tous devant l’identité de chacun. Elle a montré que la couleur de peau n’était pas un obstacle pour réussir sa vie. Un exemple de service, d’action que la France n’oubliera pas en entendant cet air si connu « J’ai deux amours… mon pays et Paris »

À lire
Deux ouvrages de Laura WINCKLER
– Femme, fille de déesse, ses visages cachés, Éditions Nouvel Angle, 2005, 139 pages  
– Dieux intérieurs, comment identifier son archétype personnel, Éditions Acropolis, 2017, 252 pages 

par Marie-Agnes LAMBERT
Rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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