Société

Il y a 50 ans… le Rapport Meadows

C’est en 1972 que paraît un rapport scientifique, dit rapport Meadows, du nom de ses auteurs (1). Son contenu fit l’effet d’une bombe. Intitulé « Les limites à la croissance » il alertait pour la première fois sur les limites matérielles de la croissance économique et les mesures à mettre en place pour éviter un effondrement au XXIe siècle. Pourtant, 50 ans plus tard, alors que ce rapport est réédité (2), rien ne semble avoir changé.

Le tout début des années 70 est une période de pleine croissance mais également d’éveil de la conscience écologique. C’est à ce moment qu’un think tank (3) d’économistes, le Club de Rome, s’interrogeant sur l’avenir de la planète, commande au MIT (Massachusetts Institute of Technology) un rapport scientifique sur la durabilité de la croissance.
En modélisant l’activité humaine de façon mathématique grâce à l’informatique, les ingénieurs du MIT arrivent à des conclusions sans appel. Si la croissance se poursuit spontanément, ils prévoient un crash au cours du XXIe siècle, dû à la pénurie de ressources, à l’effondrement de la production et de la démographie. Mais, en ajustant les variables pour éviter ce scénario, ils observent que, sauf si la production et la hausse de la population sont limitées, tous les modèles conduisent à un crash.

Le dogme de la croissance

Appuyée sur 13 scénarii différents, la conclusion du rapport soulignait que l’absence de changement de politique conduirait inévitablement à un franchissement des limites suivi d’un effondrement au cours du XXIsiècle.
Bien qu’il ait fait l’objet d’une grande médiatisation à l’époque (Edgar Morin parlait de l’an 1 de l’écologie), il n’a pas eu un réel impact de transformation.  Ce n’est pas étonnant, puisqu’il conduisait ni plus ni moins à un changement de paradigme. Le discours scientifique s’est donc heurté aux responsables politiques et économiques et aux tenants du dogme de la croissance. « La promesse de la croissance était la base du consensus politique. Tant que le gâteau grossit pour tous, vous pouvez faire des arbitrages » déclare aujourd’hui Dennis Meadows (4). 

50 ans après

50 ans après, tout est toujours vrai, les courbes sont bien avancées. Le rapport décrivait la poursuite de la croissance, un pic, puis, s’il n’y avait pas de changement de politique, un effondrement. Selon Dennis Meadows et de nombreuses études indépendantes, « le monde suit un chemin très semblable à celui que nous avions tracé dans notre scénario de référence. » (5). Écoute-t-on plus les scientifiques pour autant ? Même s’il est renforcé par les rapports sur le climat, largement popularisés, comme ceux du GIEC (6) par exemple, le discours scientifique reste masqué par les préoccupations économiques, quand il n’est pas noyé dans les faux savoirs de la désinformation et des lobbies. En fin de compte personne n’agit, pour des motifs plus ou moins avouables. 

Quelles solutions ?

Selon Meadows, les solutions existent, mais les marges de manœuvre se sont considérablement réduites et c’est une question politique et d’engagement de société pour qu’elles puissent être mises en œuvre. « Ce ne sont pas des problèmes scientifiques, mais culturels, moraux, éthiques. Les scientifiques ne peuvent pas vous aider à les trancher. Ils peuvent juste évaluer les conséquences de vos actions, pour les différents horizons temporels. » souligne à juste titre Dennis Meadows (7).
Dans tous les cas ceci nous oriente vers un autre modèle de société qui permettrait de prendre en compte les limites planétaires, plus de sobriété, un meilleur partage des ressources. L’idée même d’une croissance soutenable est devenue une illusion.
« Il est trop tard pour espérer un développement soutenable, précise Dennis Meadows, car la « soutenabilité » est déjà consommée. Croire que tout peut revenir à la normale, que tous les pauvres pourront devenir riches, est une illusion. Nous sommes entrés dans une période d’accroissement de la fréquence et de la taille des chocs : épidémies, changement climatique, pénurie énergétique, problèmes agricoles… Et cela va s’accélérer. Que faire ? On peut identifier quelles sont nos valeurs fondamentales et décider sur cette base comment structurer le système… La « soutenabilité », elle, ne peut pas être poursuivie à des échelles différentes. Vous ne pouvez pas rendre votre vie « soutenable » si le reste du monde ne l’est pas. Mais vous pouvez toujours rendre votre vie plus résiliente dans un monde brutal. Et au bout du compte, multiplier les centres de résilience accroîtra la résilience globale. Ça vaut le coup. » (8)

Un autre mode de vie

C’est le projet de Nouvelle Acropole de proposer partout dans le monde des modules de résilience pour le futur. Comme l’écrivait déjà dans les années 80 le fondateur de Nouvelle Acropole, Jorge A. Livraga, « il est évident qu’on s’est trompé de chemin… Un nouveau moyen-âge s’approche et compte tenu de la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, on ne peut imaginer l’éviter. Une action réellement positive consisterait à aider à créer, sans espérer de miracles, et par petits groupes, un nouvel ordre des choses rétablissant entre les hommes des rapports inspirés de la tradition » (9), c’est-à-dire respectueux de l’intégrité de l’ensemble des êtres vivants et de la nature.
« Ce qui est sûr, rajoute Meadows, c’est que le futur sera marqué par un moindre usage d’énergie, un moindre confort de vie, une moindre consommation. Ce ne sera pas forcément pire. Ce sera différent. Vous êtes malheureux si vous n’obtenez pas ce que vous voulez ; pour redevenir heureux, vous avez donc deux moyens : obtenir plus, ou vouloir moins. Avant, l’approche était d’obtenir plus. Désormais, ce sera vouloir moins, ou vouloir autre chose. » (10). Ces phrases résonnent comme les exhortations de Marc Aurèle à ne pas chercher à ce que la réalité soit conforme à nos vœux, mais nos vœux à la réalité. 

Devenir philosophe pour construire le futur

C’est ainsi qu’apparaît pour Jorge A. Livraga la nécessité de la philosophie pour faire face au futur. Comme il l’écrivait : « L’histoire nous apprend que tout changement profond de l’humanité s’est réalisé au prix de grandes douleurs et de privations. Seul le courage personnel et collectif d’accepter les choses telles qu’elles sont nous placera dans de nouvelles réalités » (12). En tant que philosophe inspiré par Platon et les philosophies orientales, et dans la lignée de Gandhi, il pensait que la solution aux problèmes du monde viendrait de l’homme lui-même. Pour lui les changements nécessaires ne pourraient advenir qu’à travers la connaissance et la pratique de la philosophie, ferments d’une transformation en profondeur de l’individu. Il parlait d’un homme renouvelé qui était pour lui le véritable philosophe conscient que le bonheur ne dépend ni de la richesse ni de la pauvreté et qu’il y a d’autres valeurs au-delà de la fortune mondaine. Ainsi il préconisait le travail sur soi-même conjugué à la solidarité vis-à-vis d’autrui. « Il faut apprendre aux gens à vivre l’accélération des temps sans se laisser entraîner par elle… Nous vivons un grand paradoxe : nécessité d’un effort individuel, d’une grande construction de soi mais pour un ensemble. » (13). 

Plus de 60 ans après, Nouvelle Acropole compte près de 450 centres dans plus de 60 pays dans le monde, et rassemble des dizaines de milliers d’idéalistes en action pour construire un monde meilleur à travers la pratique d’une vie philosophique et des projets de volontariat. Une aventure pour le futur !

(1) Rapport commandé par le Club de Rome, publié en 1972. Il portait sur les conséquences d’une croissance démographique effrénée d’un point de vue écologique, économique, limitation des ressources et évolution démographique
(2) Les Limites à la croissance (dans un monde fini), édition des 50 ans, Dennis Meadows, Donnella Meadows, Jorgen Randers, Éditions rue de l’Échiquier, 488 pages, 14,90 euros.
(3) Groupe de réflexion regroupant des experts dont le but est de produire des études et d’élaborer des propositions dans le domaine des politiques publiques ou de l’économie
(4, 5, 7, 8, 10) Dennis Meadows : Le système actuel va disparaître, interview réalisé par Pascal Riché, paru dans le Nouvel Obs du 28 avril 2022
(6)  Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ouvert à tous les pays  membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il a publié un rapport en 2022 https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/
(9 et 12) La tragédie prophétie de Malthus, article de Jorge A Livraga, paru dans la revue Acropolis N° 73  (sept-oct 1983)
(13) Lettre ouverte aux utopistes, article de Jorge A Livraga paru dans la revue Acropolis n°75 (janv-fev 1984) 
par Isabelle OHMANN
Conférencière et formatrice en philosophie pratique à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page