La magie des relations humaines, deuxième niveau de la magie
Dans le premier article, nous avons vu qu’avec le premier niveau de la magie « la magie des sens », la Nature se jouait de nous en troublant notre mode de perception de la réalité. Aujourd’hui, avec le deuxième niveau de la magie nous allons découvrir une manière de nous étonner autrement.
La Nature, en se jouant de nos cinq sens, provoque chez nous des interprétations déformées du vivant, qui créent des leurres et nous font croire en des choses qui ne sont pas.
Cette réalité protéiforme, produite par la duperie de la Nature sur notre monde sensoriel, donne naissance à un véritable palais des glaces où chaque image se renvoie une fausse image d’elle-même. Nous sommes en plein simulacre, dans le labyrinthe des images inversées, le pays des apparences, le monde des ombres dont parle Platon dans le mythe de la caverne.
Ici, s’érige une réalité construite sur les faux-semblants. Là, le Réel se voile de nos préjugés, de nos idées toutes faites, de nos fausses croyances. En clair, nous vivons en pleine illusion. Nous vivons, dans la Maya (1) dont la philosophie orientale nous invite à nous libérer. Nous logeons dans la caverne dont la philosophie occidentale nous incite à nous y extraire. Pour y arriver, il faut s’ouvrir à une autre réalité. Le magicien peut nous y aider. Comment ?
Le rôle du magicien, un passeur
C’est au sein de cette ambiance, dictée par la croyance de ce que nos sens nous montrent, que le magicien (prestidigitateur) opère. Dans cette atmosphère de trompe-l’œil, tel un escamoteur (2) il se dresse en maître incontesté. Le magicien se joue de nous, comme la Nature le fait quand nous ne réfléchissons pas à ce qu’elle nous montre.
Par contre, il se distingue des usurpateurs à la morale douteuse. Ceux-ci connaissent les rouages de ce monde fait d’illusions et se jouent de nos cinq sens en détournant notre attention pour des fins inavouées. Ils agissent en vrais contrefacteurs. Ils profitent de notre incrédulité et de notre difficulté à discerner pour clamer de fausses vérités.
Aussi, si le magicien est escamoteur de nos cinq sens, il n’est pas un usurpateur car sa morale n’est pas en jeu. En s’amusant avec nous dans un consentement mutuel, il agit aussi comme un avertisseur d’illusions et d’abus que nous pourrions en faire. Ses intentions n’ont qu’un seul souhait, éveiller en nous l’âme de l’enfant qui sourit à la vie (comme l’enfant de l’Escamoteur, seul personnage qui tourne le dos au magicien). Il déroute nos sens mais dans un seul but, provoquer en nous un étonnement et un émerveillement, afin de nous rappeler à la magie de la vie et à sa providence. Sa morale ne lui fait pas défaut. Il joue un rôle de passeur. Il nous éveille à l’indicible. Il nous incite à chercher une autre magie, au-delà du monde de l’apparence. Il nous élève au rang du deuxième niveau de la magie, où la pratique de l’escamotage n’a plus sa place et où lui-même il perd ses galons de magicien de l’apparence.
À partir de maintenant ce n’est plus une question de technique mais d’authenticité de cœur. C’est l’invisible qui se met en jeu : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » dit le renard au « Petit Prince » (3). C’est la magie des sentiments, des intentions, des pensées purifiées, garantie par une morale qui s’allège du mensonge et des illusions. Elle est accessible à tous mais demande un préalable, la volonté de devenir meilleur.
Le deuxième niveau de la magie
Rappelons-nous la définition du mot magie. Il vient du perse ou la racine mag – magus qui signifie « science, sagesse ». La magie est donc une quête de sagesse.
Dans le deuxième niveau de la magie, fini les tours de passe-passe. L’étonnement doit surgir autrement. C’est la magie des liens et des conséquences qu’ils provoquent en nous et à travers nous.
« La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir les hommes : il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines » Saint-Exupéry (4).
Avec le deuxième niveau de la magie, l’homme n’est plus défini comme une somme de hasards. Au contraire, il cherche sens et orientation. Il sent une unité s’exprimer en lui et autour de lui. « Il découvre qu’il n’est pas un élément perdu dans les solitudes cosmiques, mais que c’est une volonté universelle qui converge et s’harmonise en lui ». Teilhard de Chardin (5).
Ici, la confiance de notre cœur doit l’emporter sur les méfiances de nos peurs. On y apprend à marier le monde. « Faire de la magie n’est autre chose que marier le monde » dit Pic de la Mirandole (1463-1494), grand philosophe et théologien de la Renaissance. Marier le monde, quelle beauté ! C’est sentir l’interdépendance qui anime le Micro et Macro bios et la responsabilité qui va avec. « L’histoire de l’univers c’est notre histoire car nous sommes tous des poussières d’étoiles » dit Trinh Xuan Thuan.
À ce niveau de la magie, plus rien ne vit isolé, tout est relié. C’est une beauté de sens qui se met en place. Ce qui nous apparaissait séparé retrouve son unité par une force d’attraction qui semble exister depuis la nuit des temps.
À son sujet, laissons parler le grand poète et philosophe de la Renaissance Marsile Ficin (1433-1499), directeur de l’académie platonicienne de Florence. « L’opération de la magie est l’attraction d’une chose par une autre en vertu d’une affinité naturelle… Ainsi, l’aimant attire le fer… Les œuvres de la magie sont donc des œuvres de nature (naturelle)… Et la Nature est appelée magicienne en vertu de cet Amour réciproque… Toute la puissance de la magie réside dans l’Amour ».
Eros, avec ses ailes vient nous frapper et nous éveiller à sa force de cohésion. Elle prend place et lieu avec la magie des correspondances. Grace à elle, l’Homme peut établir des liens, des ponts, entre ce qui semble s’opposer, entre le visible et l’invisible, entre le Ciel et la Terre. Il s’ouvre à l’indicible, a un langage qui dépasse le narratif et l’analytique. Il s’éveille à l’intelligence symbolique, à la pensée analogique et à une nouvelle logique, celle des complémentaires, la logique du ET. « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; ce qui est en bas est comme ce qui est en haut mais à l’envers », deuxième loi du Kybalion, principe hermétique égyptien.
Devant Eros s’ouvre un monde de reliance où les contraires sont unifiés, où les opposés s’attirent et s’harmonisent, où la dualité trouve son unité. Un voile se lève, un autre regard sur le monde prend lumière. « La magie est aimant qui attire les influx sidéraux, un moteur qui donne vie et esprit. Tout a un corps astral, une âme, un potentiel de lien » dit Paracelse médecin philosophe de la Renaissance (1493-1541).
En levant ces voiles, l’Homme vient de naître au pays de la concorde qui vibre sous un seul cœur qui bat en une seule fraternité. « L’homme n’est qu’un nœud de relations. Les relations comptent seules pour l’homme » Saint-Exupéry (6).
Ce nœud de relation est déjà présent en Egypte ancienne avec le symbole mythique du Semataouy ou la ligature des deux Égypte, étymologiquement celui qui réunit les deux terres
La preuve est faite : la magie du deuxième niveau est une magie de lien, d’harmonie, d’interdépendance, de concordance, de mise en relation, d’amour. On ne peut plus tricher car on joue avec les sentiments humains et leur esprit de concorde.
Outre le Semataouy, les symboles du deuxième niveau de la magie sont multiples.
Nous pouvons retenir, l’arbre de vie, l’Ankh ou la clef de vie égyptienne qui plus tard deviendra le symbole de la planète Vénus et des énergies féminines de la vie, le crochet Heka qui veut dire magie et qui accompagne le pharaon, le métier à tisser qui tisse les relations, l’union des deux mains, le cœur qui bat pour insuffler la vie, la tresse à trois nœuds, symbole hiéroglyphique de Heka la magie, mais aussi la corde à trois nœuds symboles des trois mondes humains chez les pythagoriciens, les platoniciens, et les philosophes de la renaissance. « Un esprit cosmique (Spiritus mundi), intermédiaire entre l’Âme du monde (Anima mundi) et le corps du monde (Corpus mundi) vivifie tout ; le mage peut attirer cet esprit » dit Marsile Ficin (1433-1499)
Le reflet du deuxième niveau de la magie dans le monde d’aujourd’hui
Des sciences sont le reflet de cette magie des liens : l’astrophysique et ses lois d’interdépendance, l’écologie et le principe de coresponsabilité qui en découle, la physique quantique et le monde ondulatoire, la théorie du chaos et l’effet papillon exprimée par Edward Lorenz (7) en 1972, la psycho-physique et l’étude de la synchronicité définie par C.G. Jung et le génie de la physique Wolfang Pauli (8), la psychologie Jungienne et sa pensée « L’individuation n’exclut pas l’univers, elle l’inclut », l’astrologie qui nous place face aux correspondances entre le ciel et la terre…
Dans la vie humaine cette magie du deuxième niveau se reflète par le principe d’amitié, de fraternité, d’union, de solidarité, d’empathie, de mariage, de compénétration. On se laisse apprivoiser.
Ce niveau de la magie qui nous unit, nous relie, apparaît dans la poésie, la musique, les arts, les relations humaines dans la vie sociale et citoyenne.
Trois films l’ont mise en scène, Le prestige de Christopher Nolan (9), Les Insaisissables de Louis Letterrier (10) et Magic in the Moonlight de Woody Allen (11).
Ce niveau de la magie nous fait gravir une marche de plus vers la quête de la sagesse. Il nous demande d’être vrai, de sortir de nos zones de mensonge. Nous y mettons en jeu les sentiments humains, la confiance. Ce n’est plus une magie d’artifice mais d’engagement moral et de quête d’authenticité. Elle s’adresse à tout le monde. Elle tisse le substrat sur lequel nous allons pouvoir bâtir la troisième marche qui conduit au troisième niveau de la magie, la magie du mystère, source du prochain article.
Laissons le dernier mot aux peuples premiers qui n’ont jamais cessé de respecter cette forme de magie.« Quand la terre est triste les rivières débordent ».
Tout est vivant, tout est relié, rien de vit isolé, tout ne fait qu’un : « La goutte est dans l’océan, l’océan est dans la goutte ».
Élevons notre cœur et la magie des liens résonnera en nous et nous la sentirons dans l’âme de la Beauté, dans les forces de l’Amour. « Vous devez perdre votre cœur et le chercher dans toutes les directions. Quand vous le retrouverez-vous serez qu’il est le cœur de toutes choses. » dit Sri Ram.
La magie du deuxième niveau conduit à la voie du cœur. Ayons le courage de suivre ses pas…