La nouvelle agriculture vue par un roi éclairé
L’actualité du décès de la Reine Elisabeth a été l’occasion d’une (re)découverte de son grand engagement et de son absolue abnégation d’elle-même au profit de sa fonction et mission tant temporelle qu’atemporelle, mais elle a été également l’occasion de mieux découvrir le nouveau roi qui lui succède, Charles III.
Nous savions le Prince Philippe très investi dans l’écologie et la protection de la biodiversité et son fils, Son Altesse Royale, le Prince de Galles (le futur Charles III) a repris le flambeau.
Dans la ligne des sujets que nous voulons aborder dans cette rubrique, le discours que le prince Charles tint il y a cinq ans lors de l’ouverture du Congrès international de biodynamie à Bâle en Suisse en février 2017 nous paraît important pour donner sens et crédibilité, au-delà des approches scientifiques et philosophiques qui sous-tendent nos articles, à cette vision de l’avenir humain par la protection de la nature et de la biodiversité.
Voici le texte traduit de son discours :
Créer un sol fertile – de la culture à la nature
« Comme vous le savez, le thème du sol m’a toujours été très cher. La manière de cultiver les sols est d’une importance capitale pour assurer le futur de la santé biologique de notre planète. La vision de Steiner (1) est d’une grande actualité, il était visionnaire, et si les conseils qu’il donna à l’époque avaient été plus largement reconnus et leur application adoptée dans la pratique, sans doute, une grande partie des dommages que l’agriculture intensive inflige depuis longtemps à notre planète auraient été évités : dégradation des sols, destruction de la biodiversité qui enrichissait autrefois la production alimentaire, ainsi que la santé et une vitalité amoindrie de nos aliments auraient pu être évitées.
Au lieu de cela, il a fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour que les gens réalisent finalement que nous avions engendré un ensemble de comportements qui affectent la fertilité des sols.
Cette façon de voir les choses, impulsée par Steiner n’était pas neuve, même en 1924.
Ces équilibres étaient déjà connus de civilisations plus anciennes et pourtant le savoir a été perdu au fil du temps du fait de notre pensée scientifique réductionniste si fortement ancrée dans les esprits scientifiques aujourd’hui encore.
Je ne peux m’empêcher de croire que nombreuses sont les agricultures qui ont encore, profondément enfouie en eux, une compréhension intuitive de ces équilibres et qui savent au fond de leur cœur combien les produits chimiques et les monocultures sont néfastes sur le long terme.
Dans un monde idéal, ils voudraient bien plus prendre soin de la terre qu’ils cultivent pour la préserver, l’améliorer dans une approche holistique.
Le problème auquel ils sont confrontés est que le système économique dominant échoue à accorder un prix aux résultats positifs d’une telle approche, laissant la majorité des agriculteurs captifs d’un engrenage de production intensive, sans autre possibilité que celle de produire des aliments dont le moindre coût apparent ne reflète pas leurs vrais coûts de production.
La question est bien sûr de savoir si l’on peut faire quoi que ce soit pour améliorer cette situation. Et bien sûr pour nous, la nature est remarquablement résiliente, et il n’y a aucun doute, selon moi, que ce capital perdu au cours de cette période d’agriculture intensive puisse être restauré si toutefois on adoptait une démarche radicalement différente.
Vous pouvez peut-être imaginer ma joie lorsque j’ai appris lors de la COP 21 l’année dernière, le lancement par le ministre de l’agriculture français, Stéphane Le Foll, de l’initiative en faveur des « 4 pour mille ».
Le calcul qui sous-tend cette initiative et qui lui donne son nom est que si la quantité de carbone dans le sol pouvait augmenter de 0,4% par an, alors, l’augmentation annuelle de gaz carbonique dans l’atmosphère pourrait être stoppée.
Les mêmes mesures pourraient évidemment augmenter la fertilité du sol, une des principales raisons pour laquelle je me suis converti à la culture biologique il y a plus de trente ans.
Mesdames et messieurs, j’ai mis à profit de nombreuses années et beaucoup de persévérance pour faire l’éloge du travail avec la nature afin que les forces positives que sont celles d’un sol sain, de céréales saines et d’animaux sains puissent produire une nourriture saine pour les humains.
Donc, cela ne vous surprendra pas d’apprendre que cela est extrêmement important pour moi et que je salue cette initiative qui arrive à point nommé, dont seul le temps dira jusqu’où elle mènera. Mais j’ai récemment accueilli à Londres un congrès international sur le paysage favorable au climat, et nous avons entendu que 180 gouvernements ont déjà signé et que des progrès sont en attente du fait de la COP 22 (2) de la semaine dernière.
Certes, nous sommes encore loin d’un avenir où la mission la plus importante des agriculteurs serait de faire office de « gérants » du carbone en cultivant leurs céréales en alternance avec des prairies de légumineuses et graminées qui favorisent la fertilité du sol et sur lesquels peut paitre le bétail qui, aux yeux de Rudolf Steiner, était l’âme du paysage, mais nous sommes certainement plus proches que jamais.
La tâche de la biodynamie est de restaurer la santé et la force de vie de nos sols, et peut donner une forme plus durable à nos futurs systèmes de production alimentaire ».