Sciences humaines

La personne humaine dans l’œuvre de Carl Gustav Jung

L’individu en son entier demeure au centre de l’œuvre de Jung. Dans les profondeurs de son âme existent des puissances qu’il lui faut assimiler sous peine de connaître la barbarie.

Jung tentait de faire prendre conscience à l’individu des virtualités insoupçonnées qu’il recelait en lui.
Jung tentait de faire prendre conscience à l’individu des virtualités insoupçonnées qu’il recelait en lui.

« Ma vie est imprégnée, tissée, unifiée par une œuvre, et axée sur un but, celui de pénétrer le secret de la personnalité » (1) disait Carl Gustav Jung. Quand on étudie son œuvre, on est frappé par l’importance accordée à l’homme en tant qu’individu dans sa totalité.
Au plus large public s’adresse cet essai, à tous ceux désireux de s’instruire sur la pensée philosophique de Jung.

C.G. Jung, la découverte de l’inconscient collectif

Carl Gustav Jung est né en Suisse, d’une famille d’origine allemande. Fils de pasteur, il fut vite amené à se poser des questions religieuses. Plus que les implications sociales de la religion, l’intéressaient les raisons profondes expliquant ses manifestations, tout ce qui se rattachait à la vie personnelle de l’individu.
Plus tard, son métier de psychologue le plongea de plain-pied dans la complexité de la nature humaine. « Je traite chaque malade aussi individuellement qu’il m’est possible, car la solution du problème est toujours personnelle » (2) disait-il. Jung donne à l’inconscient un caractère plus vaste que celui que lui accordait Freud. En lui, existe une structure commune à tous les hommes appelée inconscient collectif. Les contes, mythes et légendes de toute sorte en sont l’expression.

Les voyages qu’il fit de par le monde, en Afrique du nord, en Afrique noire, en Amérique, en Inde, la psychologie des peuples qu’il eut à connaître le renforcèrent dans cette conviction. Loin de l’Europe et de la primauté donnée à la dimension intellectuelle de l’humanité, c’est à un vieux fond émotionnel que le voyageur était confronté, dans lequel il se ressourçait. « Mes forces psychiques libérées plongeaient à nouveau, avec félicité, dans l’immensité du monde originel » (3).

Caractère irréductible de la personne humaine

Jung tentait de faire prendre conscience à l’individu des virtualités insoupçonnées qu’il recelait en lui.
Certains philosophes l’ont influencé, ainsi Socrate. La célèbre injonction qu’il légua à l’humanité « Connais-toi toi-même », ne pouvait qu’aller dans le sens des conceptions du psychologue chez qui toute l’œuvre est justifiée par une étude toujours plus avancée de l’âme humaine. Platon a eu aussi son importance. « Deviens ce que tu es » conseillait le philosophe athénien. « L’homme doit vivre selon sa nature propre » disait C.G. Jung.

L’harmonie avec la nature, l’union entre l’âme et le corps, le lien avec les choses, voire avec notre foyer, sont autant de vecteurs de l’harmonie intérieure. La relation humaine joue un rôle essentiel en empêchant de se confondre avec la fonction exercée dans son métier, pour preuve les crises de larme de Bismarck, trop absorbé par sa fonction de chancelier.

La lumière doit être confrontée à l’obscurité, la conscience doit être en contact avec l’inconscient
La lumière doit être confrontée à l’obscurité, la conscience doit être en contact avec l’inconscient

Conscience humaine et nature primitive

La lumière doit être confrontée à l’obscurité, la conscience doit être en contact avec l’inconscient. Si l’inconscient personnel peut être malade, l’inconscient collectif ne l’est jamais et l’on peut toujours s’appuyer sur lui en cas de crise. Le facteur émotionnel joue en la mesure un rôle capital. « Un choc au visage, par exemple pourrait être à l’origine des premières réflexions de l’individu sur lui-même » disait le savant.
Sous l’inspiration du catholicisme et du cartésianisme, l’homme a établi une dichotomie entre sa conscience claire et les profondeurs obscures qui l’habitaient. Mais l’inconscient fait toujours sentir sa puissance et l’on ne peut l’ignorer sans subir un retour en force des monstres y demeurant. Cette nature instinctuelle était bien représentée dans les anciennes traditions par l’animal. Précepteur d’Achille, le centaure Chiron suggérait par sa nature duale qu’il était bon d’enseigner à son illustre élève l’existence en lui de deux natures, l’une intellectuelle, l’autre brutale. Ce danger, l’encourent les peuples colonisateurs mis en face d’indigènes d’une psychologie différente. Cette tendance fut par exemple celle à laquelle céda le peuple américain confronté aux Indiens dominés.

L’homme en proie au démon d’orgueil

À juste titre le christianisme a fait de l’orgueil le premier des sept péchés capitaux.
Quand Dieu créa l’homme, il le mit au sommet de la Création, à mi-chemin entre Lui et le monde naturel, faisant de lui un maître responsable ayant une pleine conscience de ses actes. « Si tu sais ce que tu fais, tu es heureux ; mais si tu ne sais pas ce que tu fais tu es damné » (4) disait le Christ. De maître responsable, l’homme tendit à se comporter en maitre irresponsable, ainsi que le montrent les drames de Tchernobyl et de Fukushima.

La personne humaine dans l'œuvre de C.G.Jung par Didier Lafargue
La personne humaine dans l’œuvre de C.G.Jung par Didier Lafargue

La démesure humaine acquiert un caractère particulièrement aigu dans le domaine de l’idée. Au nom d’une idée pouvaient être mobilisés les élans collectifs dans lesquels l’individu était noyé et perdait sa liberté. L’idée justifiait alors l’idéologie. Cette menace sur la conscience individuelle a été incarnée par l’Eglise puis, au XXe siècle, « par les États totalitaires qui réclament le pouvoir non seulement temporel, mais aussi spirituel » (5). Ces excès s’expliquent par une faiblesse ressentie par les hommes en proie au doute et à la peur. Le danger extérieur peut tout aussi bien mobiliser les passions et contre celui-ci la guerre sainte, religieuse ou laïque, représente toujours la même abdication de soi.
Autrefois appliqué aux peuples étrangers, le terme barbare désigne aujourd’hui l’inconscience des hommes. « La barbarie est partialité, manque de mesure, bref, défaut de proportion » (6).

Aujourd’hui, l’être humain semble atteint de démesure pour ne plus respecter la nature, la vie, ses semblables. Il semble urgent qu’il se reconnecte avec lui-même, avec la Nature et les autres pour retrouver l’harmonie.

(1) Carl Gustav Jung, Ma vie, Éditions Gallimard, 1966. 2e édition, 1967, page 240
(2) Carl Gustav Jung, Ma vie. Ibid., page 157
(3) Carl Gustav Jung, Ma vie. Ibid., page 304
(4) Carl Gustav Jung, Psychologie et religion, Éditions Buchet/Chastel, 1958, page 156
(5) W.Mc Guire et R.F.C.Hull, C.G. Jung parle. Ibid., page 103
(6) Carl Gustav Jung, Types psychologiques, Éditions Georg éditeur S.A., 1991, page 81
Par Didier LAFARGUE

La personne humaine dans l’œuvre de Carl Gustav Jung, Tome 1
Par Didier LAFARGUE
Les éditions du Désir, 2016, 330 pages, 22 €

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