Spiritualité

La sagesse des animaux

Le bouddha a rapporté des « histoires de naissance » qui en disent long sur la loi du « Karma ».

Le Bouddha expliqua à ses disciples qu’il s’était déjà incarné de nombreuses fois, au temps jadis, sous des formes végétales, animales puis humaines. Chacune de ces incarnations lui avait permis de pratiquer le détachement et le don de soi afin de se préparer à devenir un Maître au service de la libération de l’humanité et de la création entière des chaînes de l’ignorance. Ces récits, nommés Jataka, « histoires de naissance », font partie du Sutra pitaka (1) et rapportent des histoires bouddhistes et plus anciennes où l’on apprend des leçons simples sur l’inéluctable loi du karma (2) ou loi de rétribution.

Le roi singe

Le roi des singes régnait sur quatre-vingt-quatre mille singes et habitait dans les montagnes de l’Himalaya, près des sources du Gange. Non loin du fleuve, poussait un arbre splendide. Il se couvrait au printemps de belles fleurs blanches qui devenaient par la suite des fruits savoureux et doux. Les singes vivaient à l’ombre de cet arbre et se nourrissaient de ses fruits. Ils mangeaient les fleurs et cueillaient les fruits qui ne devaient pas tomber dans le fleuve, suivant les directives de leur chef. Celui-ci, en effet, leur avait expliqué que si ses fruits tombaient dans le fleuve et allaient vers la vallée, des hommes pourraient les trouver et remonter le fleuve pour s’en emparer. Ce serait la famine et la mort pour leur tribu de singes.
Ils suivaient scrupuleusement ces instructions jusqu’à ce qu’un jour, sans qu’ils s’en aperçoivent, un fruit tomba dans l’eau et fut recueilli des kilomètres plus loin, près de Bénarès, par des pêcheurs du roi Brahmadatta. Ils présentèrent la délicieuse mangue au roi qui fut émerveillé par sa forme et son  goût. Il décida de remonter le Gange avec un équipage pour retrouver l’arbre où poussait ce fruit unique.

Sur place, ils trouvèrent de nombreux singes qui sautaient dans les branches. Le roi décida de leur donner la chasse. La nuit suivante, ils pourraient manger à la fois la chair des singes et les doux fruits du manguier. Ils se préparèrent à les tuer à l’aube.
Les singes, encerclés, avaient entendu les menaces du roi. Le roi singe les rassura. Il monta jusqu’à la plus haute branche et, d’un saut gigantesque, il retomba sur un arbre de l’autre rive. Là, il s’empara d’une longue liane mais, aussi longue fût-elle, elle restait plus petite que la largeur du fleuve. Alors, il retraversa après avoir attaché un bout de celle-ci à un arbre. Et, tenant la liane dans une main et une branche dans l’autre, il demanda à ses quatre-vingt-quatre mille sujets de passer sur son dos puis sur la liane pour traverser le fleuve. Quand ce fut le tour du dernier, nommé Devadatta, celui-ci sauta violemment sur le dos du roi singe, lui brisant la colonne vertébrale.

Le roi Brahmadatta qui avait assisté à la scène en fut ému. Il fit descendre le roi singe de l’arbre, le fit laver, parfumer, habiller de fins vêtements. Il lui donna à boire. Il lui demanda qui il était, lui qui venait de sacrifier son corps pour sauver ses sujets.
Le roi singe expliqua que son devoir était de servir ses sujets en danger. C’est pourquoi il n’avait pas hésité à donner sa vie pour eux. Il émit le conseil suivant : « Ce qui fera de vous un bon roi n’est pas votre épée, mais l’amour. Ne gouvernez pas vos sujets par la force mais par l’amour. »
Ces paroles dites, il ferma les yeux et mourut. Le roi et son peuple prirent le deuil et on lui fit construire un temple pour que ses paroles ne tombent pas dans l’oubli.
Depuis ce jour, Brahmadatta gouverna son peuple avec amour et justice.

Les chiens coupables

Un roi parcourut un jour sa ville dans son char tiré par six chevaux blancs. À la tombée de la nuit, lorsqu’il rentra, les chevaux furent conduits à l’écurie et les harnais laissés dans la cour.
Pendant la nuit, il se mit à pleuvoir. Alors, les chiens du palais commencèrent à jouer avec les harnais trempés et ramollis par l’averse. Ils jouèrent toute la nuit et les laissèrent en lambeaux. Le lendemain, les garçons d’écurie annoncèrent au roi la nouvelle, disant que les coupables étaient probablement des chiens.
Le roi, furieux, décida de faire tuer les sept cents chiens de la ville. Ceux-ci, une fois au courant, se mirent à pleurer. Ils se rendirent chez leur chef. Averti de la situation, celui-ci précisa qu’il était impossible aux chiens de la ville de pénétrer dans le palais et que, par conséquent, les coupables devaient être les chiens du roi. Il entreprit de le lui prouver.
Il consola ses compagnons et marcha vers le palais. Chaque fois qu’il rencontrait des gardes prêts à le tuer, il les regardait avec des yeux si pleins d’amour que personne n’osa le toucher. Il parvint donc jusqu’au palais royal dans la salle de la justice où le roi se tenait avec ses courtisans. Quand on le vit arriver avec son regard ardent, tous firent silence.
Il demanda au roi si c’était bien lui qui avait ordonné de tuer tous les chiens et dit :
– Quel mal ont-ils fait ?
– Ils ont détruit les harnais de cuir du char, répondit le roi.
– Quels chiens ont commis ce méfait ?
– Je l’ignore, c’est pourquoi j’ai ordonné qu’ils soient tous tués.
– Certains auront-ils le droit de vivre ?
– Les chiens royaux auront le droit de vivre.
– Ô roi, dit le chien d’une voix douce, votre ordre est-il juste ? Pourquoi les chiens du palais seraient-ils innocents et les autres coupables ? Vos favoris seront sauvés et ceux que vous ne connaissez pas doivent mourir. Est-ce votre justice ?
Le roi lui demanda de s’expliquer. Le chien affirma que les coupables étaient les chiens royaux et qu’il pouvait le prouver. Il suggéra qu’on leur fasse boire de l’herbe kousa et du petit-lait. Alors, les chiens royaux vomirent des lambeaux de cuir. Leur culpabilité reconnue, ils furent châtiés.
Le roi reconnut la véracité des paroles du chef des chiens, « vraies et pures comme les gouttes de pluie qui tombent du ciel ». Depuis ce jour, tous les chiens de la ville eurent riche nourriture et protection royale.

Le chien affamé

Il était une fois un roi qui opprimait son peuple et qui était haï de tous ses sujets. Cependant lorsque le Tathagata (3) fut dans son royaume, il voulut ardemment le voir, de telle sorte qu’il se rendit dans le lieu où se trouvait le Bienheureux et lui dit :
– Ô Shakyamuni (4) ! Peux-tu prêcher au roi un sermon qui réjouisse son cœur et lui soit profitable ?
Le Bienheureux répondit :
– Je vais te raconter la parabole du chien affamé. Il était une fois un tyran très cruel. Le dieu Indra, sous la forme d’un chasseur, descendit sur terre avec le démon Matali qui avait pris la forme d’un chien terrifiant. Le chasseur et le chien entrèrent dans le palais. Le chien se mit alors à aboyer de façon si plaintive que l’édifice royal s’ébranla jusque dans ses fondations. Le tyran fit amener devant son trône le chasseur et lui demanda les causes d’un si terrible aboiement.
– Ce chien a faim, répondit le chasseur.
Le roi, inquiet, ordonna qu’on lui donne à manger. Toute la nourriture préparée pour le festin royal disparut rapidement dans la gueule du chien, qui hurlait toujours de façon aussi terrifiante. Bientôt, les greniers royaux furent vidés. Désespéré, le tyran demanda :
– N’y a-t-il rien qui puisse satisfaire l’appétit de cette horrible bête ?
– Rien, répondit le chasseur, à l’exception de la chair de ses ennemis.
– Et quels sont ses ennemis ? s’enquit le roi.
– Le chien aboiera, répliqua le chasseur, tant qu’il y aura des affamés dans le royaume. Ses ennemis sont ceux qui exercent l’injustice et oppriment les pauvres.
Le despote, se rappelant ses mauvaises actions, éprouva du remords et, pour la première fois de sa vie, écouta la voix de la justice.

Une fois son conte achevé, le Bienheureux s’adressa au roi qui était très pâle :
– Le Tathagata aiguise l’ouïe spirituelle des puissants. Si tu entends hurler le chien, ô roi, pense aux enseignements du Bouddha. Et tu pourras apprendre à apaiser le monstre.

(1) Corbeille du discours. Contient l’essentiel de la parole du Bouddha. Il comporte plus de dix mille suttas. Il est divisé en cinq collections appelées Nikāyas
2) Loi de cause à effet. Chaque action, pensée ou parole engendre une conséquence
(3) Traduit par « Celui qui a trouvé la Vérité » ou « Celui qui vint ». Terme désignant un être parvenu à l’illumination suprême sur la Voie de la Vérité. Un des nombreux noms du Bouddha dans le canon pali
(4) Traduit par « Sage des Sakyas » (tribu de guerriers ou ksatryas au nord, dans la péninsule indienne). Autre nom de Siddharta Gautama ou Bouddha
Texte extrait de
Vie et enseignements du Bouddha
par Jorge A. Livraga et Laura Winckler
Éditions Nouvelle Acropole, 2005, 112 pages
par Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole France
© Nouvelle Acropole

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