Le mystère de la Dame de Lespugue perle de la Préhistoire
Il y a au moins 45 000 ans, les hommes et les femmes préhistoriques ont clairement cherché à s’exprimer au moyen d’images. Parmi les nombreuses représentations figuratives d’humains ou d’animaux et les innombrables signes géométriques qu’ils ont créés, on peut souligner la mystérieuse Dame de Lespugue.
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La statuette de la Venus de Lespugue fut découverte en 1922 par René et Suzanne de Saint-Périer dans la grotte des Rideaux, une des grottes de la Save située dans les gorges de la Save à Lespugue (Haute-Garonne).
Le secret de la Dame de Lespugue dévoilé
C’est une statuette en ivoire de mammouth dont la datation oscille entre la période aurignacienne (-38 000 ans) et la période gravettienne (-28 000).
La tête est petite et ovoïde, dépourvue de détails anatomiques. Elle porte des traits gravés plus ou moins parallèles, descendant jusqu’aux trois-quarts de la face à l’avant et jusqu’aux omoplates à l’arrière ; ces traits sont généralement interprétés comme une figuration de la chevelure. Les seins et les fesses sont très volumineux, pratiquement sphériques. Les jambes sont courtes et se terminent par des ébauches de pieds. Sur la face dorsale, une série de stries verticales parallèles part d’un trait horizontal situé sous les fesses. Si on inverse la statue, ces stries constituent une longue chevelure tressée. Le personnage est double, de dos, une exubérante matrone, de face une figure au torse maigre, au visage sans regard, comme une jeune adolescente.
Il est impossible de savoir s’il s’agit d’une femme ou d’une déesse. Mais, il est certain qu’elle synthétise la quintessence du féminin.
Les travaux de l’historienne Nathalie Rouquerol sur la Vénus de Lespuge
Nous devons rendre hommage au travail minutieux et de cœur de la préhistorienne Nathalie Rouquerol qui, dans son livre La Venus de Lespugue révélée (2) très pédagogique et bien illustré, porte un regard novateur et profond à cette œuvre d’art très ancien et atemporel qui est la Dame de Lespugue et qui nous parle de la perception subtile de ces artistes ancestraux.
Nous allons entrouvrir les portes de ce mystère en suivant les intuitions remarquables de Nathalie Rouquerol, tout à fait acceptées par la communauté scientifique. « La Dame de Lespugue n’est inféodée à aucune époque, à aucune culture, elle appartient à toutes […] ce qui ne lui empêche pas d’avoir été, qui sait, figuration d’une femme aimée, considérée comme protectrice des mères lors des accouchements et de l’enfant espéré, avec le savoir et le réconfort assurés par des femmes plus âgées lors de ces événements marquants de la vie, dans bien de civilisations, ce que la statuette présente également. […] Prenons la statue dans la main pour qu’elle nous livre son secret venu du fond des âges : la Dame de Lespugue joue une pièce en cinq actes et peut être en un préliminaire voluptueux, un acte sexuel suggéré, comme plusieurs auteurs l’ont vu par l’incorporation d’un phallus. » (3)
Acte I : la naissance
Lorsqu’on renverse la statue et on la regarde en plongeant, on voit que le menu haut du corps jaillit d’un bassin distendu, la tête, les épaules et le torse sont passés, le nouveau-né est vivant. Il s’agit de représenter une naissance. L’être qui naît est menu, les cheveux plaqués sur son visage où le regard sur le monde n’est pas encore ouvert. Ce petit corps est en train d’émerger du ventre de la mère.
« Le centre ventral est poussé à son extrême mathématique, mesuré avec une précision millimétrique. […] Le secret de l’auteur est de dire « « regardez en son sein, regardez au centre, de ce centra naît la vie, commence l’histoire ». » (4)
Acte II : l’adolescente
En plaçant la figurine à la verticale, on perçoit le profil fin et délicat d’un être gracile, frêle, svelte, le léger arrondi du dos accentuant la posture en avant des épaules, mais surtout sans aucun attribut féminin. « Jeune encore, sa pose innocente et craintive […] se penche sur ce ventre dont elle est sortie, en même temps que vers son avenir, souhait d’accomplissement où pointe quelque anxiété. » (5)
Acte III : la femme mature
Reprenant la figurine de dos, dans un sens, on a le dos d’une jeune personne aux cheveux raides sur les épaules et, en la retournant, une corpulente femme mature avec une chevelure longue et épanouie, qui décrit l’écoulement du temps. Une chevelure parée. « La jeune fille timide est devenue, avec les années, une femme et mère adulte, car la sculpture nous montre la même personne. » (6)
« Ce mouvement de bascule haut/bas du dos met en valeur la corpulence de l’une, la luxuriance de son apparence, la force de sa présence. […] Elle en impose (7).
Acte IV : celle que je suis devenue
Contemplons à nouveau la figurine de face. La jeune fille, de sa tête penchée, dirige son regard vers le bas « et s’attarde sur le ventre, centre de la vie que portera à son tour la future mère et qui rend manifeste l’apogée désirable du destin féminin. » (8) Elle expose les attributs sexuels et maternels.
« Les actes I à IV matérialisent donc les mouvements clés de la vie humaine, la naissance, l’adolescence (puberté), la femme accouchant, la matrone superbe, autour de ce centre ventral (et ventre central), celui-là même dont elle est sortie et qui a porté aussi sa progéniture. »
Acte V : l’origine de la vie, l’espérance d’une lignée
En tournant sans fin la statuette, le cycle de la vie se renouvelle une et mille fois, pour montrer la continuité de la lignée qui passe par les phases du nouveau-né, l’adolescente, la femme qui enfante, la femme mûre et ainsi de suite. Lorsque d’un coup, on arrête le mouvement et on couche la figurine qui n’est pas conçue pour rester debout, on sent le glissement du corps, rendu vivant par le mouvement, qui parvient à cet instant radical et solennel de la mort.
« Les Dames de Lespugue transcendent le destin individuel et condense l’instant du sculpteur, celui de sa propre vie et son contexte, avec la durée, celle du mystère de l’origine de la vie, sa perpétuation, son espérance d’une postérité » (9). Une fois, le sacrifice des individus garantit l’immortalité de l’espèce.
La naissance de la conscience humaine à travers l’art
De nombreux chercheurs confirment que nos lointains ancêtres sont devenus humains au travers d’une pratique artistique ainsi que par les rites funéraires. Approcher la Préhistoire c’est découvrir la conscience que l’humanité se forge d’elle-même.
« Nous sommes tous enfants d’une même préhistoire et d’une même pensée symbolique qui a duré plus de 20 000 ans et a été notre bien commun à tous sur la planète, c’est donc d’universalité que cet art témoigne. » (10)
Savoir recevoir et envoyer une lettre
Nathalie Rouquerol clôture une conférence organisée par la société des Amis du Musée d’archéologie nationale (11) avec cette image belle image d’une lettre. « Le message est qu’après la mort, il faut recommencer sans cesse… À qui ce message est destiné ? Au bout de x fois, c’est nous les destinataires ultimes, c’est nous. C’est cela l’histoire extraordinaire de cette œuvre. C’est comme si la culture paléolithique s’adressait à nous et cette statuette nous fait recevoir cette lettre qui est troublante et merveilleuse. L’artiste nous a envoyé une lettre et je me demande si aujourd’hui nous envoyons une lettre à des destinataires à des milliers d’années devant nous, qu’allons-nous mettre comme message dans cette lettre ? Je ne suis pas sûre qu’on ait une lettre aussi positive et merveilleuse que celle que cet artiste nous a envoyée par-delà les millénaires. »