Spiritualité

Les exercices spirituels dans les écoles de philosophie antiques                              

« Soyons simples, vrais, naturels, et le philosophe qui sommeille en chaque homme
se réveillera inexorablement. »

Jorge Angel Livraga
fondateur de Nouvelle Acropole

Dans l’Antiquité, la philosophie était enseignée comme un ensemble de connaissances incluant toutes les disciplines, mais surtout comme un art de vivre au quotidien. Avec Socrate, la philosophie trouve sa pleine expression, dans la pratique volontaire et personnelle qui opère une transformation sur l’individu. Pour cela, étaient préconisés les exercices spirituels.

La philosophie est une voie de formation. C’est en mettant les enseignements en pratique, que l’apprenti philosophe se transforme. De ce point de vue, le véritable philosophe n’est pas celui qui parle mais celui qui agit. L’action, autant interne qu’externe, implique un certain mode de vie, une direction spirituelle, des examens de conscience, des exercices de méditation et elle correspond aussi à la bonne manière de vivre comme citoyen dans la cité.

Une bonne entente

Le but de la philosophie est de parvenir à vivre en bonne entente avec soi-même, les autres et l’univers. Il s’agit de chercher la manière la plus juste d’accomplir ses devoirs envers ces trois domaines de la vie. Comme le dit Épictète « Qu’est-ce que l’homme ? Une partie de la Cité, de la grande Cité, celle des dieux et des hommes et de la petite, à l’image de la cité universelle. » (1)

Pour cela, le philosophe emprunte une voie de formation du corps et de l’esprit. Il apprend à se préparer aux difficultés de la vie, à se détacher et à mourir, pour s’intégrer à une dimension plus universelle qui le transcende. Elle lui permet de sortir de son moi « partial et partiel » pour parvenir à une vision objective à la lumière de la Raison (Intelligence universelle selon les stoïciens, Logos selon Platon).

Les trois axes de la philosophie

L’étude de la philosophie comprend trois axes de travail qui se transmettent à travers un discours et se vivent par la pratique :
– l’Éthique permet de comprendre la nature humaine et les qualités à développer pour maîtriser son corps, son âme et son esprit, afin de faire naître en lui l’harmonie comme reflet de la sagesse, pour vivre pleinement sa nature humaine.
– La Logique aide à penser de manière correcte et à exercer sa pensée au quotidien, en développant l’art du dialogue et de l’échange.
– La physique modifie l’attitude envers le cosmos, permettant de voir les choses telles qu’elles sont, prendre conscience de faire partie d’un tout, accepter son déroulement nécessaire (cycles, alternances, vie et mort), contempler l’univers dans sa splendeur, reconnaître la beauté des choses les plus humbles et parvenir à une perception désintéressée du monde que l’on redécouvre comme la première fois.

Apprendre à vivre quotidiennement

Avant tout, la philosophie est une thérapeutique des passions, qui provoquent souffrance, désordre, inconscience, par des désirs désordonnés ou des craintes exagérées. Un certain nombre de pratiques permettent de vivre pleinement chaque jour de l’existence en essayant de trouver la meilleure harmonie en soi et avec les autres. Au réveil, en considérant chaque instant comme unique et exceptionnel, s’éveiller et prendre bien possession de soi-même se rappelant pourquoi nous nous levons.

Comme le dit Marc Aurèle « c’est pour faire œuvre humaine que tu te lèves chaque jour ». Ceci met en mouvement la volonté. Ensuite, anticiper mentalement, avant d’entrer en action, le déroulement de la journée et l’intention que nous porterons à chaque instant, rencontre, action ou difficulté, tout en restant ouverts à la part d’inconnu que la journée réservera. Ceci met en mouvement l’imagination. Tout au long de la journée, se rappeler ses devoirs, pour essayer de bien les accomplir dans chacune des actions, sans se laisser emporter par les passions, mais guidés par l’Intelligence et éclairés par le Moi universel, plutôt que le moi partial et partiel. S’observer, se maîtriser et se corriger dans l’action. Ceci met en marche la concentration et l’attention. L’attention est une conscience de soi toujours éveillée, qui facilite la vigilance en la concentrant sur le minuscule moment présent, toujours maîtrisable, dans son exiguïté, tout en ouvrant la conscience à la valeur infinie de chaque instant.

Des règles de vie

Pour avoir toujours sous la main les principes, il faut mémoriseret méditer la règle de vie. En mobilisant l’imagination et l’affectivité en plus de la pensée, il faut les appliquer à toutes les circonstances de la vie, car il ne s’agit pas d’un simple savoir mais d’une pratique qui conduit à une transformation de la personnalité. Et le soir, en se couchant, se remémorer l’action du jour pour en tirer des enseignements utiles et engranger l’expérience. Réaliser l’examen de conscience pour faire le bilan de ses petites victoires et de ses erreurs.
Comme le disent les Vers dorés (2) attribués à Pythagore : « Que jamais le doux sommeil ne ferme ta paupière avant d’avoir examiné chacune des actions de la journée : qu’ai-je fait, qu’ai-je omis ? Parcours-les toutes de la première à la dernière. Si elles sont mauvaises, condamne-toi, si elles sont bonnes, réjouis-toi. » Remémorer et écrire cette expérience pour en garder mémoire.

Aller au centre de soi-même

Lorsque l’être humain harmonise ses pensées, ses paroles et ses actes dans un seul centre, il redevient une unité. On peut alors parler d’un véritable individu, qui peut agir depuis son propre cœur avec toutes ses forces, pour accomplir son idéal de sagesse. Il peut vivre en philosophe, conscient du sens et de la valeur de son existence. Comme le dit Délia Steinberg Guzman : « Celui qui sait aller au cœur de toutes les choses, doit pouvoir aller à son propre cœur. » Aller au centre de soi-même, à son propre cœur permet l’expression de l’Être.

L’expression de l’Être par la pratique des vertus

Pour les philosophes classiques, l’Être, s’exprime dans notre vie à travers les vertus. Pratiquer les vertus est le moyen de connaître sa nature et libérer son Être profond en maîtrisant son corps, ses émotions et son mental.  Selon Socrate, être vertueux, c’est être capable de vivre un certain nombre de principes et de valeurs dans la vie quotidienne. Leur pratique permet de mener une vie morale, d’agir en conformité avec ce qu’on pense. C’est la vie morale qui permet de transformer son comportement et de tirer leçon de ses expériences, de mobiliser ses vertus dans la vie quotidienne, sans quoi il n’est pas de bonheur possible.

On dénombre cinq vertus fondamentales. Ce sontle courage andreia, la tempérance ou modération sofrosynè, la justice ou probité dikaiosynè, la piété ou dévotion hosiotès et enfin la sagessesophia. La pratique de ces vertus permet de qualifier et d’orienter ses actes.

Apprendre à dialoguer

Le dialogue philosophique est l’art de poser les bonnes questions. Socrate le pratiquait régulièrement, harcelant ses interlocuteurs de questions et les obligeant à pratiquer l’examen de conscience, le fameux « Connais-toi toi-même ». Le dialogue avec soi-même est une méditation qui permet une rencontre authentique avec son être véritable, au-delà de l’image narcissique et superficielle que lui renvoient les autres. Il repose sur la dialectique.

« À travers la dialectique, en tant que méthode qui permet à l’intelligence (en grec noüs), siège de notre propre immortalité, de percevoir la vérité qui réside dans le “ciel” (le monde des idées) et d’appliquer et pratiquer le bien sur terre (le monde sensible), Socrate apporte un cadre philosophique à la croyance ancestrale grecque du double mouvement de l’âme, véritable pont entre le ciel et la terre. Il apporte une forme pratique à celui qui souhaite vivre en élevant son âme et agir en conformité avec son intime conviction » (3).

Le dialogue, un exercice spirituel

Un dialogue est un itinéraire de pensée dont le chemin est tracé par l’accord, constamment maintenu, entre un interrogateur et un répondant. Il comporte trois phases : l’exhortation ou protreptique, la réfutation (elegkhos), maïeutique ou auto-accouchement (naissance à soi-même). Les dialogues platoniciens sont des exercices modèles. Ce dialogue est un exercice spirituel car, d’une part, il conduit l’interlocuteur vers une conversion et d’autre part, il lui permet de rentrer en contact, au plus profond de son âme, avec le Bien, s’il accepte de se soumettre aux exigences de la Raison, du Logos. C’est un itinéraire de l’esprit vers le Divin.

Apprendre à mourir

Un autre exercice proposé à l’aspirant à la sagesse est celui d’apprendre à mourir. Le but de l’exercice est de se libérer du point de vue partial et passionnel des sens et de s’élever au point de vue universel et normatif de la pensée. Il s’agit de s’exercer à mourir à son individualité et ses passions pour voir les choses dans une perspective universelle et objective.

Dans ce sens, le domaine de la physique, l’étude et observation des sciences et, à travers elles, des lois universelles de la nature, peuvent être vécues comme un véritable exercice spirituel. C’est une activité contemplative qui trouve une fin en elle-même et procure joie et sérénité. Apprendre à mourir, les stoïciens le pratiquent, par la praemeditation malorum, la préparation à toutes les épreuves, qui permet de découvrir le sérieux et la qualité de l’instant dans la vie. Épicure se prépare à vivre comme si chaque jour était le dernier. Une fois que nous avons appris à mourir, nous pouvons embrasser la totalité, dit Marc Aurèle.

Mener une vie philosophique

« L’exercice de la vertu doit être pratiqué avec une énergie stoïcienne et une joie de vivre épicurienne. »

Kant

Ainsi la philosophie est-elle vécue comme une manière de vivre plus consciente et plus ouverte sur soi-même et les autres. Pierre Hadot, philosophe contemporain l’a bien compris quand il dit : « Il y aurait de la place à nouveau, dans notre monde contemporain pour des philosophes, au sens étymologique du mot, c’est-à-dire des chercheurs de sagesse qui, certes, ne renouvelleraient pas le discours philosophique, mais chercheraient, non pas le bonheur, mais une vie plus consciente, plus rationnelle, plus ouverte sur les autres et sur l’immensité du monde. Personnellement, tout en essayant de mener à bien ma tâche d’historien et d’exégète, je m’efforce surtout de mener une vie philosophique, tout simplement, consciente, tolérante et rationnelle. » (4)

C’est le but d’une école de philosophie comme Nouvelle Acropole, de transmettre à nouveau cet art de vivre en redécouvrant la pédagogie et la pratique philosophique, pour nous aider à mener une vie philosophique.

(1) Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, suivi du Manueld’Epictète (II, 5, 26),Traduction et présentation par Mario Meunier, Éditions Garnier Flammarion, 1999 et réédité en 2019, 222 pages
(2) Isabelle Ohmann et Florence Chauvet, Les Vers dorés de Pythagore, éditions Nouvelle Acropole, 2002
(3) Fernand Schwarz, La sagesse de Socrate, philosophie du bonheur, Éditions Acropolis, 2017, 97 pages
(4) Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre, Éditions Livre de poche, 2003, 280 pages
Article paru dans la revue Acropolis N°200 (sept-oct 2007)
Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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