
Au cours des cinquante dernières années, la spiritualité a connu une transformation significative. Les institutions religieuses traditionnelles ont perdu une grande partie de leur influence, ce qui a conduit de nombreuses personnes à rechercher la spiritualité en dehors des structures établies. Cela a donné naissance à diverses tendances et façons de percevoir et pratiquer la spiritualité.
Nous observons, par exemple, une sorte de spiritualité « à la carte », où les individus créent leur propre chemin spirituel, mélangeant souvent des éléments de différentes traditions sans s’engager dans une seule. Cette tendance est également liée à l’essor de ce qu’on a appelé le « supermarché spirituel », où diverses croyances et pratiques spirituelles sont vendues comme des produits de consommation. Enfin, nous avons été témoins d’une autre tendance intéressante, la psychologisation de la spiritualité, qui a transformé les enseignements religieux et spirituels en outils de développement personnel et d’épanouissement individuel.
La spiritualité au XXIe siècle
Repartons du début et interrogeons-nous sur la cause profonde à l’origine de cette transformation. Il y a deux phénomènes culturels que j’aimerais souligner ici : le postmodernisme et le mouvement New Age.
Le postmodernisme encourage le mélange de différents styles et d’influences culturelles, en célébrant la diversité. Il embrasse également l’idée que la vérité est subjective et dépendante d’un contexte. S’il n’y a pas de vérité universelle, cela pourrait inciter les gens à façonner leur propre identité spirituelle et accroitre le sentiment de leur importance personnelle. Le matérialisme spirituel prospère souvent dans ce paysage postmoderne où de multiples croyances spirituelles sont disponibles et où les individus peuvent choisir les aspects des pratiques spirituelles qui leur plaisent, construisant de cette manière leur propre système de croyances personnelles.
Le New Age a introduit l’idée que la spiritualité doit être « personnelle », « expérientielle » et « non dogmatique ». Il a popularisé les enseignements ésotériques et les pratiques spirituelles telles que la méditation, la guérison énergétique, l’astrologie, le yoga et le channeling, encourageant les individus à explorer la spiritualité d’une manière qui corresponde à leurs besoins.
Les slogans clés du mouvement New Age sont notamment : « suivez votre intuition », « vivez votre vérité », « l’univers vous aime » et « toutes les religions ne sont qu’une ». En bref, ces deux phénomènes culturels mettent l’accent sur l’épanouissement personnel, la liberté individuelle, la subjectivité et une tendance à une approche spirituelle indéfinie, enveloppée dans un langage flou.
Le rôle de la technologie numérique dans la présentation de la spiritualité
Un autre aspect important de la modernité, qui a eu un impact sur la façon dont les gens perçoivent et abordent la spiritualité, réside dans les technologies numériques et les réseaux sociaux. Internet a rendu les connaissances spirituelles plus accessibles, mais souvent de manière fragmentée et superficielle. Des plateformes telles que YouTube, TikTok, Facebook et Instagram promeuvent des contenus spirituels concis, réduisant souvent des enseignements complexes à des trucs et astuces rapidement assimilables, des présentations PowerPoint et des citations motivantes. Les gens sont ici encouragés à créer leurs propres mélanges spirituels personnalisés, en interagissant avec les contenus en ligne et en partageant leurs opinions bien-aimées dans la fenêtre de discussion.
Le matérialisme spirituel et son marché
Le concept de matérialisme spirituel a été inventé par le maître bouddhiste tibétain Chögyam Trungpa en 1973. Dans son livre Pratique de la voie tibétaine : au-delà du matérialisme spirituel, il soutient que de nombreuses personnes adoptent des pratiques spirituelles, telles que la méditation de pleine conscience, non pas pour mieux se comprendre, mais plutôt pour renforcer leur amour-propre, acquérir un statut social ou obtenir du pouvoir. Il est intéressant de noter que quelques années plus tard, les enseignements spirituels ont commencé à devenir des produits commercialisables, conçus pour apporter des solutions rapides ou superficielles aux problèmes des chercheurs spirituels.
Dans le contexte de cette commercialisation de la spiritualité, les pratiques spirituelles ont évolué pour devenir des industries pesant plusieurs milliards de dollars. Nous assistons aujourd’hui à l’essor d’un marché spirituel proposant une grande variété de livres, de cours en ligne, de retraites et d’ateliers. Toutes sortes de produits qui promettent d’aider les individus à atteindre le bonheur individuel, sinon même l’illumination, ou à trouver un refuge contre le chaos de la vie moderne.
La spiritualité est soudainement devenue un « choix de consommation » offrant une large gamme de produits. On peut acheter des cristaux et des pierres de guérison pour équilibrer son énergie, se faire tirer les cartes de tarot pour trouver une orientation spirituelle et suivre divers cours en ligne pour devenir chaman, guérisseur énergétique, médium et même devin. Sans parler des retraites de yoga qui offrent une détente loin de la vie trépidante et des « occasions de se découvrir soi-même » !
Les enseignements traditionnels dépouillés de leur cadre spirituel
L’un des aspects les plus préoccupants du matérialisme spirituel est peut-être la marchandisation des pratiques spirituelles anciennes et des rituels sacrés, qui conduit à l’exploitation de la sagesse indigène. Dans ce processus, les enseignements anciens sont souvent dépouillés de leurs cadres spirituels et éthiques afin de répondre aux demandes des consommateurs occidentaux en quête d’innovations spirituelles. Dans le même temps, des « enseignants » spirituels autoproclamés sont en plein essor, en particulier sur les réseaux sociaux, où des individus se présentent comme des leaders spirituels, privilégiant souvent leur bénéfice personnel à un enseignement authentique.
Mais croyons-nous vraiment que la transformation spirituelle peut être atteinte rapidement et sans effort, peut-être avec un investissement de quelques milliers de dollars ?
Réfléchissons un instant : les gens apprennent quelques techniques de respiration et se présentent au monde comme des instructeurs de pranayama. Mais la maîtrise du pranayama ne se résume pas à la respiration. Elle implique la capacité de contrôler et de diriger à volonté, en soi et à l’extérieur, le prana, la force vitale. Et ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre du premier venu en quelques week-ends !
Le progrès spirituel ne consiste pas non plus à collectionner les expériences de sortie du corps, les titres de loge ou les visions mystiques. Il implique toujours l’humilité, le travail acharné et l’engagement dans un voyage de toute une vie, qui devrait conduire à la transmutation progressive mais radicale du « composé humain ». De plus, la croissance spirituelle nécessite d’embrasser la simplicité et le détachement. Elle se nourrit souvent du silence, de la contemplation et des épreuves quotidiennes de la vie. Le défi consiste donc à résister à l’attrait des modes spirituelles superficielles avec leurs bazars spirituels remplis de produits scintillants mais inutiles.
La psychologisation de la spiritualité
Un autre changement majeur dans la spiritualité moderne est sa psychologisation. Les enseignements spirituels ont été transformés en outils psychologiques de guérison émotionnelle, pour atteindre le bien-être mental ou en vue du développement personnel. En bref, ils sont souvent utilisés pour valider les désirs individuels plutôt que pour les transcender.
Traditionnellement, la spiritualité mettait l’accent sur l’idée de libération, d’illumination ou d’union avec le divin, et avait donc des visées transcendantales liées à des réalités supérieures. Mais la spiritualité moderne réinterprète souvent ces enseignements comme des outils pour la réussite personnelle et matérielle, le bonheur ou l’estime de soi. Ainsi, le yoga et la méditation, autrefois enracinés dans des principes métaphysiques et éthiques, sont désormais commercialisés comme des routines de fitness, des thérapies de mieux-être mental ou des pratiques de relaxation.
Tandis que la spiritualité ancienne enseignait que le moi individuel n’est pas la réalité ultime, la spiritualité psychologisée moderne se concentre sur l’expérience personnelle et la vérité subjective. La réalisation de soi ne signifie plus de comprendre la nature illusoire du moi, mais plutôt de devenir la « meilleure version » de soi-même.
Il est vrai que dans un cheminement spirituel traditionnel, la psyché est le thème central, mais uniquement dans le sens où elle doit être transcendée, et non pas choyée !
L’initiation spirituelle a pour objet la mort de la personnalité, et non son exaltation. Elle concerne l’extinction de tout ce qui appartient au moi biographique. En fin de compte, tous ces petits masques auxquels nous avons tendance à nous identifier doivent être retirés.
La spiritualité authentique implique de suivre un chemin radical. Elle doit nous éloigner de nos croyances, nos identifications, nos conditionnements passés, nos désirs personnels ou nos attentes individuelles. Ici, il n’y a pas de place pour l’acceptation de soi ou d’autres escapades psychologiques. Ce ne sont que des expédients nés d’un esprit qui n’est pas prêt à affronter les abîmes obscurs et la dissolution complète de l’« ancien moi ». C’est cela, entre autres, l’initiation spirituelle, et nous devons humblement admettre qu’elle n’est pas faite pour tout le monde. Par conséquent, si la psychologie et la spiritualité peuvent se complémenter, nous devons veiller à ne pas réduire le sacré à un simple développement personnel.
La Spiritualité DO IT YOURSELF
La spiritualité DIY repose sur l’idée que chacun peut forger son propre chemin spirituel à l’aide de ressources telles que des livres, des contenus en ligne, des guides de développement personnel et des expériences personnelles, en contournant les systèmes plus formels de transmission spirituelle, d’initiation et de mentorat.
Dans cette approche de la spiritualité, on peut lire des ouvrages sur les techniques de méditation d’une tradition, explorer l’astrologie d’une autre et pratiquer le yoga d’une troisième. Le problème est que sans guide ni cadre traditionnel, ces pratiques peuvent rester déconnectées des intuitions spirituelles plus profondes et ne pas être assimilables par la conscience.
Une grande partie de la spiritualité DIY est axée sur la recherche d’un accès facile aux phénomènes extrasensoriels, à l’illumination rapide ou à la simple curiosité intellectuelle. Les gens sont volontiers attirés par l’idée de devenir le nouvel apprenti sorcier, mais ils manquent souvent d’une véritable compréhension des domaines spirituels.
Immergés dans la pratique d’un rituel issu d’un grimoire nouvellement traduit, ils ignorent souvent le danger que représentent ce type d’interaction, entrant ainsi en contact avec un champ de forces dont ils ne savent pratiquement rien.
Le rôle de l’éthique dans la spiritualité
Il convient également de mentionner le rôle de l’éthique, non seulement dans le comportement extérieur, mais aussi en tant que principe fondamental de la transformation intérieure. La spiritualité vise à démanteler l’ego et à favoriser une connexion plus profonde avec tous les êtres. Cependant, lorsqu’elle est approchée comme un projet indépendant, sans responsabilité éthique, l’ego peut subtilement détourner le processus, favorisant ainsi l’arrogance et créant l’illusion d’être plus « éveillé » ou « illuminé » que les autres. Un chercheur spirituel sans supervision adéquate peut facilement mésinterpréter les enseignements, renforçant ainsi des schémas néfastes ou, pire encore, manipulant les autres sous le prétexte de l’« illumination ». Le fondement éthique reste donc une excellente protection contre l’inflation de l’ego.
Outre l’inflation de l’ego, la spiritualité « DIY » peut également présenter de graves dangers pour la santé mentale et physique. L’ascension du K2 (1) exige non seulement des connaissances théoriques, mais aussi un entraînement intensif, de l’expérience et des directives en temps réel, ainsi qu’une vocation particulière que l’on ne trouve que chez les plus grands artistes.
Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire qu’il est tout simplement absurde de vouloir escalader le K2 après avoir regardé quelques tutoriels sur YouTube ou participé à des excursions en montagne le week-end. En réalité, l’ascension du K2 n’est jamais une entreprise solitaire. Les alpinistes travaillent en équipe, comptant les uns sur les autres pour se soutenir, s’encourager et se protéger en cas de problème grave.
De toute évidence, le chemin spirituel n’est pas non plus destiné à être parcouru seul. Les communautés et les guides spirituels fournissent non seulement un filet de sécurité et du soutien, mais agissent également comme des miroirs, reflétant nos progrès, nos défis et notre éventuel ego hypertrophié.
De nombreuses traditions spirituelles du passé mettaient l’accent sur l’initiation ou la transmission spirituelle, soit un rituel ou un moment où un enseignant transmet au disciple une qualité énergétique ou une compréhension plus approfondie. Sans cette forme de transmission, on peut passer à côté de la sagesse expérientielle qui accompagne l’initiation formelle.
Par conséquent, un autre problème majeur de la spiritualité DIY reste la perte potentielle de la transmission spirituelle (connue sous les noms de Parampara, transmission du Dharma, lignées taoïstes, Silsila, etc.)
En conclusion, la spiritualité DIY est vraiment une épée à double tranchant. Si elle confère liberté et autonomie personnelles, elle comporte également le risque de favoriser l’arrogance spirituelle si elle n’est pas ancrée dans des principes éthiques. Sans supervision, la spiritualité peut facilement devenir un moyen d’amélioration du moi plutôt que de transcendance du soi.
Cela m’amène à ma dernière question : l’expérimentation et la recherche individuelles en valent-elles la peine ? Oui, bien sûr, et la méthode DIY est plus que bienvenue si elle peut vous mener jusqu’au camp de base, mais réfléchissez à deux fois avant de tenter l’ascension en solo !