Les Olmèques et la puissance des origines
L’exposition « Les Olmèques et les cultures du golfe du Mexique » dévoile, pour la première fois en Europe, la richesse culturelle de la civilisation olmèque (1600 – 400 av J.-C.) et son influence au-delà des frontières (1).
La première des grandes civilisations du Mexique est la civilisation olmèque, au sud du golfe du Mexique. Le terme olmèque signifie « habitant du pays du caoutchouc » ; il fut donné par les Aztèques à tous les habitants de la côte du Golfe. La civilisation matrice du Mexique se dénomme « Olmèques mythiques » parce que nous ignorons tout de leur population, de leur histoire et de leurs mœurs. On ne peut qu’essayer de les comprendre au travers de leurs vestiges archéologiques.
Cette civilisation s’épanouit entre la fin du deuxième millénaire et le deuxième siècle avant notre ère. Par suite de l’abondance des eaux fluviales et de la forte pluviosité de la région de Tabasco, les 18 000 km2 de la terre olmèque souffrent plutôt d’un excès d’humidité (phénomène unique en Méso-Amérique), ce qui en fait une sorte de Mésopotamie américaine.
Les Olmèques construiront des villes et des centres cérémoniels. Ils seront d’excellents sculpteurs de jade. La civilisation olmèque est considérée comme étant la mère de toutes les grandes civilisations classiques, et il n’est guère de zone culturelle de Méso-Amérique qui ait échappé à son influence.
Parmi les lieux les plus importants qui aient été explorés, citons : La Venta, San Lorenzo et Tres Zapotes. Dans ce troisième, et plus récent site de la région, on a découvert la célèbre « stèle C » portant la date la plus ancienne d’Amérique (environ IIIe siècle avant J.-C.). Il est qualifié d’« épi-olmèque » : « Cela fait olmèque, mais ce n’est plus comme avant. On voit l’apparition d’un calendrier et le début de l’écriture : une nouvelle proposition est faite avec d’autres outils, dont les Mayas seront les légataires. »
Les Olmèques inventent la statuaire en Amérique centrale, un dieu de la pluie qui traversera les millénaires (s’appelant Chac chez les Mayas et Tlaloc chez les Aztèques), un art consommé de l’offrande, le jeu de balle qui perdurera jusqu’à la conquête espagnole, la première pyramide (sur le site de La Venta), les stèles commémoratives et, sur la « fin », un calendrier ainsi, probablement, qu’un système d’écriture à base de glyphes encore énigmatiques. Ils taillèrent des autels monolithes dont le poids dépasse trente tonnes et des têtes colossales dont les traits et les proportions sont véritablement gigantesques. La maturité de l’art olmèque, qui atteignit son apogée à La Venta, peut être appréciée à la variété des styles.
La cosmogonie olmèque : passer de l’invisible au visible
Fernand Schwarz nous explique (2) : « Dans toutes les cosmogonies, le monde des origines est associé à la nuit, symbole de la puissance invisible, insondable mais réelle. L’invisible demeure un mystère et, en tant que tel, il est source de régénération.
L’origine du processus de la manifestation se trouve dans le monde chthonien, où réside le feu interne (qui deviendra la chaleur chamanique). C’est la force génératrice de la vie qui fait éclore la graine afin d’entrer dans le cycle de la fertilité.
Dans le monde terrestre, des volcans jaillit ce feu intérieur vers l’extérieur. Les grottes, au cœur des montagnes, établissent des points de contact privilégiés avec l’au-delà. Le cœur de la nuit est lié à l’obscurité primordiale, dont naît le ciel étoilé, les petites lumières. Le jaguar tacheté symbolise ce ciel nocturne. L’aube, première ligne de rupture de niveau, émane à son tour du ciel étoilé. Elle fait apparaître l’élément organisateur de l’énergie : le soleil.
À l’origine, la divinité solaire, en tant que reflet des puissances du Ciel -Terre, assume le rôle d’un intermédiaire qui exalte les dons de ses « parents », dont il se nourrit. Pendant le jour il est fort puis, peu à peu, décline et se consume jusqu’à disparaître dans le cœur de la nuit. Là, il se régénère au contact des feux tellurique et cosmique. Il devient le Jaguar, se substituant au dieu de la force. En effet, le soleil nocturne, comme le Jaguar, dévore tout, consomme tout et ne fait point de distinction entre le grand et le petit. En tant que félin, il voit dans la nuit : il voit dans le chaos.
Aux époques archaïques, les religions cosmiques sont consacrées aux énergies invisibles et aux puissances stellaires. On fait une distinction entre le soleil et l’esprit du soleil. Au cours des temps, le visible remplacera l’invisible. Ainsi, le Jaguar-serpent cédera la place à l’Aigle-condor. »
La symbolique des animaux
Les animaux expriment « ce qui anime » et, à travers certains d’entre eux, se manifestent des qualités et des fonctions abstraites. Dans toutes les civilisations, l’animal a été porteur du souffle de vie, de l’émotion qui le relie intimement aux forces de la nature.
Les espèces animales symbolisent avant tout les espaces – marin, terrestre, céleste – correspondant aux mondes matériel et supérieur.
La symbolique du jaguar
Le jaguar est, avec le serpent, l’animal le plus représenté dans les arts anciens. Celui d’Amérique porte sur le corps des taches isolées ou groupées en constellations polygonales. Tapi le jour, il chasse la nuit : ce caractère nocturne lui donne sa valeur symbolique majeure.
Dans la mythologie américaine, il représente la caverne, le centre de la terre, la nuit, la mort : comme le chaman, il serait donc doué d’un pouvoir de transfert dans un monde extra-terrestre.
Ce symbolisme chthonien du jaguar mexicain est précisé par L. Séjourné (3) : « Le soleil s’incarne également : chaque nuit il se transforme en un soleil de la Terre et sous la forme d’un tigre, symbole de l’ouest et du centre de la Terre, voyage à travers le monde souterrain jusqu’à ce qu’il atteigne l’endroit où il remontera à nouveau dans le ciel […] Ce voyage nocturne correspond à celui de Vénus quand elle s’enfonce dans le monde inférieur pour apparaître à nouveau comme étoile du matin.
Le félin, animal nocturne, est associé au monde souterrain, à la Lune, à la nature ignée du soleil, et il est doté d’une valence de fécondité et de régénération sexuelle et fécondante, symbolisée par les larmes de l’œil.
Le cycle mort-revivification est l’essence même de la nature. Mais ce que nous appelons mort n’est pour l’Amérindien qu’un changement d’état. L’esprit de l’animal tué, sa puissance vitale, ne disparaissent pas pour autant ; bien au contraire ils se trouvent disponibles, et l’ingestion de sa chair permet de se les approprier. Dans le phénomène alimentaire, le gain d’énergie obtenu s’explique par le passage au compte de l’animal qui se nourrit de la force vitale de sa proie.
Tirant leur substance vitale de la terre, les végétaux la retransmettent aux herbivores, puis aux carnivores, en une suite de transferts d’énergie marqués par autant de destructions. Mais cette ébauche du cycle de l’azote ne se referme pas sur elle-même : le jaguar met un terme à ces métamorphoses. II emmagasine la force de tous les animaux de la forêt, mais ne la retransmet pas. Réservoir de force, il marque le point d’aboutissement de la vie, il est lui-même le principe vital.
L’instrument de ce cycle mort-résurrection est la gueule du jaguar, ses crocs qui tuent la proie et la dépècent. Le motif félin qui symbolise le jaguar symboliserait aussi son essence : l’énergie vitale.
Le culte du dieu jaguar
Les manifestations les plus archaïques de l’art précolombien témoignent du culte de l’homme-jaguar et du serpent, comme le prouvent les représentations olmèques et de Chavin (au Pérou). Le jaguar, en tant que puissance chthonienne, est le symbole parfait du voyage dans l’au-delà.
Le jaguar était le dieu principal des Olmèques qui le représentent tantôt sous la forme d’un animal, tantôt sous celle d’un félin humanisé, ou d’un enfant-jaguar. On trouve des stèles olmèques sur lesquelles un prêtre au masque de jaguar, porte la torche et semble voler. Les représentations de l’homme-dragon expriment la maîtrise des secrets de la Nature.
Toutes ces représentations sont caractérisées par l’importance donnée à la mâchoire et aux crocs.
L’art olmèque
L’exposition présente plus de 300 pièces exceptionnelles, dont un bon nombre sortent pour la première fois du Mexique et révèlent la multiplicité des traditions artistiques, des croyances, des langages de la civilisation olmèque et des civilisations de la côte du Golfe (jusqu’à 1500 ap. J.-C.). Parmi elles, nous présenterons trois ensembles qui donnent une idée de la richesse esthétique et symbolique de l’art olmèque.
Le « Seigneur de las Limas » (900 à 400 av JC)
Cette sculpture en ronde-bosse en serpentine représente un homme (possiblement un prêtre), assis en tailleur qui soutient sur ses avant-bras tendus vers l’avant un bébé-jaguar. Le bébé-jaguar est allongé dans une position flaccide : il semble endormi. On voit en lui une divinité de la pluie, de la régénérescence, du maïs, reconnaissable par la fente en V qu’il a au sommet du crâne. « C’est un dieu mou qui n’a pas de structure osseuse. Il est tellement ancien qu’il précède la création de l’os dans le corps des animaux et des hommes », dit Steve Bourget, responsable des collections Amériques du Musée et commissaire de l’exposition.
Sur les épaules et les genoux de l’homme assis, sont gravés des personnages – avatars du dieu tatoués ou scarifiés ? « Si on les relie par des diagonales, celles-ci se croisent au niveau du nombril. » Cette disposition en quinconce, analogue à celle du 5 d’une carte à jouer ou d’un dé, est reproduite sur la poitrine et l’abdomen de la divinité, avec deux grands X inscrits dans des cartouches : « Elle symbolise un axe du monde que l’on retrouve partout chez les Olmèques », révèle Steve Bourget. « Tous les Olmèques sont dans cette œuvre, aime à résumer le Québécois Steve Bourget. Si l’on comprend sa symbolique, sa proposition idéologique, on a tout compris. » (4)
Offrande 4 de La Venta (800 à 600 av JC)
Ensemble de quinze personnages debout (de 3 à 4 cm de hauteur), dont deux en jade et treize en serpentine qui forment un groupe tourné vers le seizième individu qui est en granit. Ils sont tous différents. Ils se situent dans un espace bordé d’un côté par les répliques de six stèles sculptées. Ils pourraient représenter une cérémonie religieuse qui honore le monde des ancêtres. C’est un ensemble unique de la vie cérémonielle des olmèques.
L’ensemble des Azuzules (1200 à 900 av. J.-C.)
Ce groupe de quatre sculptures représente un ensemble exceptionnel et unique dans l’art olmèque. Devant deux félins, dont l’un a été retaillé à partir d’une sculpture plus ancienne, sont alignées, l’un derrière l’autre, les sculptures presque identiques de deux jeunes hommes agenouillés tenant un sceptre dans leurs mains que l’on qualifie de jumeaux.
Assis, penchés en avant, ils tiennent de leurs mains un bâton de commandement posé sur le sol, l’une au-dessus et l’autre au-dessous. Ils s’apprêtent à redresser un bâton qui figurera la colonne vertébrale du monde. C’est une cosmogonie structurée autour d’un axis mundi maintenant ensemble le ciel, la terre et l’inframonde.
Durant une période étalée entre 1600 et 1000 ans avant notre ère, au travers de multiples offrandes incluant même les restes de très jeunes enfants, les officiants olmèques ont probablement souhaité établir un lien entre leur société et des divinités associées à l’eau potable, à la pluie et à la montagne. Ces témoignages extraordinaires ont ainsi livré les premières évidences d’une possible pratique du jeu de balle et de rituels liés à l’eau et à la montagne. Deux aspects symboliques fondamentaux qui marqueront toute l’histoire de la Mésoamérique.