Écologie-Nature

Nourrir la France demain ?Revisiter l’agriculture, un enjeu stratégique

La question de la nourriture des hommes peut paraître saugrenue, voire décalée dans une société d’abondance comme notre société française. Pourtant l’alarme est sonnée par de nombreux chercheurs. Des solutions existent mais sont peu écoutées.

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La fonction nourricière a été assurée de façon magistrale pendant des siècles par la paysannerie, et dans l’ère moderne par les agriculteurs. Grâce à eux, la population a toujours pu être nourrie sans que nous connaissions de famines, et leur implication a même permis à la France d’être un « grenier » pour beaucoup d’autres pays européens. Mais aujourd’hui, elle ne l’est plus !
Après-guerre, puis avec la PAC (Politique Agricole Commune) européenne, les agriculteurs furent orientés vers un modèle de production massive basée sur les monocultures et industrielles intensives sur le schéma en triptyque : 1. surfaces de plus en plus grandes, 2. labour de plus en plus profond et 3. de plus en plus de traitements (engrais, pesticides, insecticides, fongicides).

La terre est-elle en train de mourir ?

Aujourd’hui, ce modèle est à bout de souffle car beaucoup de terres sont mortes, car la vie macroscopique et microscopique a été détruite. Sa disparition fait que la terre n’est plus poreuse à l’eau, produisant érosion et sécheresse. Les rendements ne croissent plus, voire diminuent alors que des quantités d’intrants toujours plus importantes sont nécessaires du fait de la perte de la biodiversité et des systèmes d’autorégulations naturels. Aujourd’hui, la production agricole est menacée par la stérilisation artificielle des terres.

Le triomphe de la technologie et de l’idéologie

Le modèle dominant ne valorise que ce qui est technologique. Ceci est à l’origine de bien des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui car la production massive d’objets à faibles coûts cache trop souvent des coûts invisibles énormes (quasi-esclavage humain d’enfants ou d’adultes à l’autre bout de la planète, destruction massive de la biodiversité et de l’environnement, gaspillage de ressources naturelles, consommation énorme d’énergies fossiles, …).
Ce modèle « tout technologique » appliqué en agriculture présente les mêmes conséquences néfastes à travers les productions intensives « délocalisées ».
Tout doit être acheminé sur de longues distances, conditionné à l’extrême, souvent récolté avant maturité pour supporter le transport, produit sur des zones polluées ou avec de nombreux produits toxiques pour le sol et la biodiversité, sans mentionner l’asservissement humain.

Les paysans sont les victimes économiques, sanitaires et sociales d’une vision idéologique. Sur le plan social, ils sont devenus exploitants agricoles (distanciation d’avec la terre qu’ils « exploitent », du haut de leurs machines de plusieurs mètres et ne cultivent plus), voire simples ouvriers agricoles, comme dans une chaine de montage. Leur métier est devenu dangereux pour leur santé en même temps que leur production n’est pas suffisamment valorisée en comparaison des autres « produits de consommation ».

Un autre modèle d’agriculture existe

Depuis trente ans, il se développe sous de nombreuses formes, en s’appuyant sur les riches découvertes en agronomie, sur la pédogénèse (biologie du sol) et l’étude du vivant dans le sol. De « nouveaux agriculteurs » et de nombreux scientifiques (CNRS, INRA, …) cherchent à faire entendre une autre voix.
Mais trop d’intérêts s’y opposent.
Il y a certes, dans le paradigme actuel, les intérêts économiques, et ils sont innombrables, mais il y a aussi les intérêts idéologiques. Accepter que la nature, quand on ne la dérange pas donne de meilleurs résultats et rendements que lorsqu’on y touche brise une base de l’Homme-Démiurge du modèle moderne occidental qui s’est imposé partout depuis le siècle des Lumières.

On est passé du « Comment, l’homme, fils de Dieu à qui celui-ci a confié la Nature pour l’exploiter, pourrait-il ne pas être à la hauteur ? » au « Comment, l’homme éclairé par la Raison et la Science matérielle pourrait-il ne pas être suffisamment intelligent pour tout comprendre des mécanismes de la nature ? ». Ces deux postures mènent à l’impasse actuelle.
La principale révolution à conduire est d’apprendre à travailler « avec » la nature plutôt que « contre ».

Le vivant ou le chimique : qui sera le plus résilient ?

En agriculture conventionnelle, l’agriculteur va chercher à « lutter » contre les insectes, les champignons, les « mauvaises » herbes et utiliser l’arme chimique pour s’en débarrasser.
Il irriguera fortement, donnant aux cultures l’accès immédiat à l’eau nécessaire.
Ce faisant, les cultures sont conduites dans un processus dont la caricature est la culture « hors-sol » où tout (mais est-ce bien tout ?) est apporté au pied des racines sans que la plante n’ait d’efforts à faire ni qu’elle ne soit amenée à développer des forces pour résister à des attaques. En cherchant à bien faire, on en fait des « assistées » (mais n’est-ce pas un travers qui touche aussi la société humaine ?). Les plants sont donc faibles et menacés par tout évènement de la vie. Leur résistance est nulle.
Dans l’agriculture alternative, on cherche à créer le maximum de biodiversité afin que tout nuisible ou prédateur soit contrecarré par ses propres prédateurs et nuisibles. Que la plante soit encouragée à développer son autonomie et sa résilience pour donner le meilleur d’elle-même. Elle résiste alors mieux à la sécheresse et aux attaques. Le même parallèle peut être fait avec la société humaine ! C’est la puissance du vivant que de produire par nature, de la Vie !

L’urgence d’un virage

Il devient urgent, comme le firent les sociétés traditionnelles avant nous, d’être humble face à une nature et à la complexité du vivant dont nous ne connaissons finalement que peu de chose. Acceptons d’écouter la nature.
Tout agriculteur en permaculture, maraichage sur sol vivant ou agroécologie, témoignera du fait qu’il apprend à tout instant. Ce qui est passionnant dans le travail avec le vivant, est que tout est en synergie, tout mécanisme répond aux modèles de la complexité, et qu’un petit rien quelque part peut faire chavirer ou rendre possible le résultat final. D’où beaucoup d’humilité. Pas de recettes universelles mais une dynamique, une intelligence et synergie locale à trouver.

Si nous voulons négocier sans trop de difficultés ce tournant indispensable sur la manière d’assurer l’alimentation pérenne de la population, il devient urgent de s’ouvrir à ces approches alternatives de l’agriculture, ainsi qu’à la nouvelle vision de la nature et des rapports de l’homme avec elle qu’elles proposent, dans la lignée des plus grandes traditions philosophiques.

par Hans LUWEI
Permaculteur
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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