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Société

Reconquérir le sacré 

Le sens du sacré serait-il indissociable de la notion d’humanité ? Pouvons-nous trouver dans cette dimension intérieure une clé d’entente pourvoyeuse de sens et d’union ?

Le postulat de Sonia Mabrouk dans son dernier ouvrage (1) est que la crise du sacré serait à l’origine de toutes les crises. Elle s’interroge sur les armes dont nous disposons pour contrer ce qu’elle qualifie de « mouvement mortifère de désacralisation du monde occidental ». 

Le sacré ne serait-il qu’une option existentielle ?

Tout au contraire, pour Mircea Eliade, éminent historien des religions, le sacré est une constante, une fonction incompressible de la conscience humaine et non une étape de son évolution. Tous les hommes perçoivent cette dimension du « Tout autre » du mystère qui est à l’origine de toutes les quêtes et qui éclaire l’existence humaine. 
Du sens du sacré découlent les limites qui orientent et configurent les choix de vie : « Tout ce qui légitime le sacrifice et interdit le sacrilège » (2). Est sacré ce qui donne sens, qui apporte transcendance à nos vies et définit un cadre conceptuel d’action et d’appartenance. Le profane serait celui qui ne connaît pas les codes, qui reste extérieur. De là découle l’idée de passage, de seuil à franchir en conscience pour intégrer un groupe humain. 

Le sacré est ce qui donne la vie et la ravit

Pour Roger Caillois « Le sacré est ce qui donne la vie et la ravit, c’est la source d’où elle coule, l’estuaire où elle se perd » (3). Le constat de Paul Valéry (4) interpelle : « Les hommes antiques mettaient leur philosophie à peupler l’univers aussi ardemment que nous mîmes plus tard la nôtre à le vider de toute vie ».  Ce que l’on peut qualifier d’écologie de l’esprit est synonyme de pont entre l’ici et l’ailleurs. L’évacuation du sacré comme ciment de la sphère collective a provoqué en contrepartie une hyper sacralisation du progrès matériel érigé en mythe, tout au moins en Occident.

De la désacralisation à la dé-civilisation

La dimension du sacré se construit à partir d’un imaginaire, d’une vision du monde. Sonia Mabrouk déplore que l’imaginaire de référence à la patrie et au sacrifice (étymologiquement acte sacré) ait été évacué ou ringardisé au profit du matérialisme de la pensée et du confort de vie érigé en finalité supérieure. L’individualisme nombriliste encouragé par des systèmes fragmentés fragilise d’autant plus l’être humain qu’il se retrouve privé de repères et de défis de dépassement. Avec ses avatars : le nihilisme (rien ne vaut), le relativisme (tout se vaut), la déresponsabilisation, la moralisation dans la religion du progressisme (diabolisation de l’adversaire). 
En l’absence de projet commun qui mobilise le meilleur de chacun, la « médiocrité morale asphyxie les meilleurs élans de l’homme » (5). Les mots se sont appauvris car « toute une génération a été élevée dans le culte de la non-transmission, de la construction de soi sans héritage, dans un but d’accéder à une liberté qui s’est révélée totalement factice » (6). 

Perte de mémoire et déconnexion du réel

Dans un monde frappé d’amnésie, la négation du droit à la continuité historique a laissé le champ libre aux idéologies de remplacement avec l’obsession de déconstruction de toute valeur traditionnelle ou culture de l’effacement (cancel culture). Malgré tout, l’Occident entretient l’illusion que ses valeurs sont universelles et ne mesure pas sa perte d’influence.
Le sacré a été relégué à l’intimité de chacun, (qu’elle soit d’ordre religieux ou non), mais évacué de la sphère collective hormis lors des rites d’investiture présidentielle ou de commémoration comme les défilés militaires de la fête nationale « qui apportent l’énergie du renouveau au peuple réunifié autour de la date de son mythe fondateur » (7).

Le sacré contribue à maintenir en vie et en éveil toute nation  

Car le sacré, trait d’union entre les mondes, répond au besoin de lien et de transcendance.
« Le sacré contribue à maintenir en vie et en éveil toute nation » comme le démontre la vitalité de l’Islam contrairement à la contrition culpabilisatrice et stérile de l’Occident » (8). C’est un « puissant moteur identitaire générateur de résilience, un remède au déracinement et à la désintégration ». C’est la mémoire partagée d’une nation ou sacralité mémorielle comme en a témoigné l’énorme charge symbolique de l’incendie de Notre-Dame de Paris qui a affecté la matrice spirituelle du pays.

Les détournements du sacré, vecteurs de violence

Fernand Schwarz nous rappelle l’importance du rôle des mythes (en tant que récits fondateurs) et des symboles comme langage pour communiquer les besoins de l’âme humaine et comme régulateur du psychisme collectif : « l’acte symbolique est fondateur d’identité » (9). A défaut, « quand le rituel ne peut pas s’instaurer, la violence fait irruption » constate Boris Cyrulnik (10). De tout temps, la victime sacrificielle a joué le rôle du bouc émissaire pour éradiquer les tensions et éviter la désintégration du collectif. On observe la résurgence d’une violence gratuite, signant le retour de la barbarie mimant la logique sacrificielle. « Actions violentes et répréhensibles accomplies par des jeunes qui ignorent comment se comporter dans une société civilisée. La société ne leur a pas apporté les rites qui leur permettraient de devenir membres de la communauté à part entière » (11).

Le sacré, rencontre avec soi-même, les autres et la nature

L’auteur témoigne que le sacré comme rencontre avec soi-même lui a permis de transcender la mort de sa mère par l’amour et le beau. À l’appui de toutes les traditions spirituelles, elle nous invite donc à changer de critères : réintégrer dans nos consciences « le paradigme du tragique », assumer le risque en réponse aux discours lénifiants ; éprouver le réel par l’intériorité, recouvrer le sens de l’élévation, de l’expérience intérieure ; vivre le moment présent, ne pas craindre de montrer sa vulnérabilité ; bref, pratiquer le renoncement philosophique face aux faux désirs qui nous enferment. Nous avons besoin, comme l’écrivait Montaigne, de « tenir notre âme en haleine ».
En nous accordant à la puissance vitale de la nature, sans désir de conquête, nous prenons conscience d’une vie universelle et pouvons à la fois saisir l’immanence du sacré dans l’amour de la terre comme l’écrivait Albert Camus dans Noces et retrouver une verticalité intérieure en nous armant de patience. 

Le sacré comme défi de civilisation

La conclusion de l’ouvrage résonne comme un appel, « La force d’une civilisation ne tient pas tant à son économie ni à sa puissance militaire qu’à l’intensité avec laquelle elle porte le sentiment du sacré ». Il s’agit de retrouver le sens de la « nation sacrée » comme corollaire de la conscience du Bien commun.
Plus qu’un vœu, une nécessité profonde :« Nos sociétés ont besoin de retrouver le goût de la transcendance, l’énergie de la verticalité, la conscience des images philosophiques, la marque du mystère, la beauté de la contemplation, la grâce d’une vie intérieure, la permanence des rites, la recherche de la vérité » (12).

Reconquérir le sacré n’est pas l’adhésion aveugle à une quelconque chapelle. C’est vivre en philosophe, avec un cœur et un esprit ouvert ; c’est restaurer les liens qui nous unissent par de-là nos différences, ce qui nous rend foncièrement humains et conscients du Sens de la Vie.

(1) Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 2023, 138 pages
(2) Ibidem, page 14, citation de Regis Debray, extraite de Jeunesse du sacré, Éditions Gallimard, 2012 
(3) Ibidem, page 39, citation de Roger Caillois extraite de L’homme et le sacré, Éditions PUF,1939
(4) Paul Valery, Petite lettre sur les mythesVariété II, Éditions Gallimard, 1930
(5) Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 2023, page 75, citation de Soljenitsyne, Le déclin du courage, discours prononcé à l’Université de Harvard, le 8 juin 1978
(6) Ibidem, page 115, citation de Bérénice Levet, extraite de Le crépuscule des idoles progressistes, Éditions Stock, 2017
(7) Fernand Schwarz, Le sacré camouflé ou la crise symbolique du monde actuel, Éditions Cabetita, 2014, page 59
(8) Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 2023, page 71 
(9) Fernand Schwarz, Le sacré camouflé ou la crise symbolique du monde actuel, Éditions Cabetita, 2014, page 43
(10) Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 2023, page 15, citation de Boris Cyrulnik extraite de Les nourritures affectives, Éditions Odile Jacob, 1993
(11) Joseph Campbell, Puissance du mythe, Éditions Oxus, 2009, page 28 et 29 
(12) Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, Éditions de l’Observatoire, 2023, page 126
Sylvianne CARRIÉ
Formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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