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PhilosophieSociété

Redécouvrir la sobriété

L’actualité, avec ses difficultés économiques, financières, d’approvisionnement et d’augmentation des coûts énergétiques (générées par les changements climatiques et les guerres) fait pression sur les gouvernements pour instaurer l’idée d’une sobriété, notamment énergétique, sans remettre en question l’idée globale de la société de consommation.

Cette sobriété se veut avant tout technique, basée sur la progression de l’efficience, via l’amélioration des procédés, en restant dans un modèle dit « en volume » (qui vise à écouler un maximum de produits). Elle permet de consommer moins de matière et d’énergie.
Mais cette « sobriété » se présente comme une solution extérieure aux individus. Elle ne pourra pas accompagner en toute logique une transition pour certains, écologique ou civilisationnelle. 

La crise actuelle est probablement une excellente opportunité pour revoir le véritable sens de la sobriété et ses apports, tant dans nos vies individuelles que collectives. 

La sobriété puise ses racines dans des traditions anciennes, notamment dans des textes philosophiques ou religieux qui affirment que le bonheur ne se trouve pas dans les possessions matérielles mais dans l’application volontairement consentie de la modération, de la tempérance ou de la frugalité. Et c’est en cela que réside l’enjeu car à la crise environnementale et ses multiples manifestations, s’ajoute une crise de sens, celle de pouvoir imaginer de nouvelles perspectives fédératrices pour la société et l’être humain. 
Le mot sobriété nous vient du latin sobrietas associé à la frugalité et à la tempérance Il est employé par les philosophes grecs, comme le signale Maël Goarzin (1) : « Je rappellerai l’importance, chez les philosophes antiques, de la mesure (mesotês), par opposition à l’excès. C’est une valeur fondamentale qui permet à l’homme de s’épanouir dans les limites de sa nature et de la nature. Chez Aristote, par exemple, la juste mesure est l’essence de la vertu, comme il l’explique dans l’Éthique à Nicomaque. L’excès, au contraire, manifeste le manque de prudence (phronesis) ou encore le manque de maîtrise de soi (sophrosune), c’est-à-dire, le manque de vertu. » L’individu ayant un mode de vie sobre ou tempéré devait devenir un être sage avec une forte exigence morale. 
Épicure, le grand philosophe de la simplicité du mode de vie, prône une certaine autosuffisance pour permettre un meilleur contrôle de son bien-être, l’idée essentielle étant d’atteindre l’ataraxie ou tranquillité de l’âme.

Dans l’Antiquité, tant en Occident qu’en Orient, chez les bouddhistes ou les hindouistes, ce concept de la sobriété et de la simplicité est surtout lié à l’individu. Mais la question qui se pose à nous aujourd’hui est de l’appliquer à une société. 

Ce questionnement, qui a pour objet d’adjoindre un projet social à une démarche philosophique personnelle, se retrouve chez David H. Thoreau, au milieu du XIXe siècle. Il défend la frugalité heureuse comme un mode de vie simple et sage. Selon lui, vouloir plus, c’est aliéner sa liberté au désir de richesse. Dans son analyse, le concept de sobriété devient l’étendard de tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans l’histoire de la révolution industrielle. « Selon Thoreau l’enjeu est de montrer qu’un autre modèle de société est possible et qu’il est d’autant plus enviable qu’il nous libère de notre condition pour nous proposer une plus profonde expérience de la vie.» (2). Depuis, paradoxalement, tous les projets sociaux autour de la sobriété seront considérés comme des mouvements de résistance au modèle consumériste et largement déconsidérés par les tenants de la société industrielle.
Au XXe siècle, des penseurs comme Hannah Arendt, dans La condition de l’homme moderne, dénoncent la dépendance des individus à la société de consommation : « Toute notre économie est devenue une économie de gaspillage, dans laquelle il faut que les choses soient dévorées ou jetées presque aussi vite qu’elles apparaissent dans le monde pour que le processus lui-même ne subisse pas un arrêt catastrophique. » (3) 
Jacques Ellul insiste sur le fait que le progrès social devrait se concentrer sur le développement de l’individu et de son autonomie : « Au prix d’une sobriété matérielle, nous pourrions dégager du temps en travaillant moins, passer plus de temps à l’art et à la culture » (4). Pierre Rabhi a fait de la modération sa règle de vie en expliquant qu’elle lui évoque « une tranquillité, une forme de contentement, un sentiment de satiété, de satisfaction profonde de ce que l’on a. Elle ramène les choses à leur juste valeur. La sobriété heureuse permet de sortir du manque, de libérer de l’espace en soi pour la joie, la créativité, la beauté et le partage. » (5)

L’enjeu est donc aujourd’hui de nous imposer volontairement des limites à titre individuel et collectif, d’accepter, comme l’explique le philosophe Dominique Bourg, que la sobriété « ne signifie pas l’ascèse ou le retour à une pauvreté volontaire, mais plutôt le rejet de la démesure ou du dépassement des limites. » (6) 
Les difficultés actuelles nous permettront peut-être d’appliquer collectivement la sobriété, grâce à une nouvelle approche éducative vers la simplicité volontaire. Il faudrait miser, selon Bergson, sur une éducation qui permette à la fois de comprendre l’impact de notre consommation grâce aux connaissances scientifiques et de développer notre goût pour des objets qui favorisent véritablement notre accomplissement personnel. 

(1) Philosophe, co-fondateur de l’association Stoa Gallica
https://stoagallica.fr
(2) Florian TIGNOL, Repenser notre rapport à la sobriété, Rapport d’activité de La Fabrique Écologique https://www.lafabriqueecologique.fr
(3) Hannah ARENDT, La condition de l’homme moderne, Éditions Livre de Poche, 2020, page 185
(4) Jacques ELLUL, Pour qui, pour quoi travaillons nous ? , Éditions La Table Ronde, 2018
(5) Pierre RAHBI, La puissance de la modération, Éditions Horhoni, 2015
(6) Dominique BOURG, Sobriété volontaire : enquête de nouveaux modes de vie, Éditions Labor et Fides, 2012
Par Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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