Rencontre avec Francine Fonsèque : La défense du jazz traditionnel
Expression emblématique de la liberté individuelle, le jazz classique repose largement sur l’improvisation, comme le reflet de la nature fluide et changeante de la vie elle-même, où l’on doit constamment s’adapter et improviser.
Le jazz est aussi est une forme de musique qui transcende les frontières culturelles et sociales. Il a ses racines dans la culture afro-américaine, mais il a été adopté et adapté par des musiciens du monde entier, symbolisant ainsi l’unité et la diversité. C’est pourquoi promouvoir le jazz classique, c’est célébrer un patrimoine musical riche et varié et reconnaître l’importance historique et culturelle de ce genre musical qui a influencé de nombreux autres styles de musique.
Francine Fonsèque, présidente du Jazz Club de France nous reçoit dans sa maison située à Breteuil aux frontières de la Normandie.
Revue Acropolis : Qu’est-ce que le jazz traditionnel ?
Francine Fonsèque : Justement, l’excellent musicien Stan Laferrière vient d’écrire un article sur la définition du jazz. Voici quelques extraits significatifs :
« Il y a eu de multiples tentatives pour donner une définition du jazz, mais, il apparaît finalement que seule une culture approfondie du jazz, plus sensitive et émotionnelle que théorique, permet de le comprendre vraiment. En cela les jazzmen sont donc mieux placés que les théoriciens pour en donner une définition satisfaisante. »
Le Jazz est une forme de musique qui vit le jour aux États-Unis à la charnière des XIXe et XXe siècles, grâce principalement à la rencontre des musiques africaines et européennes. Au départ, c’est un art collectif destiné à la danse et aux fêtes.
L’instrumentation, les mélodies et les harmonies du Jazz sont essentiellement issues de la tradition musicale occidentale. Le rythme, le phrasé et la production sonore, sont dérivés de la musique africaine et de la conception musicale des afro-américains….
Revue A. : Existe-t-il différents styles de jazz ?
F.F. : Les différents styles et les phases d’évolution qu’a connus le jazz depuis ses origines, se caractérisent par le fait que les 3 éléments fondamentaux du jazz (swing, improvisation et production du son) acquièrent temporairement une importance diverse, et que la relation qu’ils entretiennent entre eux se modifie en permanence…
Pour résumer, en jazz, ce n’est pas tant ce que l’on joue qui compte, mais plutôt la façon de le jouer. » Francine Fonsèque ajoute : « Pour moi, le jazz traditionnel, ça fait bouger les pieds ! Duke Ellington disait : « vous ne pouvez pas décrire du swing, parce que le swing, c’est ce qui émeut l’auditeur… » »
Revue A : Francine Fonsèque, vous aussi vous êtes une musicienne, au service de la musique, tout particulièrement du jazz originel. Qu’est-ce qui vous a amenée à cela ?
F.F. : J’étais professeur de maths. J’élevais mes deux enfants après mon divorce. Un ami musicien m’a amenée dans un groupe de musiciens pour une soirée cabaret. C’est alors que j’ai rencontré Raymond qui est devenu mon mari. Avec lui, j’ai découvert la musique sous des aspects que j’ignorais alors.
Raymond m’avait intriguée par le travail sur les rapports des notes : tons majeurs, tons mineurs. Avec lui je suis devenue musicienne (je joue du tuba) et nous avons créé ensemble des instruments à sons fixes qui respectent la justesse naturelle car Raymond était aussi un chercheur. J’ai eu beaucoup de chance d’être auprès d’une personne aussi généreuse et passionnée. Il était toujours prêt à rendre service. Il était très pédagogue et aimait enseigner la musique.
Revue A. : Raymond Fonsèque a mené une vie au service du jazz traditionnel, n’est-ce pas ?
F.F. : Oui, il a obtenu le prix de l’académie du jazz en France en 1981. C’était comme le couronnement de sa carrière musicale, alors qu’il n’avait que 51 ans. En effet, il a formé de nombreux orchestres et a donné, avec les musiciens américains de passage en France de nombreux concerts. Il a fait de la radio, de la télévision. Avec Jean-Christophe Averty, il a tourné des films et participé à de nombreuses émissions pour la télévision. Il était très connu comme trombone, mais il jouait aussi de nombreux instruments : du piano, du tuba, Il a joué avec les plus grands. Pour ne citer que les plus célèbres : Sidney Bechet, Louis Armstrong, tous deux figures emblématiques du jazz de La Nouvelle-Orléans. Il a été premier trombone de l’orchestre de l’Olympia et même aussi chef d’orchestre de Johnny Halliday et d’autres chanteurs connus.
Revue A. : Pouvez- vous nous parler du jazz de la Nouvelle-Orléans ?
F.F. : À La Nouvelle-Orléans, aux États-Unis, la culture européenne a rencontré celle des Afro-Américains. Il y avait aussi des marins et parmi eux de nombreux instrumentistes.
Le jazz s’est développé en particulier à Storyville, un quartier mal famé qui comptait de nombreuses maisons de prostitution dans lesquelles on pouvait entendre des musiciens, soit des pianistes solistes, soit des orchestres.
La Nouvelle-Orléans est le pays d’Amérique où il y avait le plus de musique avec des compétitions d’orchestres. Pour tous les évènements de la vie, on commandait un orchestre. La compétition, c’était à qui plairait au plus grand nombre de personnes. Les grands noms de cette musique furent dans les débuts Jelly Roll Morton, Scott Joplin pour le ragtime. Puis Joe King Oliver a créé un orchestre dans lequel ont joué les plus grands de l’époque, dont Louis Armstrong.
En France nous connaissons aussi beaucoup Sidney Bechet. C’était un monde surtout masculin. Ce sont ceux qui ont quitté La Nouvelle-Orléans pour Chicago, New-York ou l’Europe qui sont devenus les plus célèbres.
Revue A. : Vous aimez raconter l’histoire de Louis Armstrong, appelé parfois, le père du jazz.
F.F. : Oui, Louis Armstrong a une histoire bien singulière. Il est né dans la misère dans le quartier français de La Nouvelle-Orléans. Enfant, il chantait avec d’autres gosses de son quartier. Un jour, il vole un revolver avec lequel il tire. Il est alors arrêté et amené dans une maison de redressement. La principale punition dans cette maison : apprendre la musique aux enfants !
Louis Armstrong a reçu une première trompette dans cette maison. Et, ensuite, Il doit à un musicien le fait d’être devenu le génie musical et le chanteur qu’on connaît. Ce musicien, Fate Marable, avait engagé le jeune Louis pour jouer sur un bateau du Mississippi. C’est lui qui a fini de lui apprendre la musique. Et Louis Armstrong est devenu une célébrité. Alors que vive le jazz, qui incite à la danse car il est symbole d’énergie, de vitalité, de peps !
Revue A. : Si vous deviez donner une définition de l’art ?
F.F. : Pour moi, si quelque chose me prend au cœur et crée du bonheur, c’est de l’art. Et on peut le trouver partout autour de soi autant réalisé par un être humain ou simplement par la nature qui nous entoure.
L’association Jazz Club de France
Dans les statuts de l’association Jazz Club de France, figure la défense du jazz traditionnel et des musiciens de jazz qui pratiquent cette musique en France et dans les pays limitrophes.
Elle réunissait, fin 2024, 453 adhérents amoureux du jazz d’origine.
Francine Fonsèque en a pris les rênes après le décès de son mari, le musicien de jazz très talentueux : Raymond Fonsèque, décédé en 2011. Celui-ci a largement contribué à l’histoire du jazz en France, à celle des cuivres et de l’harmonie musicale.
Francine Fonsèque, présidente et trésorière de l’association précise : « Pour ce qui est des activités du Jazz Club de France, elles se limitent maintenant à la revue dans laquelle il y a la promotion des musiciens et orchestres de qualité. J’ai continué à publier cette revue née en 1993 après le décès de Raymond. Elle s’intitule : Jazz Dixie/Swing avec un sous-titre : du ragtime au big band. Le ragtime (temps déchiré) d’où est né le jazz. Du temps de Raymond, il y avait aussi le Cercle d’Étude du Jazz Club de France qui s’est déroulé dans différentes maisons de la culture, et ensuite dans le quartier du Marais, rue Pavée, (IVe arrondissement de Paris). Raymond enseignait principalement aux musiciens présents comment improviser. Les dimanches, il y avait aussi des scènes ouvertes où les musiciens venaient se frotter à la difficile expérience de jouer ensemble. Raymond donnait beaucoup de conseils aux musiciens de province dans la revue Jazz Hot et a écrit plusieurs livres sur l’harmonie et la justesse. Au vu de la qualité de son savoir-faire, il était systématiquement choisi, avec son orchestre, pour accompagner les musiciens américains de passage en France : Wallace Davenport, Albert Nicholas, Bill Coleman. »