Rodin, un géant de la sculpture, Hommage au centenaire de sa mort
Auguste Rodin (1840-1917) est reconnu aujourd’hui comme l’un des phares de la sculpture moderne. Un précurseur et une source d’inspiration inépuisable pour des générations de sculpteurs.
Le 17 novembre 1917 Rodin meurt, laissant plus de 6000 sculptures, 7000 feuilles et quarante peintures dont l’intégralité de son fond qu’il a légué à l’État avec sa bibliothèque, ses archives, quelques 10 000 photographies, 6 500 vestiges antiques et 160 toiles d’amis peintres amoureusement collectionnés (des Monet, des Renoir, des Van Gogh…). Il est alors l’artiste le plus célèbre en Europe. En raison de la guerre, le gouvernement n’a pu organiser des funérailles nationales.
C’est donc le centenaire de sa mort qui est célébré par une très riche exposition au Grand Palais (1) et par le Musée Rodin Paris et le Musée Rodin Meudon (2).
« Être homme avant d’être artiste »
Issu d’une famille modeste, sans grande culture, malgré ses dons certains reconnus par ses professeurs, il échoue par trois fois au concours d’entrée à l’Ecole des beaux-arts… à l’épreuve de sculpture, son manque de culture lui causant préjudice et son style n’entrant pas dans les canons néo-classiques.
Travailleur acharné, il s’engage dans de nombreux ateliers, apprend avec des sculpteurs qui lui permettent de progresser dans sa formation et son ascension. Il commence à voyager et faire de nombreuses rencontres.
En 1875, il voyage en Italie où il découvre entre autres les « secrets » de Donatello et surtout ceux de Michel-Ange qui sera sa source d’inspiration. De retour en France, il visite les grandes cathédrales.
En 1877, il réalise à Paris L’Âge d’airain, statue grandeur nature en plâtre d’un jeune homme. L’impression de vie est telle, qu’il est accusé d’avoir moulé son modèle. Son succès au parfum de scandale renforce sa bonne fortune. Pour lever ce malentendu, il crée l’année suivante son Saint Jean Baptiste … plus grand que nature.
Son rêve s’exprime dans son testament artistique : « Jeunes gens, vous êtes les officiants de la Beauté. Inclinez-vous devant Phidias et devant Michel-Ange […]. Respectueux de la tradition, sachez discerner ce qu’elle renferme d’éternellement fécond : l’amour de la nature et la sincérité. Ce sont les deux fortes passions des génies […]. Que la nature soit votre unique déesse […]. L’art ne commence qu’avec la vérité intérieure. Que toutes vos formes, toutes vos couleurs traduisent des sentiments […]. Être homme avant d’être artiste ! » (3).
La réalisation du génie
Par l’expressivité des gestes, des sentiments, par la sensualité et sa restitution des émotions, il influence dès lors le monde de la sculpture. Au-delà de l’invention d’un style, que l’on nommera expressionniste, il innove par des techniques nouvelles comme l’assemblage, la démultiplication… ou même la fragmentation.
Le corps humain sera son sujet de prédilection. Le nu, sa forme d’expression. D’abord traité dans son intégrité, le corps sera parfois fragmenté, mutilé, privé de ses membres et réduit à ses parties essentielles, à un torse sans bras, campé sur ses jambes, comme L’homme qui marche. Ce corps bousculé dans ses limites doit traduire les images et les tourments de l’âme. S’il empreinte aux classiques les canons de la beauté idéale, il les bouleverse avec réalisme et véracité. Il pétrit la matière pour en extraite l’essence : « Le moulage ne reproduit que l’extérieur ; moi je reproduis en outre l’esprit, qui certes fait bien partie de la Nature. Je vois toute la vérité et pas seulement celle de la surface » (4). Tel Pygmalion, il insuffle un frisson de vie à ses œuvres que ce soit dans le plâtre, la terre, le marbre ou le bronze.
De Michel-Ange, il retient la force expressive du non finito qui laisse un coté inachevé à l’œuvre. L’œuvre principale de sa vie sera La Porte de l’enfer, inspirée de la Divine Comédie, commande de l’Etat français qui ne sera jamais livrée et à laquelle il travaillera seul jusqu’à la fin de ses jours. Elle est exposée au musée Rodin en 2013. Les éléments moulés en terre puis coulés en plâtre, ont été pour la plupart repris en figures isolées, devenant des œuvres à part entière. Leur expressionisme est poignant. Ils traduisent les souffrances infligées à l’homme au cours de son existence.
Toute sa vie, Rodin a tenté de transcrire dans la matière le caractère tragique de l’existence humaine et les interrogations qu’elle suscite, concentrées dans une œuvre immortelle, le Penseur qui couronnait la Porte de l’enfer.
Mais il sait aussi traduire l’extase de l’amour, comme dans Le Baiser où palpite la vie. « Avec Rodin, le marbre tremble », disaient ses contemporains.
L’influence du maître et son rayonnement
Rodin organisa son travail avec six ateliers et plus de cinquante collaborateurs. Pour comprendre l’ambiance de ces ateliers, il faut se rendre à la Villa des Brillants, Musée Rodin à Meudon.
Rodin fut un patron, une idole, un mythe.
Pour beaucoup, il fut d’abord un maître. Son influence sur les artistes de son temps est incontestable mais complexe. Nourrie d’admiration, elle est en même temps combattue par ceux qui veulent prendre leurs distances pour exister. Et il aura même de sérieux ennemis dans le courant officiel de l’École des Beaux-arts.
Son premier cercle d’influence s’exerce sur ses praticiens, ses aides d’atelier, qui collaborent à la réalisation des œuvres. Les plus connus furent François Pompon — célèbre animalier qui réalisa des sculptures parfaitement lisses — Jules Desbois, Antoine Bourdelle et Constantin Brancusi. Bourdelle ajoutera une dimension symbolique à son œuvre et écrira un texte émouvant à la mort de Rodin sur l’Art de Rodin. Brancusi pour sa part, après une courte collaboration avec Rodin, préfère s’en éloigner pour développer son propre travail en disant que « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ».
Il comptait aussi avec de nombreuses femmes dans son atelier, mais c’est Camille Claudel qui sera son élève la plus douée qui deviendra également sa maitresse et finira sa vie de façon tragique après la rupture d’une relation féconde d’une dizaine d’années.
Rodin est le précurseur de nombreuses techniques qui seront développées et explorées pleinement par de très nombreux sculpteurs jusqu’à nos jours.
À la fin de sa vie, définissant l’artiste, il fait son propre portrait : « Tout est beau pour lui, car en tout être et en toute chose, son regard pénétrant découvre le caractère, c’est-à-dire la vérité intérieure qui transparaît sous la forme. »
Dans ce sens, il rapproche l’idéal de l’artiste de celui du philosophe en quête de vérité et d’unité.