Et la vérité dans tout ça ?
#2 L’expérience de la vérité
À propos de Bertrand Vergely:
Philosophe, théologien et essayiste français, Bertrand Vergely a enseigné à Sciences Po Paris. Il est professeur en classes préparatoires au lycée Pothier d’Orléans, aux grandes écoles en Khâgne (Ulm) et en Khâgne (B/L). Il est également maître de conférence en théologie morale à l’Institut Saint-Serge, la faculté orthodoxe de Paris. Il a créé la collection de livres philosophiques Les Essentiels de Milan et est également l’auteur de nombreux ouvrages (1).
Il faut avoir l’humilité de la vérité, c’est-à-dire revenir aux définitions de la vérité et en particulier à sa définition métaphysique. Je suis totalement opposé à mon époque qui veut éliminer une fois pour toutes la métaphysique en pensant que le temps de la métaphysique est fini. Il n’est absolument pas fini mais au cœur de toute chose ;
L’expérience de la métaphysique est ce qui se passe quand je m’arrête, que je respire, que j’écoute et que je regarde, que je passe de l’existence à l’existence qui Est, c’est à dire à l’existence pleinement vécue.
Vivre dans l’existence, l’infini
Nous sommes dans la vérité de la vie, quand nous pouvons vivre dans l’existence quelque chose d’infini. Nous le vivons dans l’expérience du silence, de la concentration. Nous permettons alors à l’existence d’exister, nous reconnaissons les autres dans leur existence et nous vivons pleinement. Nous faisons alors une expérience hautement métaphysique et philosophique. Les sages de l’Antiquité se nourrissaient de leur Être ; ils n’avaient plus vraiment besoin de posséder les choses de ce monde. Cela leur donnait une telle lumière et quelque chose de tellement rayonnant que les gens venaient autour d’eux et étaient apaisés, illuminés, inspirés pour vivre de manière juste, simplement en les regardant.
Nous cherchons aujourd’hui les moyens de pouvoir vivre autrement sans épuiser l’énergie du monde. Il n’y en a qu’une dont personne ne parle, pas même la COP 22 ! C’est l’expérience de l’Être, qui nous permet de trouver un processus d’autorégulation remarquable. Nous voulons une énergie infinie ? Revenons à l’énergie de l’Être qui est à l’intérieur de nous. Nous trouverons des modes de régulation nous permettant de faire des économies substantielles dans un monde souvent désemparé qui a le choix entre la dépression nerveuse et la panoplie des toxicomanies.
L’expérience poétique de la vérité
L’expérience de l’Être nous permet d’entrer dans notre humanité, notre réalité la plus concrète, et de faire l’expérience de la nature et de l’humanité qui Est. L’expérience de la nature qui Est, c’est l’expérience poétique de l’existence quand nous faisons une correspondance entre nous et la vie, la vie et nous. Alors nous arrivons à vivre une nature qui Est. Relisons Baudelaire :
La nature est un temple ou de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles :
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
L’expérience d’un monde vivant fait écho à ce que dit Rimbaud dans Une saison en enfer lorsqu’il parle de« posséder la vérité dans une âme et dans un corps. »Tant que l’on n’est pas poète, « la vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde ». Par contre, dès que l’on est poète et que l’on entre dans les correspondances entre l’intérieur et l’extérieur, le cœur et la vie, la vie et le cœur, le monde se remplit de paroles et il est plus vrai que vrai. On dit qu’il n’y a pas de vérités poétiques. Si ! La vérité poétique existe parce que c’est une vérité qui est plus vraie que vraie et nous pouvons alors aller vers la vérité de l’humanité. On dit que la morale est relative ; elle n’est pas relative, elle nous est donnée par l’Être et par l’expérience de l’Être qui nous permet d’avoir une humanité véritable avec des Êtres véritables.
Que devient la vérité avec l’expérience de la vérité ? Elle n’est pas un modèle même si le modèle est utile pour pouvoir penser. La vérité est une parole qui nous permet d’exister pleinement en faisant exister pleinement la nature et notre humanité.