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Société

Les mots et l’impossible réalité

« Aucune société ne peut être purgée de tout désordre ;
il faut donc ruser avec lui à défaut de pouvoir l’éliminer. »
Georges Balandier (ethnologue et sociologue français 1920-2016)

Il n’existe pas d’ordre sans ambivalence. Tout ordre, y compris l’ordre divin des religions anciennes et actuelles, est fondamentalement imparfait sur Terre. La mort à l’œuvre, la douleur, les catastrophes naturelles et les guerres témoignent de l’imperfection du monde et des hommes. Ordre et désordre, destruction et création se succèdent cycliquement depuis la nuit des temps. Ainsi, l’équilibre du monde est-il très fragile.
Le désordre n’est pas exactement le chaos dans lequel il n’y a ni ordre ni désordre. Le désordre est la perturbation dans l’ordre, l’incertain dans le certain, le vacillement dans le stable, l’ambigu dans l’univoque, l’étranger dans le familier, la vulnérabilité dans la force.

Les forces du désordre portent en elles une vitalité nouvelle, un potentiel créatif, une remise en cause d’un ordre établi qui se sclérose. Elles incarnent le mouvement et l’échappée des cadres sociaux. Elles révèlent un désordre générateur contre la fermeture des systèmes.
Ces forces du désordre font partie des lois de la nature, de la société et des êtres humains. Si nous apprenons à nous les concilier à travers une médiation créatrice, elles deviennent forces de renouveau. Une manière de les intégrer et de leur donner un sens est le récit qui apporte un semblant d’ordre. Ainsi sont nées les mythologies, les célébrations, les appels à une destinée commune.

Roger-Pol Droit et Monique Atlan viennent de publier Quand la parole détruit (1). Ils nous alertent sur une crise de la parole qui, aujourd’hui, risque de nous conduire vers un système fermé et cloisonné par l’absence de dialogue et de médiation. Or, si les sociétés ou les êtres humains se renferment sur eux-mêmes, ils risquent de déchaîner des forces de désordre très violentes qui peuvent les mettre en péril. 
« Pour avoir le sentiment d’exister, il faut désormais donner son avis sur tout et s’autoproclamer expert en tout domaine. […] Dans le même temps, la parole se libère […] mais en s’accompagnant d’un effet de « meute », favorisé par l’anonymat et le virtuel, qui aboutit à une déresponsabilisation. » (2) 
Les auteurs nous mettent en garde contre la tentation dominante « d’annuler l’autre, de le « canceller » (3) ». En fait, les mouvements woke ou autres espèrent qu’en changeant les mots, on changera le réel. Ils véhiculent l’idéal (impossible) d’un monde de fiction pur et de parole épurée, enfin délesté des traces du poids du passé. Rien ne devrait choquer et tout désagrément doit être effacé. Mais les nouveaux gardiens de la parole qui plaident pour un nouvel ordre incontestable, sont, curieusement, la matrice de nouveaux désordres stériles.

Nous vivons une crise du réel. Ils veulent faire comme si les forces du désordre n’existaient point, tout en véhiculant dans leurs propos et leurs actes une puissante violence qui nie l’autre ainsi que toute forme de confrontation d’idées. Les plateformes et les réseaux sociaux sont leurs moyens d’expression. Ils évitent tout contact avec des personnes qui ne sont pas de leur avis en instaurant une réalité virtuelle. 
Paradoxalement, cette manière de s’exprimer contribue à développer des êtres esseulés. Ceci nous rappelle les propos de la philosophe Hannah Arendt qui expliquait que l’avènement du totalitarisme ne pouvait se faire qu’à travers une société d’hommes et de femmes esseulés, c’est-à-dire incapables de dialoguer avec eux-mêmes et ne se sentant exister qu’à travers les manifestations de masses. 
La soif de violence et de haine est aujourd’hui affichée sans complexe et sans pudeur. 
Comme nous le savons, les algorithmes font des recherches de contenu en fonction des opinions des personnes qui sont sur les réseaux, amplifiant alors le contact virtuel entre des personnes qui veulent se rassurer sur leurs croyances. Elles ne cherchent pas des preuves pour étayer leurs pensées, mais des « amis » qui pensent comme elles. 

Il est urgent de devenir ami de la philosophie, de quitter le monde lucratif des algorithmes et de commencer à penser par soi-même, en s’éloignant de toute forme de séparativité, de haine et de violence.

(1) Paru aux Éditions de L’Observatoire, 2023, 320 pages
(2) Roger-Pol Droit et Monique Atlan : Il y a une fragilité de la démocratie liée à la parole, par Alice Develey, paru dans le Figaro du 22 avril 2023
(3) De l’anglais cancel : annuler
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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