Entretien avec Gilles Farcet la relation Maître-disciple
#2 La rencontre avec Arnaud Desjardins
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Dans le cadre du 50e anniversaire de notre revue, après Antoine Faivre, nous publions l’entretien réalisé avec Gilles Farcet (1) en 1995 sur la relation de maître à disciple.
À propos de Gilles Farcet
Gilles Farcet, écrivain, journaliste, producteur à France Culture, animateur de stages, a également collaboré à diverses revues et a fondé à La Table Ronde la collection « Les Chemins de la Sagesse ». Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages a travaillé aux côtés d’Arnaud Desjardins, qu’il a considéré comme son maître. Il se consacre, dans ses écrits comme dans sa vie, à une meilleure compréhension de la relation maître à disciple, située au cœur de toutes les traditions spirituelles.
Ce second extrait raconte sa rencontre avec son maître, Arnaud Desjardins.
Revue Acropolis : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Arnaud Desjardins ?
Gilles FARCET : À l’âge de vingt-trois ans, j’ai donc rencontré Arnaud Desjardins avec qui je me suis tout de suite senti en confiance. Dès notre premier contact – j’ai assisté à une réunion qu’il animait – je me suis trouvé à ma place et ai eu le sentiment d’avoir essentiellement découvert ce que je cherchais. Tout le travail restait encore à faire, mais il me semblait avoir trouvé mon « école ».
Revue A. : Cela, vous ne l’avez jamais remis en question !
G. F. : Non. Si Arnaud Desjardins a beaucoup d’admirateurs, il a aussi ses détracteurs. Comme toute personne en sa position, il fait l’objet de critiques et de jugements parfois très sévères et tranchés. Je crois avoir toujours laissé monter en moi les doutes et les interrogations, parce que cela fait justement partie de l’enseignement de ne rien refouler et de regarder ce qui monte en soi sans se voiler la face ; mais jamais je ne me suis véritablement posé de « problème » vis-à-vis de sa transmission ou de telle ou telle de ses attitudes. Beaucoup de gens passent leur temps à chercher la petite bête, à se demander si le maître qu’ils prétendent suivre – surtout s’il s’agit d’un occidental ordinaire dont l’existence n’est pas exempte de difficultés courantes – est bel et bien éveillé, bien ceci, bien cela, s’il est « mieux » ou « moins bien » que tel autre, etc.
Pour ma part, j’ai d’emblée ressenti Arnaud comme profondément bon et honnête, enraciné en sa profondeur, animé par le désir non-égoïste de venir en aide à autrui et ne parlant que de ce qu’il avait lui-même vécu et expérimenté. J’ai eu par la suite l’occasion de le fréquenter d’assez près dans des situations diverses et il ne m’a jamais déçu, peut-être parce que mon aspiration de départ était claire et que je ne cherchais ni un super-héros ni un yogi miraculeux mais un maître, un guide en d’autres termes une personne parvenue à la maîtrise et capable de m’indiquer comment moi-même progresser vers cette maîtrise. Le fait de me sentir à ma place auprès de lui ne m’a pas empêché de m’ouvrir à d’autres formes et à d’autres voies, ainsi qu’en témoignent mes articles et mes livres, notamment le dernier, L’Homme se lève à l’Ouest, Les nouveaux sages de l’Occident, paru chez Albin Michel. Lui-même m’a encouragé à rencontrer des Sages, des disciples, et des maîtres. Ni sectarisme ni fermeture, donc, mais un nécessaire enracinement.
Revue A. : Cette relation existe toujours ?
G.F. : Oui, bien sûr. Je crois qu’elle ne saurait être brisée. Encore faudrait-il savoir de quelle relation nous parlons… Si j’évoque « ma » relation avec Arnaud Desjardins, on aura l’impression qu’il s’agit des rapports qu’entretient Gilles Farcet, 33 ans, écrivain et journaliste, avec Arnaud Desjardins, 66 ans (2), auteur de livres et gourou… Or il ne s’agit pas de cela. Certes, ma personnalité entretient effectivement des rapports avec la sienne, nous nous entendons plutôt bien. Je veux bien que l’on me dise que j’ai cherché en lui mon père, c’est tout à fait vrai, d’autant plus que je l’ai rencontré en pleine période de formation, alors que je terminais mes études et ne gagnais pas encore ma vie. Mais là n’est pas l’essentiel. Car après tout, j’ai eu la chance d’approcher beaucoup d’autres personnes remarquables et même susceptibles de me fasciner davantage sur le plan artistique ou humain. Le cœur de la relation est d’un autre ordre.
Il ne s’agit pas tant d’une relation entre deux personnes que d’une relation entre un maître et un disciple, ou un apprenti-disciple, ou un apprenti-apprenti-disciple, je ne sais pas… quelqu’un qui, en tout cas, essaie sincèrement de suivre le chemin proposé. Et cette relation, finalement, est à la fois extrêmement personnelle et tout à fait impersonnelle.
Si cette relation a vraiment été établie, elle ne peut pas être brisée. Elle ne se situe pas sur le seul plan immédiatement humain, elle transcende les formes transitoires.
Revue A. : Pourquoi dites-vous : « Si cette relation a vraiment été établie… ? »
G.F. : Parce qu’en cette matière, il convient de rester très prudent. Cela se vérifie dans le temps. Voilà une dizaine d’années que je m’expose à cette influence. Ce n’est pas mal mais, en même temps, c’est court et je suis encore jeune. Rendez-vous dans vingt ou trente ans…
Revue A. : Peut-on parler de filiation d’idées ? Où se situe d’après vous l’origine de cette relation ?
G.F. : Elle part de l’essentiel pour aboutir à l’essentiel. Dürckheim (3) distingue ce qu’il appelle le niveau essentiel du niveau existentiel. Dans la mesure où le maître a retrouvé au plus profond de lui-même ce qui constitue l’essence, la réalité ultime de tout être vivant, c’est à partir de son être essentiel, même s’il n’en est pas conscient, que le disciple va vers le maître. Tout appel authentique, tout élan vrai vers le maître et ce qu’il transmet procèdent de l’essence. La relation de maître à disciple se manifeste certes sur le plan existentiel : je puis téléphoner au maître, déjeuner avec lui, prendre le train en sa compagnie, avoir avec lui des entretiens… mais ce n’est là que l’apparence. L’important se joue dans l’ordre de l’essence.
Tout maître authentique est véhicule et serviteur d’une essence universelle et impersonnelle, laquelle utilise ses qualités et aptitudes humaines pour se manifester. Aussi le maître s’adresse-t-il de l’essence à l’essence, « de mon âme à ton âme, de mon être à ton être, de mon cœur à ton cœur », comme le dit la belle expression traditionnelle. Sur ce plan, le gourou n’est pas un autre que le disciple.
Mon essence – ce que je suis, au-delà de toutes les particularités et limites de la manifestation transitoire appelée Gilles Farcet – était à la recherche d’elle-même et s’est reconnue en la manifestation transitoire appelée Arnaud Desjardins, cette dernière constituant un véhicule plus purifié et transparent. Lorsque je percevrai : qu’il « n’y a plus deux mais un », lorsque je ne me prendrai plus pour Gilles et ne prendrai plus Arnaud pour Arnaud, l’énergie du gourou aura fait son office. Cela, bien sûr, c’est le « but », si on peut parler de but pour une réalité qui est déjà là, bien que je n’en aie pas conscience. Mais dès le départ, la relation, si elle s’établit vraiment, se noue au niveau essentiel. C’est parce qu’elle relève de l’essentiel qu’elle est impérissable, alors que ce qui ne relève que de l’existentiel sera nécessairement périssable. Arnaud dit souvent que depuis que son maître est mort, jamais il ne s’est autant senti en communion avec lui. Il ne le perçoit plus comme situé dans l’espace et le temps mais le ressent toujours présent.