Cicéron, un personnage à multiples facettes
Cicéron est un personnage à multiples facettes de la Rome antique : avocat, politicien, orateur, écrivain et surtout philosophe idéaliste. Sa notoriété a traversé les siècles.
Cicéron, de son nom romain Marcus Tillius Cicero (106 av. J.-C – 44 av. J.-C.) étudia le droit à Rome et la rhétorique et la philosophie en Grèce et en Asie mineure. Bien que n’appartenant pas à la noblesse, il accèdera pourtant à la magistrature romaine par sa popularité, son éloquence, ses relations et son influence. Il sera philosophe, avocat, politicien, grand orateur.
Idéaliste, croyant aux valeurs de la République romaine, il vécut un contexte politique difficile au moment où la République est menacée mais il la défendit jusqu’au bout, grâce à un très fort ancrage dans ses idées, sa force oratoire et son habileté littéraire.
Un avocat contre la corruption et les ennemis de l’État
En -81, il débute sa carrière en plaidant contre un des affranchis de Sylla, le tout-puissant Chrysogonus : son plaidoyer, Pro Sexto Roscio Amerino, aurait provoqué l’abdication de Sylla. Sa notoriété démarre rapidement. Ce fut un avocat éloquent et très craint. Ce fut surtout un défenseur engagé luttant contre les hommes politiques corrompus et les ennemis de l’État.
On retiendra surtout ses plaidoiries célèbres contre Verrès, gouverneur de Sicile, accusé de détournement de fonds et d’abus de pouvoir. Le procès et la somptuosité de son éloquence vont faire connaître Cicéron, qui plaidera dans des procès éminents. Cicéron écrira aussi Des Lois, source de la théorie du droit naturel. Pour lui, les lois de la nature étaient supérieures aux lois temporelles des hommes et des gouvernants. Il écrit « la loi naturelle est la raison droite, en accord avec la nature, commune à tous les hommes, constante, éternelle ».
Un défenseur de la République, des citoyens et des esclaves
Grâce à sa notoriété comme avocat et à la puissance de ses discours, Cicéron va entrer dans la vie politique et s’engager dans un moment de transition entre la République et l’Empire romain.
D’abord questeur en Sicile en -75 (sorte d’inspecteur du gouvernement) puis édile en -69, pour maintenir l’ordre public, et préteur en -66, Cicéron sera élu consul en -63, par acclamation au Sénat et appellera sans cesse à l’union nationale. Il sera nommé gouverneur en Cilicie en -51, ce qui lui vaudra en -50, le titre d’imperator, commandant d’armée, après une expédition contre les Parthes.
Cicéron est un grand défenseur de la République, de la citoyenneté, des hommes libres mais aussi des esclaves dont il contestera qu’ils soient considérés comme des choses en droit romain. Il affranchira son esclave Tiron, chargé, après sa mort, de la mise en œuvre de ses écrits. Il fut un grand tribun : il eut l’habileté de retranscrire tous ses discours politiques (de même qu’il retranscrira ses plaidoiries, notamment les Verrines lors du procès contre Verrès).
Il dénoncera devant le Sénat, sous son consulat, la conspiration de Catilina (homme politique romain qui préparait un coup d’État), et ce, dans quatre brillants discours appelés les Catilinaires. Catilina prend alors la fuite et Cicéron qui fera éliminer ses complices, sera alors proclamé « Père de la patrie ». Il est à ce moment-là au plus haut de sa gloire.
De César à Octave
En prenant parti contre Catilina, Cicéron s’est attiré la haine des démocrates et il sera exilé en Thessalonique en-58. Son retour en -57 est acclamé, mais son influence politique déclinera, notamment durant la guerre civile que se sont livrés, entre -49 à -45, César et Pompée, généraux et chefs de parti, après la mort de Crassus. Il assiste impuissant à la bataille qu’ils se livrent pour le pouvoir, puis à la victoire de Jules César et au pouvoir absolu qu’il obtient du Sénat. Cicéron assistera ensuite à la séance du Sénat des ides de mars -44 av. J.-C. au cours de laquelle César sera éliminé par son neveu Brutus.
À la demande d’Octave, successeur désigné de Jules César, il prendra la tête de la lutte contre Marc Antoine. Il déclare une guerre ouverte à ce dernier à travers ses écrits, les Philippiques. Octave remporte deux victoires contre Marc Antoine. Cicéron, désigné comme le vainqueur, est amené en triomphe au Capitole puis aux Rostres du Forum, la tribune des orateurs, d’où il s’adresse, euphorique, au peuple romain.
Mais lorsqu’Octave marche sur Rome avec ses légions pour combattre à nouveau Marc Antoine qui résiste, Cicéron rompt avec Octave car il condamne la violence contre la République. Mais le rapprochement d’Octave avec Marc Antoine au sein du triumvirat avec Lépide signera sa perte. Marc Antoine, le place en tête de la liste des personnes à abattre. Il le fera assassiner en -43 et sa tête et ordonnera que ses mains soient exposées sur l’ordre de Marc Antoine comme trophées visibles dans la tribune même des orateurs des Rostres où, quelques mois plus tôt, Cicéron avait été acclamé par la foule quand il avait plaidé contre la brutalité, contre les dérives du pouvoir et l’illégalité.
Un héritage important
Cicéron laissera, outre cinquante et un discours et plaidoyers écrits, des traités de rhétorique, de politique, de morale, beaucoup de Lettres à ses proches et notamment à son ami Atticus ou à son frère Quintus. Toutes ses œuvres constituent des sources utiles sur la civilisation romaine et des références éminentes dans ces domaines. Cicéron soignait ses écrits comme s’il voulait les transmettre à la postérité et disait : « L’histoire est le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, l’institutrice de la vie, la messagère de l’Antiquité ».
Cicéron, philosophe
Cicéron fut un grand philosophe et un adepte de l’éclectisme. Les Tusculanes sont une exaltation à la philosophie, au bonheur de vivre, de penser, de vieillir et même de mourir ! Un manifeste du stoïcisme. Cicéron arborera, dans le plan métaphysique, un scepticisme pratique : il exprime librement son incertitude face au divin, défendant la nécessité d’une conduite humaine détachée du divin, voire une sagesse par l’accomplissement et l’exigence morale dans ses devoirs. Dans son Traité Des devoirs, il définira la conduite honnête, c’est-à-dire morale, à l’aune des quatre vertus cardinales que sont la prudence, la force d’âme et la modération, mais surtout la justice.
Il disait : « La justice est une disposition de l’esprit, qui, tout en sauvegardant l’intérêt général, accorde à chacun la dignité qui lui revient » (De l’Orateur – Livre 1).
Le rôle du philosophe
Pour Cicéron, « l’homme qui s’applique à étudier les choses divines et humaines, à en rechercher la nature et les causes, à connaître et mettre en pratique les règles de la morale, tel est le philosophe » (De l’Orateur).
Le philosophe est avant tout l’être social c’est-à-dire l’homme citoyen et engagé dans la vie publique : Cicéron en fut un exemple lui-même. Sa philosophie est centrée autour de l’homme : Cicéron a apporté le concept d’humanitas et l’idée que l’homme puisse réfréner ses tendances naturelles grâce à la raison. Il restera connu pour avoir vulgarisé la philosophie grecque en latin auprès du public romain.
Son idéalisme philosophique va inspirer les Pères de l’Église et notamment Saint Augustin dont la lecture de l’Hortensius de Cicéron serait à l’origine de sa conversion à la philosophie. Cicéron sera redécouvert au Moyen Age et enseigné au même titre qu’Aristote. Saint Thomas d’Aquin critiquera puissamment la théorie averroïste de l’intellect en se servant des sources cicéroniennes.
La pensée d’inspiration platonicienne de Cicéron aura enfin une influence, au XVIIIe siècle par ses idées humanistes et sa conception de la raison.