
Les nouveaux supports digitaux sont aujourd’hui au centre des débats à cause de leur influence démesurée dans la désinformation. Comment la philosophie peut-elle nous armer pour trouver le chemin de la réalité ?
Le paysage de l’information a connu une mutation sans précédent. Aux États-Unis, comme ailleurs, les médias traditionnels reculent face à l’essor des plateformes numériques : podcasts, réseaux sociaux et autres supports. Ces derniers, autrefois perçus comme des espaces de liberté et de partage, sont devenus de dangereux outils, permettant une information unique et biaisée, échappant aux standards du journalisme.
Quand l’idéologie façonne l’information
Un cas emblématique est celui de X, le réseau dirigé par Elon Musk. Depuis la réélection de Donald Trump, cette plateforme diffuse des messages politiques ciblant les dirigeants européens. Ces publications, loin d’être neutres, mêlent invectives et jugements abrupts, alignés sur une idéologie libertarienne.
De plus, les algorithmes de X amplifient le phénomène en assurant une visibilité hors norme à ces messages, qui leur permet d’atteindre des millions d’utilisateurs, bien au-delà du cercle d’abonnés. Ce sont ainsi presque 80 messages quotidiens qui ont une visibilité mille fois supérieure à celle de n’importe quel autre message posté sur la plateforme.
Des outils de manipulation numérique
Face à cela, Joseph E. Stiglitz, économiste de renom, qualifie les réseaux sociaux de « moteurs de propagande ». Il dénonce leur rôle dans la polarisation des opinions publiques. Ces plateformes, de Facebook à TikTok, influencent les débats politiques, attisent les tensions sociales et parfois même orientent les résultats électoraux. À travers leurs algorithmes et leurs bases de données personnelles, les géants de la tech détiennent un pouvoir inédit, devenu outil stratégique pour certains dirigeants comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, ainsi que pour des puissances étatiques, comme la Russie par exemple.
Dans son livre « les routes de la liberté » (1), Stiglitz explore ce phénomène, qu’il associe à la montée des populismes et à l’érosion de la démocratie. La question se pose alors : comment réguler les plateformes numériques pour préserver nos sociétés des dangers de la manipulation numérique ?
Les ombres de la caverne
Ainsi l’ère de l’information traditionnelle, exercée par des journalistes – certes eux-mêmes non exempts d’idéologie, mais néanmoins contraints par certaines réglementations déontologiques –, semble désormais révolue.
Aujourd’hui c’est non seulement l’expression de la subjectivité individuelle qui prend le pas, mais, plus encore, la désinformation orchestrée par certains qui ne font même plus semblant de rechercher la vérité en assénant leur propagande. Les écrans diffusent des images qui n’ont rien à voir avec la réalité et deviennent ainsi les nouvelles « ombres de la caverne » décrites par Platon.
Philosopher pour penser
Platon, confronté à son époque au même phénomène à travers les sophistes, a proposé une pratique indissociable de la quête du philosophe. Car, étymologiquement, le philosophe est celui qui cherche la sagesse, c’est-à-dire celui qui tente de libérer son jugement des opinions trompeuses en partant à la recherche de la véritable connaissance.
Pour y parvenir, le fondateur de l’Académie, a développé la dialectique, une pratique du dialogue qui permet la confrontation des avis, dans le but de se rapprocher ensemble, de la vérité. Le véritable dialogue est à l’opposé des algorithmes qui produisent des cercles d’auto-référencement, en ne nous montrant que des opinions qui sont semblables aux nôtres. Car le dialogue philosophique est un exercice qui nous oblige à prendre en compte le point de vue de l’autre et à l’intégrer. Cette pratique de décentrage nous sort de notre propre subjectivité en nous invitant à un éclectisme qui nourrit la réflexion personnelle.
La quête de la connaissance et de la vérité reste le rempart contre la désinformation. Peut-être est-ce à travers une réflexion philosophique et un engagement collectif que nous pourrons sortir des ombres pour apercevoir la lumière.