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À LIRE : La gnose antique                                                                                                          

En cette année du 1700e anniversaire du concile de Nicée qui fixa le dogme chrétien, André Paul se livre à une histoire de l’émergence de la gnose chrétienne et des combats qui la firent disparaître, dans un ouvrage consacré à la gnose antique, qui se veut, comme l’indique son sous-titre, une archéologie du christianisme (1). 

Le mot gnose provient du grec gnôsis, qui signifie « connaissance ». L’usage des mots gnose et gnostique s’est élargi et généralisé au cours des temps. Ainsi de nombreux livres du Nouveau Testament l’utilisent. Mais c’est seulement plus tard que la gnose désignera un système spécifique de croyances qui se développa du IIeau IVe siècle de notre ère.

Philosophie et gnose

Dans le système philosophique de Platon, la gnosis occupe une position centrale. Cette connaissance, qui repose sur la réminiscence, est celle qui permet de s’approprier l’être réel des choses parce qu’elle donne accès à la compréhension des structures de toute réalité qui sous-tendent le monde des apparences : les Idées.

Quant au mot « gnostique » il ne fut que très peu employé dans l’Antiquité classique et fut semble-t-il réservé aux seuls platoniciens et pythagoriciens. Il s’appliquait aux capacités et opérations de l’esprit et non aux individus.

De la philosophie au christianisme

Les premiers théoriciens chrétiens utilisèrent très tôt le mot gnosis, par lequel ils désignaient la connaissance approfondie des mystères révélés par la médiation du Christ et particulièrement celle du salut. Le chrétien aspire, en plus de sa foi, à une connaissance parfaite, la gnose qui est porteuse de l’intelligence des écritures.

La vraie gnose est celle qui est présentée dans les Évangiles par les pères de l’Église, comme Clément de Rome qui parle de la connaissance immortelle ou divine offerte par la médiation de Jésus-Christ. 
Mais, comme le disait saint Paul cette connaissance n’est pas accessible à l’homme psychique mais à l’homme spirituel. À ces deux catégories, la gnose antique ajoutera celle du matériel, c’est-à-dire l’être dépourvu d’âme et d’esprit et asservi par les passions terrestres.

Vraie et fausse gnose

Dès les premiers temps du christianisme il y eut une tentative de distinguer la vraie gnose, celle qui caractérisait le gnostique ou chrétien parfait, préconisé entre autres par des penseurs chrétiens imprégnés de philosophie grecque, de celle que les gardiens de l’orthodoxie, mais aussi les néoplatoniciens, pourfendront comme une gnose fausse ou mensongère. 

Déjà le Nouveau Testament pointait du doigt la connaissance fausse ou mensongère caractérisée de fausse gnoses.

Les chrétiens des premiers siècles s’emploieront à démasquer les gnostiques et leurs écoles de pensée, hairesis, dénomination qui par un glissement du langage sera bientôt revêtue d’un sens négatif et en viendra à désigner des groupes de personnes aux idées opposées à la vérité, les hérétiques.
Vers 150, c’est Justin, platonicien de Rome converti au christianisme qui lancera les premières flèches. Dans son dialogue avec Tryphon, il orientera sa vindicte contre ceux qu’il désigne comme des sectes et des hérésies : les marcionites, les valentiniens, les basilidiens, etc. Ce faisant, il inaugure la grande controverse entre les chrétiens et des gnostiques qui se poursuivra plus tard avec Irénée de Lyon et Tertullien, entre autres.

Alexandrie et les maîtres de la gnose

C’est à Alexandrie, la grande capitale culturelle de l’Empire romain, que l’on trouve les principaux courants de ce qui sera plus tard appelé la gnose, et en particulier les grands maîtres du milieu du IIe siècle que sont Basilide et Valentin, les deux plus grands chefs d’école chrétienne d’orientation gnostique. Rappelons que ces hommes, dont l’enseignement se trouvera durement condamné comme hérétique, n’étaient pas considérés comme tels de leur vivant.
Ce courant gnostique s’insérait à l’époque dans un ensemble plus vaste dynamique et encore en constant mouvement.

Parmi ces grands maitres gnostiques on trouve Clément d’Alexandrie et Origène.
Clément, intellectuel empreint d’idées platoniciennes, et converti au christianisme avait pris la tête du Didascalée qui était l’école doctrinale Alexandrie. Dans son œuvre Stromates il déclare : « connaître vaut mieux que croire » et décrit le parfait chrétien comme un gnostique.

Débordant de la simple ville d’Alexandrie, les doctrines gnostiques se répandirent dans l’Égypte qui tint donc un rôle essentiel dans le développement de la gnose antique, notamment à travers Pachôme et Evagre Le Pontique et leur idéal gnostique du moine. D’autres disciples migrèrent vers Rome d’où ils rayonnèrent notamment vers la Gaule.

La doctrine de la gnose

Longtemps les écrits gnostiques ne furent connus que par les œuvres qui les avaient combattues. Mais la découverte, au milieu du XXe siècle, des écrits gnostiques de l’Égypte copte du IVe siècle, et en particulier ceux de la bibliothèque de Nag Hammadi, ont considérablement enrichi la connaissance de leurs doctrines.
Il est cependant difficile de présenter la doctrine de la gnose antique comme homogène, car c’était plutôt un système fluctuant.

Schématiquement, la gnose prônait la séparation absolue de Dieu, esprit invisible et inconnaissable de tout ce qui concerne le cosmos. Ce dernier était, soumis à une divinité subalterne et grossière, désigné comme le démiurge (du grec demiurgos, artisan) agent imparfait de la création de l’univers et de toutes les espèces d’êtres vivants. Le démiurge était aidé dans son œuvre créatrice par différents types de figures divines, inférieures ou subalternes.

Le mythe de l’Androgyne primordial

Le mythe de l’androgyne primordial ou homme total se retrouve dans le concept du père-mère, Barbélo, support de l’expression de la pensée de l’Esprit ou Monade. De cette puissance naissent sept fils androgynes comme leur père. 

Barbelo dont le nom hébreu signifie « Dieu manifesté en quatre » est la créatrice de la lumière et de la vie, la source ou la mère de l’Enfant divin. Elle fait partie de la triade divine composé du Père ou auto engendré, lui-même émané du Grand Esprit invisible, de la mère, Barbelo elle-même et de l’enfant, le Sophia, âme du monde, dualisme,.

D’autres figures divines procèdent du dieu suprême, appelées éons c’est-à-dire « éternité » qui désignent les Idées divines ou entités spirituelles. Elles sont des aspects parcellaires du Dieu unique en même temps que les modèles célestes des réalités terrestres, tout comme le premier être humain ou homme parfait est le modèle céleste des êtres humains qui peuplent la Terre. Ces diverses entités émanent de la source de l’esprit qui s’écoule en organisant tous les éons et leurs ordres. 

L’âme du monde

Sophia, l’âme universelle, aurait désiré fabriquer un monde à la ressemblance de son homologue céleste mais elle se différencie de Barbélo. Elle est une de ses manifestations, qui donne naissance au démiurge ou Dieu créateur, nommé Yaldabaoth, qui engendre pour lui-même d’autres êtres cosmiques : des dieux astraux et planétaires et nombre de puissances ou autorités angéliques.
À la différence du démiurge cosmique, Sophia n’est pas une puissance mauvaise sans pour autant être entièrement parfaite. C’est une figure médiatrice, qui possède simultanément une nature spirituelle des pulsions psychiques. Elle est décrite comme une vierge cosmique qui engendre le créateur sans l’aide d’un conjoint. 

Le dualisme du mythe gnostique 

C’est dans ce monde de déchéance que l’âme individuelle descend. Par le biais de sa propre pensée cette dernière reconnaît la nature contrefaite du monde matériel dans laquelle elle se trouve plongée. 

Le cosmos et la matière sont présentés comme une prison où l’âme est maintenue captive. Le gnostique considère que le mal habite naturellement la totalité du monde matériel et, dans la mesure où il en est prisonnier, de l’homme lui-même.

La caractéristique principale de la gnose antique est donc un dualisme qui oppose une conception négative du cosmos et de la matière, où l’âme humaine serait retenue captive, au domaine de l’esprit. Ce dualisme se distingue de celui de Zoroastre, avec sa conception favorable du cosmos, mais aussi de celui métaphysique de Platon. D’où la qualification « d’anticosmique » attribuée à toute idée ou personne liées au mouvement gnostique.

Le salut gnostique

Il y aurait dans l’homme une étincelle divine procédant du monde supérieur et tombée dans ce monde soumis au destin c’est-à-dire à la naissance et à la mort. Ce moi intérieur, issue du monde divin transcendant est, par l’effet de la gnose, libérable de sa prison cosmique pour retourner à son origine céleste. Le corps humain se confond avec ladite prison d’où l’homme essentiel doit sortir en tant que racheté.

Cette consubstantialité de leur moi avec celui du dieu suprême accorde aux hommes une liberté et un pouvoir sur le démiurge et le monde créé. Mais seule une catégorie d’êtres humains, les pneumatikoï ou spirituels pouvait prétendre à accéder à la connaissance totale et salvatrice. De là l’idée d’une prédestination au salut, obtenue grâce à l’intervention d’un rédempteur ou sauveur descendu des sphères supérieures puis remonté de nouveau vers elles.

Ce dualisme radical et cet élitisme de la prédestination furent les points essentiels des grandes controverses qui eurent raison de la gnose.

Cependant, dans cette année de la célébration du 1700anniversaire du concile de Nicée, l’ouvrage érudit d’André Paul conclut que la gnose fut un aiguillon doctrinal du christianisme dans le sens où la polémique contre les gnostiques des IIet IIIe siècle fut un facteur actif accélérateur des dogmes chrétiens.


La Gnose Antique, de l’archéologie du christianisme à l’institution du judaïsme 
André PAUL
Éditions du cerf, 2025, 330 pages, 24 €

Isabelle OHMANN
Rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole

La revue Acropolis est la revue d’information de l’École de Philosophie Nouvelle Acropole France

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