Quelles conditions pour une autorité féconde ?
Dans un premier article, paru dans la revue de septembre 2016, nous avons abordé l’autorité, en se plaçant du côté des enfants. Ce second article met en avant le point de vue de l’éducateur, parent ou non, sur l’autorité, en nous interrogeant sur les conditions auxquelles doit répondre cette autorité pour être aussi bénéfique que possible.
Étymologiquement, le mot autorité vient de la racine qu’on trouve dans le verbe latin augere, qui veut dire augmenter (mot qui partage cette même étymologie), faire grandir. Autrement dit, l’autorité est au service de l’éducation (du latin e-ducere), mot dans l’étymologie duquel on trouve une idée voisine : ducere, conduire précédé du préfixe e (ou ex), qui marque «l’éloignement… souvent aussi le changement d’état ou l’achèvement.» (1) C’est encore une variante de la même idée qui est présente dans le mot é-lever, qui indique un mouvement du bas vers le haut.
On voit à quel point le vocabulaire lui-même est gros de l’idée selon laquelle l’enfant est un être inachevé qui requiert une aide dans son parcours pour aller vers son achèvement en tant qu’être humain.
Une autorité légitime
Nous avons expliqué dans notre précédent article que l’enfant avait besoin d’autorité à un triple titre. L’examen du vocabulaire ci-dessus peut également contribuer à convaincre les adultes qui en douteraient du fait qu’il est pour eux légitime d’exercer auprès de l’enfant une autorité qui lui est nécessaire. Peut-être cela pourra-t-il aussi apporter un éclairage utile à ceux qui, sans songer à mal, croient qu’aimer les enfants, c’est leur faire plaisir. Sans se rendre compte qu’aimer un enfant n’est pas satisfaire ses envies mais répondre à ses besoins durables. En ayant le courage d’accepter de ne pas se faire aimer de lui dans l’immédiat. À long terme, sans doute sera-t-il reconnaissant que nous l’ayons aidé à faire éclore ce qu’il y a en lui de plus profond.
La première condition à remplir de la part de l’éducateur pour exercer l’autorité est en effet de se savoir et de se sentir légitime parce que l’enfant en a besoin.
Un autre élément est indispensable pour que cette légitimité soit possible : si l’éducateur exerce une autorité, ce n’est pas en son nom propre. «L’essentiel de l’éducation… consiste à faire exister, pour un enfant, la loi. Et s’il ne peut pas y avoir d’éducation sans autorité, c’est que l’autorité des parents est le seul moyen de faire comprendre à un enfant l’autorité de la Loi.» Le respect des règles «est une soumission non à l’adulte mais à la règle qu’impose l’adulte, règle à laquelle l’adulte lui-même est soumis» (2).
L’adulte n’est pas lui-même la source : il est le canal à travers lequel passe l’apprentissage de l’obéissance à la loi : loi physiologique : «Si tu manges trop de chocolat, tu seras malade», loi sociale : la vie en société est impossible sans règles de vie ; loi individuelle : le potentiel de l’enfant requiert pour se déployer formation du caractère et apprentissages irréalisables sans discipline durable.
Cela nous conduit à la deuxième condition qu’implique l’autorité. En effet, si elle doit être légitime aux yeux de l’éducateur, elle doit l’être aussi aux yeux de l’enfant.
Une autorité crédible
L’autorité se construit, se gagne et se mérite. Sous peine de n’avoir pas d’effet ou de laisser place à une pure contrainte ou coercition contre-performante, elle doit être crédible aux yeux de celui à l’égard de qui elle s’exerce et qui la reconnaît comme fondée. C’est la condition pour qu’il l’accepte même si ce n’est pas toujours de bon cœur, parce qu’il sait, dans le fond, que son exigence est en fin de compte à son propre service. C’est pourquoi l’autorité est également exigeante pour l’adulte qui l’exerce et qui se doit de travailler sur lui-même pour qu’elle soit, dans toute la mesure du possible : désintéressée, sa finalité étant la formation de l’enfant et non la tranquillité de l’adulte ; intelligente, autrement dit exempte de rigorisme intransigeant ; bienveillante, instaurant un climat de confiance ; exigeante, en fonction des points à développer, à renforcer ou à combattre chez l’enfant ; cohérente, l’adulte respectant lui-même ce qu’il demande à l’enfant ; souple, en fonction de l’âge et des circonstances ; individualisée, en fonction du tempérament et des capacités de l’enfant (3) ; honnête, l’adulte se sachant lui-même faillible et imparfait mais en voie de perfectionnement, et capable de reconnaître ses propres erreurs et manques.
L’autorité s’avère ainsi un merveilleux et indispensable outil d’éducation et de transmission, source d’une relation qui permet graduellement à l’enfant d’accéder à l’autonomie et à la réalisation de lui-même.
Par Marie-Françoise TOURET