Histoire

Catherine Zell, rebelle de Dieu

La Journée internationale des femmes ou Journée internationale des droits de la femme, promue par l’Organisation des Nations Unies depuis 1977, est célébrée le 8 mars dans de nombreux pays. Elle met en avant la lutte pour les droits des femmes et pour la réduction des inégalités par rapport aux hommes.
Dans le cadre de cette journée, nous rendons hommage à la Femme à travers des portraits de femmes de conviction et d’engagement qui ont mené à leur époque des combats et ont laissé des traces dans l’histoire.

Née à Strasbourg en 1497, aux prémices de la Réforme, Catherine Zell, née Schütz, est l’une des rares femmes de l’époque à faire entendre sa voix et faire parler d’elle en tant que théologienne engagée. Qui était donc cette femme surnommée la « Mère de l’Église » ?

Catherine reçoit une bonne instruction, apprend à lire et écrire le calcul, le latin et l’histoire, chose exceptionnelle pour une fille.  Son père, menuisier et échevin de sa corporation, est actif dans sa paroisse et possède une Bible, privilège normalement réservé au Clergé. Il en lit des extraits en famille.

La formation de son Idéal

Son idéal se développe en écoutant les lectures bibliques de son père et les sermons de Jean Geiler, prédicateur de la cathédrale, qui dénonce les excès de l’Église catholique et prône la diffusion en allemand de l’Évangile pour le rendre accessible au peuple.
Son successeur, Mathieu Zell, prêche le retour aux sources et à la pureté de l’Évangile : il critique la scolastique qui « déforme la parole de Dieu et la rend incompréhensible au peuple ». Ami des Schütz, il dîne chaque semaine avec eux et tient un cercle de lecture à la paroisse.

Catherine est fortement inspirée par les Béguines de Strasbourg qui pratiquent la tolérance et le secours aux pauvres. Elle se met à lire la Bible, d’abord l’Évangile de Marc, dans le but d’intégrer le cercle de lecture de Mathieu Zell qui l’impressionne beaucoup, et celle de Jean qui met en lumière le rôle essentiel des femmes comme Marie, Marthe et la Samaritaine, auxquelles elle s’identifie.
Elle lit aussi les écrits de Luther qui inspire les réformistes strasbourgeois. C’est à ces sources qu’elle développe son idéal de tolérance et de charité, auquel elle restera fidèle toute sa vie.

Mariage des prêtres

Au cercle de lecture, elle démontre que les femmes peuvent parler de théologie dans une époque où l’Église commence à peine à leur reconnaître une âme. Impressionné par son charisme, Mathieu Zell lui apporte son appui et la demande en mariage. Il suit ainsi l’exemple de Luther qui considère le célibat des prêtres inhumain et sans rapport avec les besoins du sacerdoce. Ce dernier les félicite de leur union, célébrée par Martin Bucer en 1523, alors que l’Église romaine les excommunie.

Soutenue par le peuple de Strasbourg, Catherine écrit alors une lettre publique à l’évêque pour défendre son mari, le mariage des prêtres et contester cette excommunication.
Elle continuera à affirmer son idéal en soutenant l’engagement pastoral de Mathieu Zell et en vouant sa vie aux démunis, aux malades et aux exclus de toute sorte tels les condamnés à mort qu’elle ira réconforter jusque dans les villages voisins. Sa vocation est d’incarner les vertus de la chrétienté.

Tolérance et hospitalité, aide aux exclus et aux déshérités

Elle accueille au presbytère des réfugiés comme Martin Bucer et sa femme Élisabeth, bannis d’Heidelberg pour leurs convictions humanistes et luthériennes, les huguenots chassés de France par François 1er, 80 réfugiés protestants de Kinzingen, et les paysans dont les villages ont brûlé lors de la guerre des paysans en 1525.
Elle se bat courageusement pour trouver à loger et nourrir ceux qu’elle ne peut accueillir chez elle, par exemple dans les couvents désaffectés. Il est de notoriété publique que la porte des Zell est ouverte jour et nuit aux souffrants et miséreux. Le presbytère est surnommé « l’hôtellerie de la justice ».
Elle déplore la cruauté et les tortures des catholiques comme des protestants envers les dissidents anabaptistes, et bien que divergente sur leurs idées, sa compassion l’incite à rendre visite à Melchior Hoffmann, leur chef condamné à la prison à vie.

Pendant la grande peste de 1540, alors que chacun s’enferme chez soi, elle continue à rendre visite aux pauvres et aux malades, leur apportant soupes et remèdes. Elle fait aussi réquisitionner des couvents désaffectés pour héberger les orphelins de guerre ou de la peste et ouvre un internat pour les étudiants pauvres de la Haute école de Théologie Strasbourgeoise, créée en 1538.

Droit à la parole des femmes et combat pour l’amour et l’union au-delà des dogmes

Catherine milite pour l’éducation des filles car si celles-ci savent lire et écrire, elles pourront se forger elles-mêmes leur foi, et prendre leur place dans la société.

Au presbytère ont souvent lieu des discussions théologiques entre les Zell et leurs amis : Martin Bucer, Wolfgang Capiton, hommes d’Église et Jacques Sturm, magistrat de Strasbourg, qui est alors République indépendante. Le groupe sera à l’origine de l’Église réformée de Strasbourg qui se positionne entre l’Église Suisse de Zwingli et la vision de Luther.

Les trois Églises sont d’accord sur le retour aux bases de l’Évangile, sur la pratique religieuse en langue locale, sur le maintien de seulement trois sacrements : le baptême, la pénitence et l’eucharistie. Cependant Luther a une conviction de la prédestination humaine, où seuls les élus seront sauvés, quels que soient leurs actes. L’Église suisse et celle de Strasbourg, ont une plus grande dimension éthique et mettent l’accent sur les œuvres sociales, sur la responsabilité et la liberté individuelle des croyants. Elles se querellent pourtant sur la présence réelle ou symbolique du Christ dans l’Eucharistie et vont jusqu’à supprimer la messe en 1529.

Priorité à l’union et l’amour

Catherine n’hésite pas à prendre part à ces débats passionnés, mais déplore ces altercations théologiques car sa priorité reste l’amour et l’union.
Elle se révolte contre Luther qui avait soutenu la répression des paysans, elle déplore son intolérance et son manque d’ouverture d’esprit qui empêche l’unité des protestants. Elle lui écrit sans succès pour le convaincre de plus d’ouverture mais finit par le rencontrer à Wittenberg en 1538.
Pour consolider la Réforme, elle écrit une lettre ouverte aux Strasbourgeois. Elle soutient aussi Gaspard Schwenkfeld, considéré comme dissident, mais qui distribue sa solde aux pauvres et prêche la suprématie de l’amour « Pas de paix de l’âme sans la foi, mais l’amour dépasse tout et nous vaut tous les pardons ».

De nombreux écrits

Le grand cœur de Catherine était doublé d’un esprit brillant. Ses écrits font preuve d’une grande connaissance en théologie lorsqu’elle réagissait aux questions d’actualité.
Après son Apologie pour le mariage en 1513, elle écrit une lettre de consolation aux femmes chrétiennes de la communauté de Kentzingen en 1524.
En 1529, elle échange une correspondance avec Luther sur la primauté de la charité sur le dogme.

Au cours de sa vie, elle publiera de nombreux textes. Certains sont destinés aux croyants, d’autres sont plus polémiques et adressés au gouvernement religieux.
Dans toutes ses publications, Catherine veille sur le peuple et tient tête, si nécessaire, à la hiérarchie de l’Église.
Elle tient une place importante dans la vie sociale de son époque, mais préfère une action plus concrète : pour rendre la religion plus proche des gens, elle préface un livre de cantiques à fredonner partout, au travail, à la maison.

Critiquée pour ses interventions publiques mais tolérée grâce notamment à l’appui de son mari et de Jean Sturm, elle doit tout de même s’affirmer face aux conceptions sexistes de Bucé avec qui elle se dispute régulièrement.
À la mort de son mari, elle prononce un discours qu’elle réitère par deux fois lors de l’enterrement de deux femmes anabaptistes déclarées hérétiques.
Catherine Zell finit par être emportée par la maladie à 64 ans le 5 septembre 1562.

Les autorités religieuses de la ville sont prêtes à l’enterrer, à condition d’évoquer la part hérétique de sa foi. Ses amis, outrés, s’adressent alors à Conrad Hubert, ami de longue date des Zell, pour célébrer les funérailles. Hubert célèbre l’enterrement de Catherine Zell devant plus de deux cents personnes, le 6 septembre.
Malgré les critiques, elle tient bon et reste fidèle à son idéal. Ainsi, elle n’hésite pas à braver les autorités, elle recherche l’union des protestants au-delà des différences théologiques et des affrontements et se bat contre la pauvreté et l’intolérance.
Elle est la seule femme à avoir pu s’exprimer publiquement pendant 38 ans dans le contexte de tolérance strasbourgeoise. En plus de ses propres publications, une soixantaine de documents d’époque la mentionnent. Il est certain que Catherine Zell a marqué son temps.

Bibliographie
  • Catherine, rebelle de Dieu, Florent Holveck, Éditions Oberlin, 1993
  • Catherine Zell, l’héroïne de la Réforme, dans Femmes d’Alsace de Catherine Muller, Éditions place Stanislas, 2009
par Monique WEHR et Loïc YAMBILA

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