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Philosophie

Et la vérité dans tout ça ?* #1La vérité a-t-elle encore un sens ?

Philosophe, théologien et essayiste français, Bertrand Vergely a enseigné à Sciences Po Paris et en classes préparatoires au lycée Pothier d’Orléans, aux grandes écoles en Khâgne (Ulm) et en Khâgne (B/L). Il est également maître de conférence en théologie morale à l’Institut Saint-Serge, la faculté orthodoxe de Paris. Il a créé la collection de livres philosophiques Les Essentiels de Milan et est également l’auteur de nombreux ouvrages (1).

La vérité nous dit ce qui est

La vérité est un processus vivant qui nous fait passer d’un monde non vrai, non spirituel à un monde spirituel. Un monde spirituel est un monde « sur-intelligent » qui nous permet d’entrer dans la vie véritable qui est une vie extraordinaire ; nous commençons la vie philosophique quand nous nous mettons à vivre cette vie extraordinaire qui nous enseigne et nous ouvre les portes de la réalité et de l’existence.

La vérité est-elle dangereuse ?

Il faut comprendre la situation philosophique dans laquelle nous sommes aujourd’hui pour aborder la vérité. Quand je dis que la vérité est spiritualisation, cette approche n’est absolument pas celle de la philosophie contemporaine parce que nous vivons dans un monde qui a rompu ses amarres avec la spiritualité. Dans ce monde, la vérité est décriée et apparaît toujours comme le propre du fanatique qui pense la détenir et qui est quelqu’un de violent. Ainsi nous pensons que la vérité est quelque chose de néfaste.

Le procès de la vérité

Historiquement parlant, c’est Nietzsche qui a fait le procès de la vérité. Il entend par vérité un modèle que l’on veut imposer à la réalité en niant la diversité de celle-ci. Dans le monde moderne, Gilles Deleuze a repris ce procès de la vérité en faisant l’éloge du simulacre, c’est-à-dire d’une copie sans modèle et de la capacité de pouvoir jouer avec tout. Une copie sans modèle signifie qu’il n’y a pas de modèle premier, que tout peut devenir un modèle, qu’il n’y a pas de suprématie du modèle par rapport à la copie. À partir du moment où il y a copie, il y a la vérité de la vérité, qui est la vérité de l’absence de vérité. Sans modèle, chacun se fait son modèle et vit comme un schizophrène dans sa bulle.

Vérité ou liberté ?

Dans les problématiques contemporaines, si on considère Judith Butler et la théorie du genre, aucun modèle n’est imposé aux individus. Ils sont libres de choisir leur destinée et leur orientation comme bon leur semble. Aussi vivons-nous dans un monde où la vérité est le mal, un modèle que l’on veut plaquer sur la réalité des choses au détriment de la diversité, de l’individualité et de la liberté.
Si nous entendons par vérité un conformisme étroit, obscur et obtus, nous n’aurons qu’une envie, c’est de nous en débarrasser. Cependant, il me semble difficile de pouvoir vivre dans un monde sans modèle et de vouloir en faire l’économie. De ce point de vue là, je reste platonicien.

La vérité selon Platon

Toute la philosophie de Platon repose sur l’idée essentielle selon laquelle nous pouvons penser à partir d’un modèle, en faisant la distinction entre le modèle et la copie. Mais la copie n’est pas le modèle, aussi bien faite soit-elle. Platon entend par modèle une élévation spirituelle qui nous permet de passer du marécage des opinions à la hauteur de l’idée. Avoir un modèle, c’est être capable à propos de quelque chose d’avoir une véritable idée, une idée de l’homme, de la femme, de la nature, de la morale… Le modèle est une idéalisation positive qui nous permet de nous structurer et, par là même, de penser. Ce qui nous permet de penser est le fait de vouloir donner à la vie, à l’existence, à la pensée, la plus haute élévation qui soit et de l’idéaliser, de le modéliser.

La tyrannie et la vérité du n’importe quoi

Il y a une actualité de la question de la pensée du fait de la volonté de s’émanciper de la notion de modèle. À l’époque de Platon, les sophistes voulaient pouvoir appeler vérité ce qui leur convenait. On entre alors dans un conventionnalisme où la vérité n’est plus le produit de l’idéalité spirituelle qui nous permet de nous élever, mais une décision collective en fonction des convenances qui sont les nôtres. Le problème est que tout et n’importe quoi peut devenir vérité à partir du moment où nous l’avons décidé. Le risque est qu’au lieu de nous spiritualiser et de nous structurer, cette fausse liberté nous conduise au cauchemar de la guerre. À partir du moment où il n’y a plus de référence qui permet de se structurer et de penser, c’est le plus fort qui l’emporte.
Au lieu de nous amener vers la liberté, le conventionnalisme risque de créer le chaos. C’est la raison pour laquelle Socrate voit très justement que le tyran qui veut exercer sa domination a tout intérêt à ce qu’il n’y ait pas de liberté et à ce que la vérité soit produite par le plus fort.

Il y a un combat pour la vérité

L’empire du faux

Aujourd’hui, la question de la vérité se pose de manière cruciale. En 2017, l’Arabie Saoudite a donné la nationalité saoudienne à un robot nommé Sophia, qui était capable d’imiter à la perfection une conversation humaine. C’est un événement majeur dont nous n’avons pas parlé ni mesuré l’importance. Pourquoi ne s’est-on pas penché sur ce qui est arrivé dernièrement en Chine ? Une directrice d’usine est un robot déguisé en femme et apparaît comme la présidente.

Il est très grave de dire que la bonne imitation d’un homme suffit à définir un homme. Nous trouvons cette vision chez un certain nombre d’ingénieurs pour qui, du moment qu’un robot produit des effets humains, cela suffit pour produire des humains. Autrement dit, une bonne imitation de l’homme remplace l’homme.
Et bien non ! une bonne imitation de l’homme ne remplace pas l’homme. Rien ne remplace l’homme en vérité. Une bonne imitation de la réalité ne remplace jamais la réalité.
Il y a une volonté de remplacer la réalité par le virtuel ou l’imitation de la réalité. Le risque est de nous faire entrer dans ce que nous pouvons appeler l’empire du faux avec des gens qui jouent à faire passer pour un homme ce qui n’est pas un homme. Cela vient de loin, de la Renaissance. Arcimboldo a été le premier à montrer une transformation totale du rapport au réel qui est le nôtre, à travers les portraits qu’il donne d’un être humain composé par des fleurs, des fruits, des légumes, des instruments de mathématiques. Il montre que, pour faire un homme, il n’est plus besoin d’un homme.

Reconnaître un homme

Quelle sagesse chez Descartes lorsque, dans Méditations métaphysiques, regardant des chapeaux et des manteaux passer devant sa fenêtre, il se demande si ces manteaux et ces chapeaux sont des hommes ou des automates. Ce pourrait être des automates alors que l’on pourrait avoir l’impression que ce sont des hommes. Descartes réfute cette hypothèse en disant qu’il n’a pas besoin d’une démonstration pour lui dire ce qu’est un homme : je sais ce qu’est un homme parce que je suis un homme et quand je vois un homme, je vois s’il est vrai ou pas et je m’aperçois qu’il est d’autant plus faux qu’il joue à être vrai.
Il nous est arrivé de voir quelqu’un faire semblant et lui dire qu’il joue parce qu’il est trop poli pour être honnête et trop lisse pour être naturel. La réalité ne se fabrique pas, ne s’invente pas, elle se vit. Je suis un homme vivant, dépositaire de l’Être, et je me rends compte d’un monde qui est vrai et d’un monde qui est faux. Le monde qui est vrai est le monde que je vis, que je reconnais vivant et en dehors de moi. Je vis, j’existe, je suis, je suis un être humain, j’ai le sentiment de l’être et de vivre la vérité.

Bien évidemment, aujourd’hui ce que je dis est attaqué parce que de gigantesques lobbies économiques, industriels et financiers ont tout intérêt à remplacer l’homme par des robots et à remplacer la vie par des machines pour pouvoir nous vendre cette nouvelle vie et ce nouvel homme.
Il y a donc un combat pour la vérité.

*Fernand Schwarz et Bertrand Vergely ont animé une conférence sur le thème Et la vérité dans tout ça, à Nouvelle Acropole Paris 11, le jeudi 17 novembre 2022, dans la « Journée mondiale de la philosophie » proposée dans le cadre du Festival
« Nuit de la philo » (2).
Nous publions des extraits sous la forme de plusieurs articles. Chaque article pourra être visionné avec la vidéo correspondante (3). Le premier article est une intervention du philosophe Bertrand Vergely.

Nous publierons un deuxième article dans un prochain numéro de la revue Acropolis.

(1) Bertrand Vergely a créé la collection philosophique Les Essentiels de Milan. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont :
Voyage en haute connaissance, philosophie de l’enseignement du Christ, Éditions le Relié, 2023,
Dieu veut des dieux, Essais, Éditions Mama 2021,
La vulnérabilité ou la force oubliée, Éditions Le Passeur, 2020,
Notre vie a-t-elle un sens, Éditions Albin Michel, 2019,
Deviens qui tu es, quand les sages Grecs nous aident à vivre, Éditions Albin Michel, 2014
et bien d’autres encore…
(2) Voir la conférence en entier sur You Tube Nouvelle Acropole France
https://www.youtube.com/watch?v=KeV7rb81pOw
(3) Extrait sur Youtube : https://youtu.be/qhovzf6Nygg
Bertrand VERGELY
Philosophe, théologien et essayiste français
© Nouvelle Acropole
La revue Acropole est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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