Philosophie

Rencontre avec des philosophes Kant et la morale universelle

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« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme moyen. »
Kant

Comment Emmanuel Kant (1724-1804), ce philosophe des Lumières dont nous célébrons le 300e anniversaire de la naissance, révolutionna-t-il la philosophie morale pour la mettre à la portée de tous ?  

Né à Königsberg (Prusse Orientale) en 1724, il était issu d’une famille d’humble d’origine aux revenus modestes. Il fut éduqué, pendant ses premières années, dans la ligne religieuse du piétisme.

Un professeur adulé

Après ses années de collège, il étudia la philosophie, les mathématiques et la théologie à l’université de sa ville natale. Ses études universitaires terminées, il travailla comme précepteur privé pour des familles de la haute société, jusqu’à sa nomination comme professeur à l’université de Königsberg en 1755, où il donna, jusqu’à sa mort, des cours de logique et de métaphysique. Ses cours étaient si intéressants que les étudiants arrivaient une heure plus tôt pour être sûrs d’avoir une place dans la salle.

Cependant, au cours de ses dernières années, sans doute atteint de la maladie d’Alzheimer, il ne put poursuivre ses cours universitaires car il avait perdu la mémoire et la parole. Il mourut en 1804.Triste destin pour quelqu’un qui avait consacré sa vie entière à l’exercice de la pensée.

L’horloge de Königsberg

Sa vie privée est l’objet de spéculations. Était-il véritablement cet homme casanier, célibataire et hypocondriaque dont la vie a été décrite comme millimétrée au point qu’on le surnomma l’horloge de Königsberg ? Est-il vrai, comme le raconte la légende, qu’il était réveillé chaque matin par son valet à cinq heures moins cinq, et que cinq minutes après, il se trouvait au travail à son bureau ? Que tout aussi régulièrement, à 12h45, il se mettait à table avec un nombre toujours identique de convives triés sur le volet et prévenus à la dernière minute ? Ou encore qu’il faisait après le déjeuner, une promenade au parcours immuable, interrompu seulement deux fois, la première par l’Emile de Jean-Jacques Rousseau, la deuxième par l’annonce de la prise de la Bastille ?

Certains universitaires mettent aujourd’hui en doute cette forme rigide de vie, arguant que Kant était très en prise avec l’actualité de son époque et qu’il y a un amalgame avec la vie rigoriste d’un de ses amis. Même si l’on dit qu’il ne s’était jamais éloigné de plus de soixante kilomètres de Königsberg, c’était un homme ouvert aux réalités du monde, qui déjeunait chaque jour avec un inconnu. 
Quoi qu’il en soit, Kant reste un monument de la pensée.

Que dois-je faire ? 

C’est dans son ouvrage Fondement de la métaphysique des mœurs écrit en 1785, que Kant va poser la question du devoir et de la liberté de l’homme. Il répond par ce précepte paradoxal : être libre c’est obéir à la loi morale. Que veut-il dire par là ?

Kant pose le principe d’une loi morale universelle que chaque homme peut percevoir à l’intérieur de lui-même. Cette loi, qui ne procède d’aucune loi ou contrainte extérieure, s’exprime en lui comme la voix de la conscience, comme une « voix d’airain ».
Selon lui, ce sens moral est le même pour tous et accessible à tous, quel que soit son niveau d’éducation. Il ne dépend pas d’un savoir : tout le monde sait, sans qu’on ait besoin de lui dire, ce qu’il a à faire pour être bon et vertueux. Cette loi morale a le caractère d’un « impératif catégorique », c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucun intérêt personnel. On n’est pas bon pour obtenir quelque chose, mais parce qu’il est moral d’être bon en soi.

Reconnaître la loi morale universelle

Comment reconnaître en nous cette loi morale universelle ? Kant propose une méthode pour discerner quand nos principes d’action sont moraux ou non. Il s’agit de tout simplement de vérifier l’universalité de cette loi en se posant la question de savoir si nous voudrions qu’elle soit appliquée à tous les hommes. C’est le sens de son fameux précepte : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle ».

Mais il faut également vérifier que ce principe est non seulement possible mais souhaitable, c’est-à-dire qu’il sert l’intérêt pratique de l’individu. Par exemple, il est possible de ne pas vouloir développer ses propres facultés, mais est-ce vraiment universellement souhaitable ? De la même manière, il est possible d’envisager un monde où chacun ment et peut ne pas tenir ses promesses, mais est-ce possible car si tout le monde ment la vérité disparait, outre le fait que ce n’est pas souhaitable ? Ainsi du point de vue de Kant, reconnaître une loi morale c’est être capable d’en universaliser le principe.

Liberté et obéissance

Kant nous explique que suivre sa loi morale nous rend plus libre.
En quoi obéir à la voix de sa conscience nous rend-il libre ? La question se pose tant cette injonction peut nous paraître contradictoire. En effet, nous opposons souvent liberté et obéissance. Alors qu’est-ce que la liberté ? 
Pour Kant, penser que la liberté c’est faire tout ce que l’on désire, c’est ignorer qu’agir par désir c’est agir en prisonnier de son ego, de ses caprices et, en fin de compte, comme l’esclave d’autres principes ou des circonstances. Cette liberté-là n’est qu’apparente, c’est en réalité un esclavage. 
La véritable liberté est celle de suivre la raison, nous dit-il, la raison en tant qu’elle nous prescrit un chemin moral universel. Suivre la voie de sa conscience morale nous sort de la tyrannie des instincts qui sont propres aux animaux, et nous rend véritablement humain.
C’est la loi morale qui nous permet d’assumer pleinement une action, c’est-à-dire d’en être responsable, un des principes de la liberté.

De l’intention à l’action

Dans la Critique de la raison pratique, Kant distingue la raison pratique de la raison théorique. Pour dire le vrai en matière théorique,, il faut avoir une grande connaissance du monde et une riche expérience. Mais on n’a pas besoin de cela pour la loi morale. On la connaît en écoutant la voix de la conscience. Être moral n’a donc rien à voir avec le fait d’être intelligent ou cultivé. On peut être l’un sans être l’autre. Malheureusement nous avons beaucoup d’exemples de personnes très éduquées qui peuvent être des crapules. Ce n’est pas parce qu’on connaît la morale qu’on est intègre, c’est parce qu’on la pratique.
Parce que, nous dit Kant, si tout le monde est capable de juger moralement tous ne sont pas forcément capables d’agir moralement.
Pourquoi ne sommes-nous pas tous capables d’obéir à cette loi morale ? Parce que selon Kant nous ne sommes pas tous au même degré de liberté. Le plus bas est celui de pouvoir choisir tout et n’importe quoi. Et le plus haut est celui de l’obéissance à sa propre loi, non pas à ce que je désire mais à ce que je veux au sens fort du terme, c’est-à-dire d’une volonté gouvernée par la raison et pas par les instincts.

Se rendre libre

Pour passer de l’intention à l’action il s’agit donc de se rendre libre. C’est là sans doute la limite de la philosophie de Kant. Car même s’il dit combattre un intellectualisme moral, le philosophe de Königsberg reste sur un plan analytique, dont on ne constate que trop bien qu’il fonde l’impuissance de nos contemporains et de notre société tout entière à résoudre leurs problèmes. 

Il manque la dimension de la philosophie pratique telle qu’enseignée par les Anciens, celle qui articule le lien entre la raison pratique et la vie courante, entre devoir et comportement, celle qui libère le pouvoir de chaque être humain de mettre en cohérence ses principes et ses actions.

Isabelle OHMANN
Rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole 

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