La densification de l’Être, se préparer aux situations difficiles
Ce livre est le fruit d’une rencontre et d’une longue coopération entre un médecin militaire, spécialiste des corps, un aumônier catholique, spécialiste des âmes et un officier de l’Armée de Terre, spécialiste de l’action. Synthèse d’un partage d’expériences et de regards critiques sur notre société, cet ouvrage fait du bien car il est empli de perspectives, à une époque où ils ne sont pas si nombreux les auteurs qui nous parlent de métaphysique à vivre au quotidien.
Le livre commence par un rapide état des lieux, de plus en plus partagé par nos concitoyens, même s’il n’est pas toujours formulé aussi clairement. Le culte du corps qui va de pair avec le jeunisme, la perte du goût de l’effort qui entraîne le refus de la souffrance et de la mort, la fuite du monde réel vers un monde virtuel, le relativisme et le refus de la vérité, autant de constats étayés d’exemples concrets, qui nous montrent que les sociétés d’aujourd’hui traversent une crise idéologique sans précédent dans l’histoire. Les atrocités vécues au XXesiècle ont mis fin au règne de la Raison et du progrès initié lors du siècle des Lumières, les idéologies matérialistes, libérales ou communistes, n’ont pas tenu leurs promesses et ont laissé leurs lots de victimes dans les camps de concentration, les goulags, ou plus récemment dans les krachs financiers. Le vide ainsi créé laisse la place au désarroi, à la révolte, à la violence, à une pensée relativiste qui balaie d’un revers de main toute notion de transcendance devenue suspecte. Et les auteurs de dresser un bilan clinique des troubles induits par cette crise de valeurs.
Qu’est-ce que la densification ?
Par rapport à ce constat qui peut sembler très sombre, les auteurs proposent le « remède » de la densification pour affronter les difficultés et les paradoxes d’un monde qu’on nous avait promis meilleur et qui s’avère totalitaire sous bien des aspects. La densification est une méthode de formation dont l’objectif est d’aborder l’homme dans sa globalité : corps, âme, esprit. D’où les préconisations de densification physique, émotionnelle et métaphysique ou spirituelle. Des conseils judicieux sont donnés pour les trois plans, certains plus évidents que d’autres. Un long développement est consacré à la densification psychologique pour faire face aux situations de stress extrême et aux traumatismes que connaissent un grand nombre d’hommes et de femmes engagés dans les institutions militaires, sociales, ou d’aide en urgence. Au-delà de ces situations extrêmes, la densification physique ou psychologique vise à permettre à tout un chacun de conserver son équilibre et sa liberté d’action dans les épreuves de la vie quelles que soient leur intensité ou leurs fréquences. Des conseils simples, concrets, applicables dans sa vie de tous les jours sont donnés au lecteur, auquel je laisse le plaisir de les découvrir. Je vais développer un peu plus ce qui me semble être l’apport essentiel du livre, même s’il s’agit du chapitre le plus court, sur la densification métaphysique, sans laquelle la densification physique ou psychologique pourrait toucher certaines limites.
Le courage de parler de la densification métaphysique
Il s’agit d’un parcours à caractère initiatique pour bâtir un socle philosophique, un corpus de convictions donnant sens à l’action ainsi qu’une redécouverte du lien transcendant qui oriente toute la vie. Deux préalables à la densification métaphysique : redécouvrir le silence et développer l’intériorité. Ensuite, je retiens neuf points pour construire pas à pas ce cheminement métaphysique avec lequel en tant qu’apprentis philosophes, nous ne pouvons qu’adhérer.
- Se connaître : il s’agit de mieux discerner les contours de ses possibilités physiques, psychiques et morales. Ce travail n’est pas un but en soi et pour soi. Il est essentiel d’aller chercher le fondement de soi à l’extérieur de soi, de se construire en se confrontant à l’altérité, à la rencontre avec cet autre qui détache de l’exclusif souci de soi. C’est le chemin vers une altérité mieux vécue.
- Développer le courage : de petits exercices quotidiens y aident, comme le fait de se confronter volontairement à la frustration, d’affronter de petites peurs, de se forcer à se dépasser même sur des détails. C’est aussi une invitation à l’humilité. Dépasser le découragement : il s’agit d’admettre que l’on a pu faillir, que l’on a pu être abattu, défait, blessé, mais que l’on a décidé de rebondir, de re-vivre, de re-partir, de re-agir. La résilience permet de savoir tirer profit des expériences négatives. Quelques écueils à éviter : l’éclipse de l’individu par le groupe, le conformisme, la recherche du consensus à tout prix, l’esprit de cour.
- Se remettre en cause : nous éprouvons du mal à sortir de notre propre système de pensée, à nous remettre en cause en profondeur, à acquérir une vraie flexibilité mentale. La remise en cause de l’ego passe par la capacité à regarder, écouter autrui. Regarder davantage les autres que soi-même, davantage écouter que parler en s’intéressant réellement à l’autre, à cet être mystérieux.
- Cultiver l’humilité : l’humilité s’oppose à toutes les visions déformées que l’on peut avoir de soi-même (orgueil, égocentrisme, narcissisme, dégoût de soi…). Elle s’acquiert avec le temps, le vécu et va de pair avec une maturité affective et spirituelle. C’est pourquoi la digestion psychologique du vécu lui est indispensable. Elle s’apparente enfin à une réelle prise de conscience de sa condition et de sa place au milieu des autres.
- Responsabilité et pardon : l’écueil absolu à éviter est celui de la mauvaise conscience, du jugement personnel. Mieux vaut juger les actes, les faits, les pensées qui nous habitent, mais ne pas se juger soi-même au grand risque de s’enfermer dans un personnage soit surévalué, soit sous-évalué. Une méthode simple est l’examen de sa journée, des relations établies avec autrui, des décisions prises et de leurs conséquences. À partir du constat établi, les réussites doivent constituer autant de fondations solides sur lesquelles on peut continuer à bâtir.
- Entretenir la curiosité intellectuelle : il s’agit d’un mouvement centrifuge qui pousse chacun à sortir de soi-même, dans un vrai désir de s’intéresser au monde, à sa nouveauté, à ses évolutions. L’idée maîtresse est d’apprendre chaque jour quelque chose de nouveau, dépasser les limites de son savoir quel que soit le domaine, considérer chaque jour qui débute comme une nouvelle aventure qui permettra de grandir.
- Donner du sens à l’action : prendre le temps de la réflexion qui doit précéder l’action, même habituelle ou quotidienne. Quitter le monde de la routine, des habitudes quotidiennes. Se demander chaque jour pourquoi agir, pour quoi ou pour qui agir ?
- Asseoir un socle éthique : faire un choix de principes éthiques à prioriser pour asseoir un socle éthique. Constitué de l’ensemble des convictions qui éclairent et justifient nos choix, ce socle est fondé sur la liberté humaine, dont l’enjeu repose sur la capacité de l’individu à comprendre (intelligence, conscience) et à vouloir (éduquer sa volonté). Hiérarchiser ses objectifs en partant de l’objectif le plus haut qui puisse se concevoir. C’est ainsi que l’on touche à la transcendance, car c’est l’objectif le plus haut qui détermine la norme la plus haute. Pour le citoyen, au sommet, se trouve le souci du Bien Commun. À cet égard, ne pas confondre le Bien commun avec l’intérêt général. Le Bien commun appelle à transcender le bien transitoire du plus grand nombre. Sa vision de l’organisation politique de la société est profondément philosophique.
- Se confronter à la mort : la mort requiert un réapprentissage pour de nombreux adultes. Tout être humain a connu dès sa naissance une forme de rencontre intime avec la mort, sans avoir pu y mettre de parole ou de sens. À chacun d’assumer cette blessure inscrite au plus profond de son appareil psychique pour pouvoir assumer sa vie, sans régression infantile, et pouvoir cheminer vers son accomplissement et l’épanouissement de ses potentialités.
En résumé, un livre d’une très grande richesse, où l’on se retrouve souvent dans l’univers familier des exercices « spirituels » préconisés par les Écoles de philosophie antiques, remis au goût du jour de nos sociétés en désarroi, en grand besoin de transcendance.