Société

Le règne du moi égoïste

« Il y a un peu plus d’un siècle, Sigmund Freud, développa une nouvelle théorie sur la nature humaine. Il avait découvert des forces primitives, sexuelles et agressives occultes dans la profondeur de la psyché de tous les êtres humains. Des forces qui, si on ne parvenait pas à les contrôler, conduiraient les individus et les sociétés au chaos et à la destruction. »
Ceci est l’introduction que rédigea l’écrivain et réalisateur anglais Adam Curtis pour présenter, il y a une petite vingtaine d’années, sa série documentaire : Le siècle de l’ego (1). Le neveu américain de Freud, Edward Bernays, a repris les idées de son oncle dans les années 20, et les a utilisées pour manipuler les masses. Pour la première fois, il a montré aux entreprises américaines, comment faire pour que les personnes désirent des choses dont elles n’avaient pas besoin, en reliant les biens produits en masse à leurs désirs inconscients.
De là, surgit une nouvelle idée politique du contrôle des masses. En satisfaisant les désirs égoïstes des personnes, on les rend heureuses et par conséquent, dociles. Ce sera le début du « moi » qui consomme tout et qui est parvenu à dominer notre monde actuel. Ainsi, est née, aux États-Unis, la société de consommation qui s’est développée ensuite sur toute la planète, quelle que soit l’idéologie politique des États.

Avant la Première Guerre mondiale, la majorité des personnes achetait ce qui leur était nécessaire et cherchait des produits durables. Bernays réussit à convaincre les citoyens que leurs désirs devaient supplanter les nécessités pour atteindre un mieux-être. Ainsi est né l’ego consommateur.
Ainsi, pour vendre un produit, on ne s’adresse pas à la raison de l’acheteur mais on fait en sorte qu’il se sente mieux en possédant par exemple tel type d’automobile. La connexion émotionnelle à un produit ou à un service crée de nouveaux besoins. Le produit, promu dans le temps grâce aux marques, permet à l’individu d’exprimer son caractère, sa personnalité et ainsi, de devenir plus attirant et plaire davantage.
Au départ, pour contrôler la population, il s’agissait de la convaincre de faire comme tout le monde et de s’adapter aux exigences et mœurs de la société.

Dans les années 60 et 70, de nouveaux gourous, comme Wilhelm Reich et le philosophe Herbert Marcuse apparaissent, remettant en question ces théories plutôt conformistes vis-à-vis de la société. Ils vont plaider pour exprimer l’ego, notamment à partir de la libido, plutôt que de le réprimer et de le contrôler pour s’adapter au monde extérieur et suivre ses normes. Le concept d’individualisme est ainsi introduit et tout converge vers la satisfaction et le bien-être personnels au détriment de l’intérêt collectif.

Paradoxalement, l’individualisme va engendrer un moi isolé, encore plus vulnérable et plus avide et donc encore plus manipulable. Le moi auto-complaisant surgira, où tout jugement moral sera lié à la satisfaction personnelle. Le moi devient esclave de ses désirs mais avec le sentiment d’être libre parce qu’il choisit ce qu’il consomme. Le citoyen devient un consom-acteur. Comme je l’ai écrit dans mon éditorial du mois dernier (2), cette évolution s’est accélérée et a augmenté avec l’explosion des réseaux sociaux qui ont formaté dans la majeure partie de la population, le moi dispersé, supprimant l’attention et apportant encore plus de superficialité, d’hyperactivité et de nomadisme, notamment dans le comportement de nouvelles générations, mais pas uniquement. Ainsi, nous sommes arrivés au sommet du cycle de la société de consommation qui façonne les egos personnels des individus, en leur enlevant la conscience du collectif et de l’intérêt général. Chacun défend ses croyances, sans chercher à dialoguer avec ceux qui ne pensent pas comme lui.
En marge de ce phénomène, apparaissent ceux qui cherchent un changement de paradigme pour revenir à ce qui est réellement nécessaire aujourd’hui : la sobriété, la coopération, la justice et l’éducation. Ces aspirations deviennent de plus en plus croissantes dans toutes les strates de la société.

À toutes les époques de crise morale et de changement, les Écoles de Philosophie, comme elles l’ont démontré dans le passé et dans l’histoire, ont été et sont toujours d’une extrême utilité pour réconcilier les êtres humains avec eux-mêmes et revenir à l’essentiel qui est, comme l’anthropologie l’a démontré, d’aspirer au vrai bonheur de partager avec autrui, au-delà des différences.

L’éveil du moi solidaire est l’enjeu de notre temps.

(1) Visionner sur Youtube les épisodes de la série documentaire Le siècle du moi 
Épisode 1
https://www.youtube.com/watch?v=8Tt9hRY7Uk8
Épisode 2
https://www.youtube.com/watch?v=NRai6iZwoUQ
Épisode 3
https://www.youtube.com/watch?v=zTFgp8QMYYQ
Épisode 4
https://www.youtube.com/watch?v=HULf7b_A-EY
(2) Lire l’éditorial de Fernand Schwarz, Les neurosciences redécouvrent le char ailé de Platon, paru dans la revue Acropolis de Janvier 2024 (N°357)
https://revue-acropolis.com/les-neurosciences-redecouvrent-le-char-aile-de-platon/
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page