Société

Les neurosciences redécouvrent le char ailé de Platon 

« L’âme est comme un char de chevaux ailés et un aurige qui forment une unité. »
Platon, Phèdre, 246 a

La génération Z, qui a grandi avec les jeux vidéo et les téléphones portables, a acquis des compétences cérébrales en matière de vitesse et d’automatisme, au détriment d’autres comme le raisonnement et la maîtrise de soi, explique le neuroscientifique et professeur de psychologie Olivier Houdé (1).

Les cerveaux des enfants nés à l’ère numérique sont les mêmes mais les circuits utilisés changent. Devant les écrans, et dans la vie en général, les digital natives ont une sorte de train cérébral à grande vitesse qui va de l’œil au pouce. Ils utilisent principalement une zone du cerveau, le cortex préfrontal, pour améliorer la vitesse de prise de décision et l’adaptation multitâche liée aux émotions. Cependant, cela se fait au détriment d’une autre fonction, plus lente de ce domaine, celle de la distanciation, de la synthèse personnelle et de la résistance cognitive.

Les « digital natives » doivent réapprendre à résister pour mieux penser

Il existe trois systèmes dans le cerveau humain. L’un est rapide, automatique et intuitif, d’une grande utilité dans l’utilisation des écrans. L’autre est plus lent, plus logique et plus réfléchi. Un troisième système, situé dans le cortex préfrontal, permet de choisir entre les deux premiers : c’est le cœur de l’intelligence. 

L’intelligence consiste en la capacité à arbitrer entre le système réflexif et l’intuitif spontané. Ce troisième système permet d’inhiber les automatismes de la pensée lorsque l’application de la logique ou de la morale devient nécessaire. C’est la résilience cognitive. Inhiber, c’est résister. Les digital natives doivent réapprendre à résister pour mieux penser.

Jusqu’aux débuts des années 2000, on connaissait deux systèmes cognitifs du cerveau. D’une part, le système de raisonnement réflexif, logique et mathématique de Jean Piaget qui nous permet de raisonner, et d’autre part, le système des compétences précoces, appelées heuristiques ou pensées automatiques-intuitives, que le Dr. Daniel Kahneman (2) découvrit au début du XXIe siècle, et qui est celui utilisé principalement par les jeunes de la génération Z (3). 
Daniel Kahneman a démontré que les adultes se comportent de manière irrationnelle dans leurs jugements et cela lui vaudra le prix Nobel d’économie en 2002. Il explique que ces stratégies automatiques sont très rapides et que les adultes les préfèrent à l’utilisation du système qui mobilise la réflexion, plus lent et plus analytique. 

Le cerveau ne séparant pas les émotions de l’intelligence, il faut savoir les utiliser et les contrôler.  

Dans ses recherches récentes, Olivier Houdé a découvert un troisième système appelé système d’inhibition, ou arbitre interne, capable d’interrompre le système heuristique et d’activer le système de pensée réflexive. Il est capable d’induire chez la personne la curiosité, la capacité de trouver une solution, la peur de faire des erreurs, les doutes, c’est-à-dire les émotions intellectuelles de base qui, intégrées à la pensée, nous permettent de passer à l’action. 

La résistance cognitive est aussi un facteur de tolérance. Elle permet l’intelligence interpersonnelle, c’est-à-dire, la capacité de faire taire son propre point de vue pour favoriser celui de l’autre. Éduquer le cerveau, c’est lui apprendre à résister à sa propre déraison. Un véritable défi pour les sciences cognitives et pour la société actuelle.
Les neurosciences démontrent que le cerveau ne sépare pas les émotions de l’intelligence et que, par conséquent, il faut savoir les utiliser et les contrôler. 

Le rôle de la philosophie est de surmonter les passions pour élever l’âme 

Olivier Houdé compare ces trois systèmes au char ailé de l’homo triplex de Platon. Selon Platon, notre âme dépend de trois systèmes : l’épithymétikon, dans le bas-ventre, qui est celui des désirs et des pulsions (et correspond au système heuristique) ; le second, le noüs, (logistikón) qui se situe dans la tête et en est la partie la plus rationnelle. Mais, pour Platon, ces deux systèmes pourraient se contrecarrer et il en désigne un troisième, le thymoeides, qui incarne l’ardeur ou la volonté située dans le cœur. Et il les compare, dans le char ailé céleste ou char de l’âme, avec le cocher, noûs, qui conduit deux chevaux ; l’impétueux cheval noirépithymétikon ; et le cheval blanc obéissant, thymoeides. Par conséquent, Platon avait déjà compris l’importance de l’idée du cheval blanc pour contrôler le cheval noir impulsif et être capable de monter au ciel de l’âme. C’est la base de tout enseignement philosophique. 

Le rôle de la philosophie est de surmonter les passions afin d’élever l’âme, et c’est dans cet esprit d’élévation que je saisis cette occasion pour vous souhaiter un excellent début d’année 2024.

(1) Enseignant-chercheur et psychologue français, auteur de Comment raisonne notre cerveau, Éditions PUF, 2023, 564 pages
(2) Psychologue et économiste américano-israélien (né en 1934), auteur de Thinking, Fast and Slow (en français, Système 1/Système 2, les deux vitesses de pensée, publié en 2012 aux Éditions Flammarion), pour lequel il a reçu le prix Nobel d’économie
(3) L’université de Shangaï démontra l’impact neurologique de l’utilisation des jeux vidéo et du téléphone portable chez les jeunes comme équivalent à la dépendance à l’alcool ou à la cocaïne
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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