Le Musée du Louvre a organisé une très belle exposition, « Pharaon des deux Terres, l’épopée africaine des rois de Napata »,du 28 avril au 25 juillet (1). De très belles œuvres confirment l’apport remarquable à l’histoire de l’Égypte de l’audacieuse XXVe dynastie (2).
Après l’effondrement de l’Etat égyptien vers le XIe siècle av. J.-C., sous les derniers ramessides, la Nubie retrouve son indépendance. Le royaume de Kouch au Soudan continue à se développer. La lignée de chefs de Napata réutilisera l’écriture égyptienne vers le milieu du VIIIe siècle.
Le parcours fulgurant d’une dynastie
Le royaume kouchite s’étend entre 755 et 655, constituant à partir de 713, la XXVe dynastie égyptienne. Les principaux rois seront Piânkhy et Taharqa, grands guerriers et bâtisseurs. Confrontés à la rivalité des rois du Nord, notamment de Sais et à la puissance des Assyriens, ils seront vaincus et céderont la place à la XXVIe dynastie, installée à Sais, se repliant dans le royaume de Napata qui restera fidèle à la culture égyptienne.
Sous le règne de Psammétique II, se produisit une campagne militaire (593 av J.- C.) au cours de laquelle, les principales villes du royaume de Kouch furent ravagées et les statues royales brisées. À Doukki Gel, les fragments de ces sculptures furent recueillis dans des fosses consacrées sous l’ordre d’Aspelta qui restaura les cultes, les offrandes et le personnel des principaux sanctuaires du pays. Cette cachette fut retrouvée intacte, avec les fragments rangés de façon rituelle. On a pu reconstituer ainsi les statues de sept pharaons kouchites présentées dans le musée de Kerma au Soudan. En accord avec le musée, on a pu réaliser des répliques en 3D en résine de ses statues monumentales, avec les rajouts en feuille d’or et en couleur. Elles clôturent comme une broche d’or cette belle exposition qui rend hommage à des pharaons éthiopiens qui ont préservé et enrichi la culture égyptienne, face aux menaces de destruction et dissolution des envahisseurs en particulier assyriens.
Une dynastie sous la protection d’Amon
Au Nouvel Empire, les élites nubiennes se convertissent à la religion des occupants égyptiens. À Napata, le Gebel Barkal (Montagne pure) devient une possession d’Amon. Fervents adorateurs du grand dieu de Karnak, les souverains kouchites y firent œuvre de bâtisseurs et amplifièrent le rôle des Divines adoratrices, confié aux princesses de la famille royale.
Avec la conquête du pays de Kouch au Nouvel Empire (entre 1500 et 1450 av J. – C.), marquée par les victoires successives des Thoutmosis I à III, des Égyptiens s’installent sur place, au cœur de la capitale nubienne (Kerma, Doukki Gel) et investissent des lieux saints kouchites, comme Gebel Barkal, « amonisé » par le conquérant égyptien. Les cultes égyptiens se répandent en Nubie ainsi que la langue et la culture dans les affaires politiques et religieuses. L’écriture hiéroglyphique est l’unique et remplace la langue vernaculaire non écrite.
Cette dimension essentiellement spirituelle, fera que la dynastie kouchite se présenta dès les règnes de Kachta et de Piânkhy comme une lignée de fervents adorateurs d’Amon, de stricte obéissance et de rénovateurs de la foi, entretenant le mythe, détenteurs qu’ils étaient de sa pureté et de son authenticité.
La fonction des Divines adoratrices d’Amon
Pour favoriser leur intégration à la hiérarchie cléricale thébaine dont le poids politique était considérable, les Kouchites amplifièrent une fonction sacerdotale apparue au Moyen Empire, celle « d’Epouse du dieu » devenue « Divine adoratrice », un corps d’auxiliaires sacerdotales censées favoriser les fonctions génésiques d’Amon, elles-mêmes garantes de la prospérité du pays. Ils investirent dans cette haute fonction des princesses de la famille royale kouchite, suivant en cela l’impulsion donnée par les dynasties libyennes de la XXIIe dynastie.
Relais des pharaons en terre thébaine, les Divines adoratrices jouirent d’un statut quasi royal qui s’était renforcé avec le déclin de la puissance des prêtres d’Amon auxquels elles finirent pratiquement par se substituer. À l’image du roi, elles possédaient un palais et une administration propre et célébraient aussi des jubilés.
Célibataires, les Divines adoratrices transmettaient leur fonction par adoption, ce qui permit aux Kouchites d’intégrer sans difficulté, et même harmonieusement, ces lignées dynastiques et de créer des liens générationnels puissants entre les familles autochtones et kouchites : Chépénoupet I, fille d’Osorkon III adopta Aménirdis I fille de Kachta, qui elle-même adopta Chépénoupet II fille de Piânkhy à qui il était prévu de succéder par adoption Aménirdis II, fille de Taharqa. Le décès de cette dernière provoqua l’adoption de Nitocris, fille de Psammétique I, soulignant au niveau sacerdotal le changement dynastique.
La dynastie des Divines adoratrices finit avec l’invasion des Perses qui dévastèrent Thèbes et violèrent leurs tombes.
La magie des Divines adoratrices
C’est Christian Jacq, dans son livre Les Egyptiennes (3) qui présente le mieux les Divines adoratrices.
Pendant un demi-siècle, une dynastie de femmes, « les Divines adoratrices » gouverne la cité de Thèbes. C’étaient des prêtresses initiées aux mystères d’Amon. Pharaon leur accorda un pouvoir spirituel et temporel sur la principale ville sainte de Haute-Égypte.
Les Divines adoratrices sont célibataires et leur union mystique se réalise seulement avec le dieu Amon.
Cette fonction succède à celle de « épouse du dieu » que chaque reine devait remplir, car la conception de l’enfant royal avait une double origine : céleste, union de l’épouse avec Amon et terrestre, union avec le roi. Ainsi, ce rite de la hiérogamie, représenté dans le temple de Louxor évoque le lien entre la triade céleste d’Amon, Mout, Khonsou et la triade terrestre de Pharaon, la Reine et l’enfant royal.
C’est Amon qui couronne la Divine adoratrice. Elle s’agenouille, lui tournant le dos ; Amon lui impose les mains, la magnétise et lui communique sa puissance. La prêtresse accomplit l’acte doua, « adorer, vénérer », qui caractérise les prières saluant la lumière de l’aube, signe de la création renouvelée.
Purifiée dans un bassin avant d’entrer dans le temple, la Divine adoratrice l’appelait à se manifester, veillait sur l’apport des étoffes sacrées et participait au maintien de l’harmonie entre ciel et terre. Musiciennes, elles savaient canaliser les énergies vibratoires, mettre la divinité en joie et la rendre propice. Remplissant le sanctuaire des merveilleuses senteurs par leur parfum, elles chantaient d’une voix apaisante, réservée aux seules oreilles de la divinité.
« Celle qui s’unit au dieu » est aussi « la main de dieu ». Ce titre se rapporte à la masturbation accomplie par le créateur qui, dans la solitude de l’origine, avait pris sa propre main pour épouse. La Divine adoratrice était identifiée à cette main agissante du dieu, tirant de lui-même sa propre substance pour façonner le monde, sans dissocier esprit et matière.
Un rite étrange est révélé dans un bloc de la chapelle rouge d’Hatchepsout. Un prêtre, portant le titre de « père divin », tend une torche à l’épouse du dieu. Elle l’utilise pour allumer un brasier. Puis, le même prêtre lui présente une sorte de broche sur laquelle est piqué un éventail où figure une image représentant l’ennemi, le désordre, le mal. L’épouse du dieu plonge cette image dans le brasier. Elle accomplit des rites prophylactiques pour rendre bénéfique et protectrice l’énergie du dieu Amon.
Elles n’édifient pas de grands temples, mais de petites chapelles et seulement à Thèbes. Leurs chapelles de Médinet Habou ainsi que celles de Karnak, dédiées à Osiris sont particulièrement poignantes.
La Divine adoratrice assurait sa succession par adoption. La titulaire, nommée « mère » instruisait celle qui devait lui succéder, sa « fille ». Elle l’éduquait et lui révélait les secrets de la haute fonction qu’elle devrait assumer. Les deux femmes régnaient ensemble jusqu’à l’effacement volontaire de la « mère » ou sa disparition.
La Divine adoratrice fut assimilée à la déesse Tefnout (4) ; tous les rites sont accomplis « comme envers Tefnout, la première fois ». Apparaissant sur le siège de Tefnout, la Divine Adoratrice incarnait aussi Maât ; elle consolidait le tour de potier qui crée les êtres.
(1) On peut toujours consulter les vidéos associées : https://www.louvre.fr/en-ce-moment/expositions/pharaon-des-deux-terres#videos-associees
(2) À lire : Pharaon de Deux Terres, l’épopée africaine des rois de Napata, sous la direction de Vincent Rondot, Louvre Éditions, 2022, ainsi que les dossiers parus dans les revues Connaissance des Arts, Hors série N°972 et Archéologie, Hors série N°42
(3) Éditions Librairie alchimique Perrin, 1996
4) Fille d’Atoum, l’être et le non être et sœur de Chou, la vie, l’air lumineux, le souffle ; elle est Maât, la Règle universelle. Polarité masculine et féminine indissociables et en interaction : la vie engendre la Règle, la règle engendre la vie
La dynastie des rois kouchites
Le roi Alara sera considéré comme le fondateur de l’État kouchite. Son successeur, Kachta (755-743 av. J.– C.) prend pied en Égypte et sa fille, Aménirdis Ie devient l’adoratrice d’Amon à Thèbes. La voie est tracée pour Piânkhy (743-713), véritable fondateur de la puissance kouchite. Il domine d’abord la Haute Égypte et dans la 21e année de son règne se lance dans une campagne militaire face à l’avancée d’une coalition des princes du Delta, menée par le prince de Sais Tefnakht Ier. Piânkhy vainc les ennemis et se recueille dans le temple de Re à Héliopolis. Mais, au grand étonnement général, il laissera la place aux roitelets locaux et retourne à Napata. Son successeur, Chabataka (713-705 av. J.– C.) conquiert l’Égypte éliminant le roi thébain, Iny, et le roi de Sais, Bocchoris. Ses monuments s’inscrivent dans la continuité des derniers rois libyens, notamment à Thèbes. Il a de bons rapports avec les Assyriens.
Son fils, Chabaka (705-690) lance un programme de constructions remarquables à Thèbes et Memphis mais est peu présent en Nubie. Les relations avec l’Assyrie se tendent.
Des rivalités dans la famille royale conduisent au pouvoir Taharqa, fils de Piânkhy. Son règne ( 690–644 av. J.-C.) paraît comme le plus brillant de la dynastie. Le roi développe une large politique monumentale à Napata, Kawa, Thèbes et Memphis. Sa pyramide est construite à Nouri, nouvelle nécropole royale et comporte un appartement funéraire copiant le tombeau mythique d’Osiris. À Thèbes, il s’allie avec les élites locales, comme le puissant gouverneur Montouemhat. Son autorité est contestée dans le Delta, par les dynasties rivales de Sais et Tanis. Il développe un intérêt pour le Levant qui suscite des révoltes contre la domination assyrienne en Phénicie. La fin de son règne est marquée par plusieurs invasion des Assyriens, qui prenant Memphis, l’obligent à s’enfouir à Napata, alors que son trésor et son harem son emmenés à Ninive.
La dynastie se termine en Égypte avec le règne de Tanouétamani (665–655 av. J.–C.), fils de Chabaka. Il mène une campagne dans le Nord contre le roi de Sais, Néchao I, installé à Memphis avec l’appui des Assyriens. Dès la fin de 664, Assourbanipal envoie une armée qui détruit Memphis et surtout Thèbes. Cette invasion met fin à la domination kouchite en Égypte et si l’autorité de Tanoutamani est encore reconnue à Thèbes quelques années, dès 655, Psammétique I, roi de la XXVIe dynastie réunifie le pays à son profit.
