HistoireSociété

L’étrange histoire de l’écologie

L’écrivain et journaliste Philippe Simonnot, dans son nouvel essai Le brun et le vert, quand les nazis étaient écologistes (1), se demande, à l’heure où l’écologie s’impose de plus en plus comme une force politique et morale importante dans notre pays, s’il n’est pas temps de se tourner vers le passé.

C’est le biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) qui, en 1866, fait naître une nouvelle discipline scientifique, l’ökologie. « Par écologie, précise-t-il, nous entendons la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement… leur adaptation au milieu… leur transformation pour la lutte pour la vie ».
Comme l’explique Régis Debray (2), en 1968 la science devient idéologie, symbole d’une contre-culture rebelle et contestataire. Mais, pour des raisons qui lui incombent, il occulte ce qui se passe entre 1866 et 1968.

Reprenons l’histoire depuis le début. Haeckel fait connaître l’œuvre de Darwin en Allemagne et propose un darwinisme social raciste, insistant sur la survie des plus aptes et l’élimination des plus faibles, l’associant, depuis le départ, à son nouveau concept : l’écologie.
Haeckel jouera un rôle de première importance dans l’éclosion de l’écologie nazie qui sera à l’époque, la plus avancée au monde.
En 1891, il participe à la fondation de la Ligue pangermanique, ultranationaliste et antisémite.
Il est considéré par ses adeptes comme un géant intellectuel mais aussi le prophète de la régénération nationale et raciale de l’Allemagne. Ceux-ci auront une grande influence parmi les dirigeants du national-socialisme.
Comme le note l’historien français André Pichot, les études sur le racisme mentionnent très rarement le nom de Ernst Haeckel, principal auteur moderne à avoir proposé une classification des races humaines en les hiérarchisant dans le cadre évolutionniste darwinien, depuis les Noirs censés être proches des singes, jusqu’à, selon lui, la forme la plus évoluée, les Indo-germains (c’est-à-dire, les Allemands, les Anglo-saxons et les Scandinaves).

L’inspirateur de la première législation allemande qui conjugue le vert (écologique) et le brun (nazi) est le biologiste Walther Schoenichen (1876-1956), disciple convaincu d’Haeckel, qui explique la nécessité de protéger la nature des « agressions de la civilisation ».
Le national-socialisme et la protection de la nature sont en étroite relation. Dans leur idéologie, ils ont promu la soumission de l’homme à la nature, qui a pris la place de Dieu et qui représente la nouvelle divinité.

Les premières lois de protection des animaux sont d’abord établies par le IIIe Reich, et comme d’autres lois e nature écologique, restent encore en vigueur dans l’Allemagne d’aujourd’hui.
En 1940, Schoenichen se félicite de la conquête de la Pologne par l’armée allemande. Il y voit une opportunité pour créer des parcs naturels mais aussi pour réduire la densité démographique en Allemagne, une fois les Polonais déplacés à l’Est, laissant leur place aux citoyens du IIIe Reich. En fait, dans cette idéologie, l’ordre hiérarchique place en premier l’homme indo-germain, ensuite les animaux et après les autres êtres humains.
La protection de la nature et le national-socialisme sont en étroite relation, remarque Philippe Simonnot, du fait que le Führer veut une nouvelle communauté populaire dont les fondations reposent sur le Sang et le Sol (Blut und Boden), c’est-à-dire, les forces primordiales de la vie et de l’âme, propres à la race allemande.
Sans rentrer dans tous les détails, nous devons comprendre l’importance de quatre personnalités de première ligne du régime nazi, liée à leur plan opérationnel et pas seulement doctrinal. C’étaient des écologistes convaincus à leur manière : Walter Darré, qui développa la théorie du Sang et du Sol, retenue par Himmler pour l’idéologie des SS ; Fritz Todt, ministre de l’Industrie et la Technologie ; Alwin Seifert, son adjoint pour la planification et la création d’autoroutes écologiques ; et finalement, Rudolf Hess, le numéro deux d’Hitler, avant son voyage à Londres. L’écologie nationale-socialiste est étatique et anticapitaliste. Certains de ces personnages ont survécu à la défaite nazie et ont continué leur vie dans l’Allemagne démocratique, comme Alwin Seifert qui a repris son poste d’enseignant à l’Université. Il présidera la Ligue pour la protection de la nature en Bavière sans être inquiété pour son passé nazi.

De cette étrange histoire, dont les mémoires se sont effacées, et qui fait le lien avec les actuels écologistes, notamment en Allemagne, un dernier cas mérite d’être évoqué : celui de Rudolf Bahro (1935-1997). Citoyen de la République Démocratique Allemande (RDA) sous l’occupation soviétique, il a été emprisonné pour ses idées non conformes. Il est devenu très populaire en Allemagne fédérale mais aussi en France et en Grande Bretagne. Libéré, il est passé à l’Ouest. Son ouvrage L’Alternative, qui traite de la transition, a été publié en France en 1979 et salué en grande pompe dans Le Monde diplomatique. D’une part, il a repris l’ancienne idéologie des écologistes nazis et d’autre part, il est devenu un allié de l’autogestion, l’écologie, le féminisme et le communalisme, combinés avec le marxisme.
Dans les années 80, il contribue au développement d’un fascisme spirituel qui a pour effet de réhabiliter le national-socialisme. Il adhère aux Verts Allemands qu’il quitte plus tard et continue à transmettre ses idées. Comme explique Philippe Simonnot, il est le chaînon manquant entre le passé nazi et une certaine écologie qui intègre les développements ultérieurs de sa doctrine.

Cette terrible histoire des origines de l’écologie fut admise et reconnue en Allemagne et en Angleterre mais jamais en France.
Il est toujours très difficile d’occulter le passé et l’histoire le démontre. Des idéaux nobles peuvent être détournés, provoquant de terribles dérives. Et si on ne tient pas compte de l’histoire, elles ne peuvent que s’accentuer et susciter de nombreuses manipulations.

Aujourd’hui, nous devons faire face à des enjeux environnementaux capitaux pour l’humanité et les sujets comme le climat, la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles ou le bien-être animal sont des questions graves et fondamentales qui nous préoccupent tous légitimement. C’est pourquoi, comme cette triste histoire le démontre, l’écologie est une cause noble et majeure qui ne peut pas et ne doit pas être instrumentalisée, et ce par quelque idéologie politique que ce soit. Le bien-être, l’harmonie et le respect de notre écosystème global concernent toute l’humanité.

Restons philosophes et conscients de l’histoire pour éviter les excès.

(1) Paru aux Éditions du Cerf, 2022
(2) Auteur de Le siècle vert, un changement de civilisation, Éditions Gallimard, 2020
Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole en France 
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page