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Histoire

Mélusine

Aujourd’hui, les habitants de Lusignan dans la Vienne, en région Nouvelle-Aquitaine sont appelés les Mélusins et les Mélusines. Un nom qui n’est pas sans rappeler la fée Mélusine.

Le roman médiéval de Jean d’Arras, Mélusine ou la noble histoire des Lusignan, écrit au XIVe siècle, reprend le thème du mariage entre une fée et un être humain et le personnage de Mélusine, très ancien et répandu, pour en faire l’origine de la famille noble des Lusignan.

Le menton sur la poitrine, Raymondin n’entendait ni ne voyait rien. Depuis des heures, il chevauchait au hasard dans la grande forêt. Les pas de sa monture le menèrent à l’entrée d’une grande prairie, sous l’escarpement rocheux où jaillit le Fontaine de la Soif, là où tant d’aventures ont commencé. Trois dames étaient là. Deux fois, la plus noble d’entre elles lui adressa la parole. La troisième fois, elle le tira par la main et lui « frémit comme un homme qui s’éveille en sursaut ». Ébloui par sa beauté, il sauta de son cheval et s’inclina, invoquant comme excuse le fait qu’il avait perdu son chemin.
« Pourquoi mentir, Raymondin ? En voulant transpercer de ton épée le sanglier qui le chargeait, tu as tué ton oncle, le Comte de Poitiers. Arrête ta fuite, et écoute-moi. Car, sans moi, tu ne peux venir à bout de cette aventure. Mais je peux faire de toi le seigneur le plus puissant du monde. Tu dois d’abord promettre de m’épouser. Jure que, le samedi, tu ne chercheras ni à me voir ni à savoir où je serai. Et que tu ne révèleras à personne ce que tu sais de moi. » Raymondin jura. Sur les conseils de la dame, il rentra au château où l’on crut que le comte avait été tué par le sanglier.

Le Comte de Poitiers, sa famille et tous ses barons furent invités aux noces de Raymondin et de Mélusine. Elles durèrent quinze jours pendant lesquels chacun eut de tout à profusion. Raymondin, qu’on appelait désormais Raymond, fidèle à sa promesse, refusait de répondre aux questions concernant sa dame.
Mélusine fit défricher la forêt et, sur la roche aplanie, fit construire, en un temps si court que tout le monde en fut stupéfait, une puissante forteresse qu’elle appela Lusignan. Nul ne savait d’où venait la multitude d’ouvriers, plus habiles les uns que les autres, qui y travaillèrent et qu’elle payait le samedi. Elle fit ensuite construire la ville de Lusignan et fonda encore bien d’autres villes, places fortes et abbayes dans toute la région.

Raymond de Lusignan était désormais un puissant seigneur. Mélusine lui donna dix enfants mâles, tous beaux et vigoureux. Mais les huit premiers étaient dotés chacun d’une particularité physique. Le sixième, Geoffroy, « arriva sur cette terre avec une dent qui lui sortait de la bouche de près de trois centimètres. On le nomma Geoffroy la Grande Dent ». Il « était étonnamment hardi et cruel, ne craignit jamais personne et accomplit des actions surprenantes ».

Un jour, qui se trouva être un samedi, le Comte de Forez, frère de Raymond, vint lui rendre visite et, profitant de l’absence de Mélusine, lui rapporta les bruits qui couraient : on racontait qu’elle profitait de son aveuglement pour se livrer à la débauche.
Ivre de colère, Raymond prit son épée et se rendit à l’endroit où, tous les samedis, se retirait Mélusine. Il se trouva devant une porte de fer très épaisse. À force d’acharnement, il réussit à percer un trou dedans  avec la pointe de son épée. Il y appliqua son œil et vit un grand bassin de marbre rempli d’eau, dans lequel se baignait Mélusine. « Jusqu’au nombril, elle avait l’apparence d’une femme, et elle peignait ses cheveux ;  à partir du nombril, elle avait une énorme queue de serpent, grosse comme un tonneau pour mettre les harengs, terriblement longue, avec laquelle elle battait l’eau qu’elle faisait gicler jusqu’à la voûte de la salle. »
Alors, Raymond prit conscience de sa trahison. Il boucha le trou avec de la cire, chassa son frère et se réfugia dans sa chambre où il se laissa aller au désespoir. Mais il n’avait parlé à personne de ce qu’il avait vu et Mélusine put lui pardonner.

Cependant, Geoffroy la Grande-Dent, de retour après avoir tué un géant qui mesurait presque cinq mètres, apprit que son frère Fromont était entré au couvent. Plein de fureur et de haine contre les moines auxquels il reprochait d’avoir ensorcelé son frère, il se rendit au monastère et l’incendia. Quand on annonça la nouvelle à Raymond, il fut si épouvanté qu’il accusa sa femme d’avoir mis au monde des monstres et d’être elle-même un esprit malin, comme il avait bien pu le constater en la voyant dans le bassin. Il l’injuria, la traitant « d’infâme serpente ».
La douleur de Mélusine fut si violente qu’elle s’évanouit. Puis elle maudit le jour où, pour son malheur, elle était tombée amoureuse de lui. Elle lui dit qu’elle ne pouvait rester plus longtemps près de lui ; qu’il ne la reverrait jamais. Elle lui dit encore que plus jamais personne, après lui, ne maintiendrait réunies sous son autorité les terres qu’il gouvernait. Lui, cependant, n’avait rien à craindre : elle l’aiderait tant qu’il vivrait.

Elle embrassa tendrement son époux, fou de chagrin, et sauta sur le rebord d’une fenêtre où la trace de son pied est restée gravée. « Alors, poussant une plainte douloureuse et un terrible soupir, elle s’élança dans les airs, s’éloigna de la fenêtre, traversa le verger et se transforma en une énorme serpente, longue de près de cinq mètres… Elle fit trois fois le tour de la forteresse et, chaque fois qu’elle passait devant la fenêtre, elle lançait un cri si étrange et si douloureux que tous en pleuraient de compassion… Elle manifestait tant de douleur et faisait un tel tapage que c’était horrible à entendre et à voir… Et brusquement elle disparut, on ne sait ce qu’elle était devenue. »
Chaque nuit, elle revint voir ses deux plus jeunes enfants, Thierry et Raymond, qui « croissaient et embellissaient tant que tout le monde s’en étonnait ». Mais, plus jamais son époux ne la revit sous forme humaine. Il partit pour l’Espagne où il se fit ermite.
Trois jours avant sa mort, la serpente se montra à Lusignan et fit trois fois le tour des murs en se lamentant avec une voix de femme. Pris de pitié, ses enfants se mirent à pleurer. Alors, « elle s’inclina vers eux et poussa un cri si terrible qu’il sembla à tous ceux qui l’entendaient que la forteresse s’effondrait. »

Elle apparaît ainsi, chaque fois que la forteresse doit changer de Seigneur, et chaque fois que doit mourir un descendant des Lusignan.

par Marie-Françoise TOURET
Formatrice de Nouvelle Acropole  
© Nouvelle Acropole

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