PhilosophieRevue

Vivre sans

C’est par le paradoxe du « manque de manque » que commence ce livre, car Mazarine Pingeot constate nous vivons dans une société qui comble tous les vides. 

Bien sûr nous pouvons nous réjouir de la prospérité de nos sociétés occidentales qui nous permettent de ne pas manquer de l’essentiel : la sécurité, la nourriture, etc. Pourtant, affirme la philosophe, nous avons besoin du manque.
C’est Platon qui nous parle de la nécessité du manque dans le Banquet. Il rappelle que l’amour Eros est le fils de Poros la richesse et de Penia la pauvreté, et que cette double naissance fait naître en lui le manque. Ainsi le manque suscite le désir et l’amour dont la plus haute forme est l’amour de la sagesse. Or ce n’est pas cet amour exalte notre société de consommation, mais bien celui le désir de consommer et de posséder. À l’inverse du tonneau des Danaïdes, le tonneau de la consommation tire profit de l’écoulement continu qui nourrit perpétuellement un désir incessant.

C’est que notre société moderne considère la satisfaction de tous les désirs comme un bien, alors que pour les Anciens seule la satisfaction du besoin essentiel en était un. Ceci dessine deux modèles de société très différents. 
À la société d’hyperconsommation marquée par le gaspillage, s’oppose celle basée sur la « sobriété heureuse » que Pierre Rabhi a érigé en nouveau paradigme tout en dénonçant « l’imposture de la modernité ».

C’est chez Épicure que l’on trouvera l’idée la sobriété heureuse (1), qui aspire à retrouver l’harmonie avec la nature et soi-même en s’appuyant, comme chez Aristote, sur le tri méthodique entre les besoins nécessaires et des désirs superflus. C’est parce qu’il ne sait se contenter de ce qu’il possède que l’homme est traversé par ses désirs et en devient l’esclave.
Dans cette société saturée de désir, il est difficile d’entendre l’appel de la philosophie. Pourtant, la consommation n’est à l’évidence qu’un substitut pour combler le désir métaphysique qui travaille secrètement l’être humain mais auquel notre société n’apporte aucune réponse. 

Pour se libérer des désirs insatiables, à la recherche du sentiment d’exister, l’auteur esquisse une voie qui pourrait s’ancrer dans un désir métaphysique comme puissance d’être et non seulement désir de posséder. On pourrait regretter que cette partie soit si ténue en comparaison du brio du reste de l’ouvrage, dense en analyse.

Mazarine Pingeot, vivre sans, une philosophie du manque, Édition climats, 2024, 260 pages, 21 €

(1) Lire l’article de Brigitte Boudon, paru dans la revue Acropolis n°353 (09/2023) et la série d’article consacrée à la sobriété vue par les philosophes dans les revues N°354 à 358
Isabelle OHMANN, rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de philosophie Nouvelle Acropole France

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page