« Vous n’êtes jamais né et vous ne mourrez jamais » Hommage à Tich Nhat Han
Tich Nhat Hanh, moine bouddhiste vietnamien qui a œuvré toute sa vie pour la paix et la réconciliation, est devenu le principal promoteur et porte-parole de la pleine conscience en Occident. Il a quitté ce monde le 22 janvier dernier dans le temple de Từ Hiếu à Hué où il avait commencé sa vie monastique et dont il était abbé titulaire depuis 1968 et chef de lignée depuis les années 1990.
Derrière le comportement serein de Tich Nhat Hanh que ses disciples appellent Thầy, l’enseignant, se cache un guerrier courageux. Il avait rejoint le monastère à l’âge de 16 ans et s’est vaillamment opposé à son propre gouvernement pendant la guerre du Vietnam. Alors même qu’il embrassait la vie contemplative d’un moine, la guerre le confrontait à un choix : devait-il rester caché dans le monastère s’occupant des affaires de l’esprit, ou sortir et aider les villageois qui souffraient ? Sa décision fut de faire les deux, ce qui a donné naissance au « bouddhisme engagé », un mouvement qui implique un activisme pacifique dans le but de réformer la société. C’est aussi ce qui a conduit Martin Luther King junior à le nommer pour le prix Nobel de la paix en 1967.
Ses diverses activités non violentes au service des populations ont conduit le gouvernement vietnamien à lui interdire, en 1966, de rentrer chez lui après avoir quitté le pays pour une mission de paix. Il est resté en exil pendant 39 ans.
Thầy s’est finalement installé dans le sud de la France et a fondé Plum Village (1), centre de pratique de méditation bouddhiste et monastère où il a vécu jusqu’à fin 2016.
Incapable de parler ou de marcher, mais communiquant de manière vivante, il a décidé de retourner au Vietnam en octobre 2018 pour vivre ses derniers jours à Huế, dans son « temple racine ». Thầy nous enseigne que nous pouvons embrasser même la plus grande adversité avec courage et compassion, et que notre vraie présence est le meilleur cadeau que nous puissions offrir à ceux que nous aimons.
Sa vision de la vie peut se résumer dans ce chant bouddhiste : « nous sommes toutes les feuilles d’un arbre : nous sommes tous les vagues d’une mer ; le temps est venu pour tous de vivre comme un. »
Face aux deux postures opposées de la pensée occidentale qui proposent, soit l’éternité de l’âme soit celle du néant, Thich Nhat Hanh offre une alternative et nous dit : « Depuis le début des temps vous êtes libres. La naissance et la mort ne sont que deux portes par lesquelles nous passons, des seuils sacrés au cours de notre voyage. La naissance et la mort sont un jeu de cache-cache. Vous n’êtes jamais né et vous ne mourrez jamais » (2).
Comme il l’exprimait : « Je suis une continuation, comme la pluie est une continuation du nuage. » Il n’y a ni naissance ni mort, juste une continuation ».
« Ma nature est d’être l’eau de l’océan. Je me vois dans toutes les autres vagues et je vois toutes les autres vagues en moi. L’apparition et la disparition de la forme de la vague n’affecte pas l’océan. Mon corps de Dharma (mon essence profonde) et ma sagesse de vie ne sont pas soumis à la naissance et à la mort. Je vois ma présence avant que mon corps ne se manifeste et après la désintégration de mon corps. En ce moment même, je vois comment j’existe ailleurs que dans ce corps. » (3) « Soixante-dix ou quatre-vingt ans n’est pas ma durée de vie. Ma durée de vie, comme la durée de vie d’une feuille ou d’un Bouddha est sans limite. J’ai dépassé l’idée que je suis un corps séparé des autres formes de vie dans l’espace et le temps. » (4)
Pragmatique et pratiquant, Thich Nhat Thanh ne nous transmet pas seulement des enseignements qu’il a reçus, mais des expériences de vie obtenues par ses propres méditations et son vécu. Ce ne sont pas des théories ou de la poésie.
Par la pratique de la pleine conscience, il est devenu un laboratoire où la vie a pu se manifester à travers les portes de la naissance et de la mort.
Comme il l’explique avec grande sérénité : « Il est tout à fait possible de mourir paisiblement. » (5) Il suffit pour cela de prendre conscience que nous continuons à nous manifester sous d’autres formes. Si nous souffrons, c’est à cause de notre propre peur de ne plus être. Par la pratique de la vision profonde, nous pouvons accéder à la compréhension que la réalité de ce que nous sommes est une manifestation et une continuation de multiples manifestations et qu’il est inutile d’avoir peur de la naissance et de la mort puisqu’elles ne sont, in fine, que des notions transitoires. Dans cette époque, où un grand nombre est en souffrance par peur ou à cause de la maladie, de désarroi devant l’incertitude, nous devrions accepter d’entraîner notre esprit pour aller au-delà des apparences et nous réconcilier avec la réalité qui nous invite à assumer les contradictions et apprendre à relier les contraires. »
Concluons avec l’avis d’un centenaire expérimenté dans une autre voie mais convergente, le philosophe et sociologue Edgar Morin : « Vie : le mot le plus évident et le plus mystérieux, le plus plat et le plus profond qui nomme ce dont nous sommes à la fois les jouets et les acteurs, et que nous n’arrivons pas à comprendre ni concevoir. » (6)