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Éditorial : La jeunesse et ses contradictions

Il est difficile de vivre en permanence dans un monde de conflits et d’hyper sollicitation ! 44% des 18-24 ans ont été victimes, ou témoins dans leur entourage, d’une agression ou tentative d’agression (1) et cela dans un environnement, où ne l’oublions pas, l’augmentation de la connexion à internet va de pair avec celle de la solitude. 62% des jeunes de cette tranche d’âge se sentent régulièrement seuls (2) et ce n’est pas un hasard si comme le signale le quotidien Le Monde (3), des ministères de la solitude sont apparus dans des pays comme le Royaume-Uni et le Japon où la pression de réussite est très forte…

La France n’est pas épargnée par cette pression diffuse. Une part importante des jeunes, plus des trois quarts pour la génération Z (1997-2009), ressent de l’angoisse au seul retentissement de la sonnerie de leur mobile (4), à tel point que, plus d’un quart admet ne plus y répondre et que 61% d’entre eux font le choix d’opter pour la seule alternative du SMS. Peur de ne pas savoir quoi dire ou de perdre ses moyens, peur de la confrontation à une réalité que l’on ne peut contrôler. Pourquoi ? L’appel est perçu pour une bonne part d’entre eux comme déstabilisant au regard des habitudes prises avec le monde numérique où l’on contrôle tout, ce qui induit des postures défensives. Ainsi, 37% des 18-34 ans ont pris l’habitude de se contenter de messages vocaux, et y recourent dans 6 échanges sur 10 afin de choisir le moment et la forme de leur communication ! 

Mais, cette volonté de choisir et contrôler se manifeste dans beaucoup d’autres domaines. Ainsi une bonne part des jeunes parents (5) refusent catégoriquement toute transmission des grands parents à leurs enfants, car ils privilégient désormais l’auto-information et la recherche personnelle pour répondre à leurs questions, notamment sur la natalité. Ils piochent sur les réseaux sociaux, podcasts, applications et autres contenus personnalisés qui se multiplient. 9 jeunes sur 10 de la génération Z utilisent quotidiennement Instagram, et 6 sur 10, Tiktok. Ainsi les réseaux sociaux ont certes considérablement modifié la carte des relations, mais ont-ils pour autant changé l’essentiel ? La réponse est non !

Certes, les hashtags faisant la promotion du « quiet living » vie tranquille, ou du « slow living » pour vivre lentement, remportent un vif succès (6) car la nostalgie d’une vie plus paisible est bien présente. Malgré tous ces bouleversements et contrairement à ce que répètent en boucle les esprits grincheux, la jeunesse reste idéaliste. La preuve la plus éclatante en fut donnée cet automne par les Espagnols (7) quand des jeunes ont afflués de tout le pays après les inondations torrentielles dans la province de Valence. À la surprise générale ils se sont auto-organisés et sont arrivés par milliers, sans trop réfléchir, par solidarité, prêtant main forte aux pouvoirs publics dans les villes sinistrées. « Attendre davantage n’était pas une option, quand nous avons vu l’aide dont ces gens avaient besoin» comme l’a résumé l’un d’entre eux. Ainsi ces jeunes que d’aucuns pensaient incapables d’abandonner leur portable plus de 10 minutes ou trop égocentriques et individualistes pour s’impliquer dans une cause, ont donné une leçon de courage, de dévouement et de générosité. « La génération de verre semble finalement d’acier » ont conclu les principaux médias espagnols. 

Plus philosophiquement, nous dirons qu’elle est faite de l’un et de l’autre, qu’elle a ses faiblesses et ses fragilités, mais aussi ses forces qui comme toujours, ne se révèlent que dans l’épreuve, laquelle est parfois bénédiction et non pas malédiction. Comme le disait Sénèque dans ses Lettres à Lucilius : « Il faut aimer la jeunesse, non parce qu’elle est faible, mais parce qu’elle est riche d’espérance, elle porte en elle les semences de toutes les vertus ». 

Ainsi, même si 73% des jeunes craignent que la guerre ne déborde au-delà de l’Ukraine, ils n’ont pas renoncé pour autant à s’investir dans la chose publique, et ne sont pas repliés dans un individualisme frileux (8). 30% donnent régulièrement de leur temps à une association (9) et 62 % d’entre eux sont mêmes favorables à la restauration d’un service militaire obligatoire, quand trois quarts des étudiants plaidaient pour sa suppression en 1980 ! Quant au scoutisme, dont le fondateur Baden-Powell disait : « Essayez de quitter la terre en la laissant un peu meilleure que vous ne l’avez trouvée », il a doublé ses effectifs en 10 ans. Jérôme Fourquet de l’I.F.O.P., constate que « le scoutisme inocule un virus civique qui reste très actif, même quand on a quitté le mouvement, et ce, quel que soit le milieu social dans lequel on évolue. » (10). 70% des anciens scouts participent à des actions bénévoles contre seulement 21% de la population.

Certes, il est clair que la jeunesse a de toute évidence ses contradictions. Rien n’est simple et le simplisme est toujours dangereux, car la maturité d’un individu se mesure à sa capacité à assumer les paradoxes et les inévitables contradictions de l’existence. 

Prenons donc un peu plus de recul avant de juger à l’emporte-pièce. Soyons lucides mais confiants, la jeunesse de 2025 n’est ni pire ni meilleure que celle du siècle passé. Elle est simplement confrontée à des défis incroyablement différents, avec des opportunités restreintes d’exprimer sa singularité, dans un monde complexe, en pleine mutation. Gageons qu’elle saura saisir toutes les opportunités d’exprimer sa force et son élan dans le monde incertain que nous vivons, car c’est une nécessité absolue. Pour le monde c’est certain, mais aussi et surtout pour elle. Car, comme le disait Simone Weil, en 1943, dans les Écrits de Londres et dernières lettres (11) : « La jeunesse est faite pour l’héroïsme. Il faut qu’elle sente devant elle un avenir où sa force et son courage auront un sens, sinon elle se flétrit ». 

(1) Blanche Leridon et Lisa Thomas-Darbois, Fracture française : la jeunesse tantôt diabolisée, tantôt convoitée, enquête annuelle, réalisée par Ipsos pour le Quotidien Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne 
(2) https://www.ifop.com/publication/limpact-de-la-solitude-sur-la-vie-des-francais/
(3) Voir article de Cécile van de Velde, La montée de la solitude dans la jeunesse est une tendance forte, paru dans Le Monde du 10/10/2024
(4) Voir article d’Alice Peirot-Vasseur, « C’est simple, je ne décroche jamais » : pourquoi les jeunes ne répondent plus au téléphone ?, paru dans l’hebdomadaire Le Point du 17/01/2025
(5) Voir note N°1, Fracture française : la jeunesse tantôt diabolisée, tantôt convoitée
(6) Voir article de Catherine Le Du, Les boîtes de nuit, j’en ait fait le tour, paru dans le quotidien Le Figaro du 09/11/2024
(7) Voir l’article Sandrine Morel, La leçon de courage des jeunes Espagnols, paru dans le quotidien Le Monde du 25/11/2024
(8) Étude de l’IRSEM réalisée pour l’Institut Sciences politiques, Les jeunes et la guerre, représentations et dispositions à l’engagement, d’Anne Muxuel, directrice de recherche émérite au CNRS et directrice déléguée du CEVIPOF
https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/bdEtude-Muxel-Lesjeunesetlaguerre.pdf
(9) Enquête de Marie-Lou Cauzit, Baromètre 2024 de l’engagement des jeunes DJEPVA : les 15-30 ans sont optimistes et résilients, publiée le 10/09/2024
 https://www.digischool.fr/articles/orientation/vie-etudiante/barometre-jeunesse-djepva-2024/
(10) https://www.ifop.com/publication/enquete-sur-lutilite-sociale-du-scoutisme/
(11) Paru en 1957 aux Éditions Gallimard
Thierry ADDA
Président de Nouvelle Acropole France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de l’École de philosophie Nouvelle acropole France

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