Entretien avec Gilles Farcet. La relation Maître-disciple #1 La rencontre d’un disciple avec son maître
Dans le cadre du 50e anniversaire de notre revue, après Antoine Faivre, nous publions l’entretien réalisé avec Gilles Farcet (1) sur la relation de maître à disciple.
À propos de Gilles Farcet
Gilles Farcet, écrivain, journaliste, producteur à France Culture, animateur de stages, a également collaboré à diverses revues et a fondé à La Table Ronde la collection « Les Chemins de la Sagesse ». Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages et a travaillé aux côtés d’Arnaud Desjardins, qu’il a considéré comme son maître. Il se consacre, dans ses écrits comme dans sa vie, à une meilleure compréhension de la relation maître à disciple, située au cœur de toutes les traditions spirituelles.
Ce premier extrait raconte sa recherche d’un maître.
Revue Acropolis : Vous parlez souvent dans vos écrits de la relation maître-disciple. Pouvez vous nous expliquer ce qui dans votre vie vous a amené à réfléchir et à mettre l’accent sur cette relation ?
Gilles FARCET : Tout d’abord la conscience très claire que, pour progresser, pour croître dans quelque domaine que ce soit, profane ou sacré, humain ou spirituel (les deux étant d’ailleurs à mon sens inséparables) il faut apprendre. Je suis très étonné de constater que beaucoup prétendent aujourd’hui se passer de maître dans le domaine spirituel, alors même que chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’un apprentissage rigoureux dans les autres sphères de l’existence. Si je désire jouer correctement du piano – sans parler d’être un virtuose – il me faudra prendre des cours, m’initier au solfège, m’ouvrir à certaines influences. Je devrai choisir un professeur et ne pas en changer tous les quinze jours.
Tout le monde juge normal et même indispensable qu’un futur médecin aille à l’université et suive des stages à l’hôpital. J’avoue donc être surpris de voir cette nécessité d’une formation sérieuse si peu reconnue aujourd’hui parmi ceux et celles qui disent s’intéresser à « la spiritualité ». Beaucoup « picorent » un peu partout, suivent un stage, puis un autre… Or, je crois que si l’on veut véritablement approfondir il faut, non pas être fermé et ne plus jurer que par une personne hors de laquelle on ne voit point de salut, mais du moins s’exposer de façon durable à une influence, à une « école » – pour reprendre un terme cher à Georges Gurdjieff (2) –, quitte ensuite à pouvoir d’autant mieux s’ouvrir et se montrer disponible.
Donc, pour répondre de manière plus personnelle à votre question, mon intérêt pour le rapport maître-disciple vient de ce que j’ai eu assez tôt conscience de la nécessité de cette relation pour un travail spirituel digne de ce nom. Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais disons qu’à l’âge de vingt-trois ans, après avoir beaucoup pratiqué certaines techniques de méditation, fait de nombreuses et longues retraites, je me suis rendu compte de l’omniprésence de cette relation maître-disciple dans toutes les traditions. Qu’il s’agisse de la tradition hindoue, de la tradition bouddhiste, du soufisme, du christianisme des premiers temps et même de la tradition philosophique occidentale, celle de Socrate et Platon, on retrouve toujours et partout cette relation du maître et du disciple. Elle est d’ailleurs source de très belles histoires, vraies ou symboliques, et porteuses de vérités profondes. Par conséquent, je ne pouvais pas prétendre être un génie spirituel capable de tout découvrir par lui-même. Non que les génies spirituels n’existent pas : Ramana Maharshi l’un des grands sages hindous du début de ce siècle, s’est éveillé « spontanément » à l’âge de dix-sept ans, sans avoir suivi d’enseignement. Mais quand on s’engage sur un chemin, on ne saurait partir du principe que l’on est un génie et un nouveau Maharshi… Si l’on aspire à bien jouer du piano et à composer, mieux vaut commencer tôt à prendre des cours plutôt que de se prendre d’emblée pour Mozart.
La rencontre d’un disciple avec son maître
Revue A. : Pouvez-vous nous parler un peu de votre itinéraire ?
G.F. : Oui, mais à condition de préciser que cet itinéraire n’a rien d’exemplaire ou d’exceptionnel. Il se trouve que l’on m’interroge parce que j’écris des livres et que j’ai effectué quelques activités publiques. Mais il y a, ne serait-ce qu’en France, des personnes bien plus avancées que moi et qui pourraient parler avec davantage d’expérience et de perspective de la relation maître-disciple. Sans doute n’est-ce ni leur fonction ni leur désir. Ceci précisé et puisque je suis distribué dans le rôle du « parleur », allons-y.
Il m’est très tôt apparu – aux alentours de mes vingt ans – que quoique très intéressé par le bouddhisme, l’hindouisme et les spiritualités orientales en général, je me devais de rencontrer un maître occidental. Je me suis toujours senti d’Occident, appelé à une relative insertion dans le monde tel qu’il était, pour le meilleur et pour le pire ; je n’ai jamais durablement cru que ma vocation était de me retirer, d’aller vivre en Orient ou de mener une vie contemplative dans le sens précis de ce terme, c’est-à-dire accorder la priorité à la méditation plutôt qu’à l’action. J’aspirais à une spiritualité dépouillée de tous les exotismes, de tout le côté rituel ; en outre, il était pour moi très important de pouvoir entretenir cette relation avec un être humain bien sûr enraciné dans l’expérience spirituelle mais en même temps passé par les tribulations d’un Occidental moyen.
Comment dire ? Je voulais être guidé par quelqu’un dont les références culturelles au quotidien seraient essentiellement les miennes : quelqu’un à qui la nécessité de payer un loyer et des notes de téléphone ne serait pas étrangère, quelqu’un ayant eu une famille, ayant vécu et travaillé non dans un ashram en Inde, mais à Paris ou New York.
Ceci me paraissait très important, justement parce que la sagesse, si elle existait, devait être possible partout et non dépendante d’une culture ou d’un contexte particulier.
Cela n’enlève rien à la grandeur des cultures traditionnelles ni au fait que certains environnements semblent bien plus propices à la recherche intérieure. Reste que jamais je n’ai voulu rejeter mon héritage, ni même cette civilisation, malade sans doute, folle à bien des égards et cependant très propice à la recherche, du fait de sa folie même…