Arts

Le parcours initiatique des Jardins de Versailles

À l’occasion du 400e anniversaire du Château de Versailles, arrêtons-nous pour décrypter le sens symbolique de ses fameux jardins qui, encore aujourd’hui, étonnent, fascinent, émerveillent et enchantent les visiteurs du monde entier.

Les Jardins de Versailles étonnent par le dessin des parterres et terrasses surélevées, l’emploi des surfaces d’eau et des fontaines intégrées dans la verdure ; ils fascinent par le plan géométrique, la symétrie, le symbolisme et la présence intrigante des statues et leur mythologie ; ils émerveillent par les perspectives qu’ils révèlent ; enfin ils enchantent par la découverte et l’aventure qu’ils procurent. Tout est spectaculaire et mené à son apogée !

Chefs d’œuvres des jardins « à la française », les Jardins de Versailles reprennent une conception classique et symétrique d’une longue tradition, mais portée à une échelle monumentale grâce au génie de leurs créateurs, en particulier le roi Louis XIV et André Le Nôtre (1613-1700) impliqué à Versailles de 1660 à 1700, jardinier de la famille royale depuis son grand-père.
Ils sont le fruit de leurs étroites collaborations et un modèle pour les cours européennes qui vont rivaliser d’imagination pour importer ce savoir-faire français et intégrer l’image de pouvoir qu’il véhicule.

Certes, il faut rappeler que la quasi-totalité de ces éléments était déjà présente et utilisée dans d’autres styles de jardins (romain, classique italien, renaissance), mais c’est à Versailles, que l’orchestration y est magistrale et transcendante, autour d’un axe de perspective centrale se prolongeant à l’infini dans le paysage naturel. De l’ouverture des chantiers aux fêtes ultimes, a été mise en scène une véritable célébration des mystères cosmiques créant ainsi un espace hors du temps d’un impact considérable sur la conscience : nul visiteur ne reste indifférent.  

Louis XIV, qui a suivi tout particulièrement l’accomplissement des travaux, exigeait des comptes rendus très précis lorsqu’il devait s’absenter. Pendant les 50 ans environ que vont durer toutes ces réalisations, le seul à être présent, toujours aux Jardins comme au Château, ce fut le roi Soleil. Colbert a pu dire : « il y a en lui de quoi faire quatre rois et un Honnête Homme » ; le philosophe Leibniz « la plus haute intelligence… »
Son parrain, le cardinal Mazarin, homme d’érudition et de culture dans la tradition de la Renaissance italienne, formé par la famille Colonna, fondatrice de l’Humanisme italien, a surveillé avec attention l’éducation très éclectique du jeune roi. Déjà enfant, celui-ci fut initié à la mythologie, la philosophie et découvrit la chevalerie. 

Pour comprendre la mentalité du roi Louis XIV et la conception même des Jardins, nous pouvons prendre en compte ce qu’il transmet au futur Louis XV, son arrière-petit-fils dans Mémoires pour l’éducation du Dauphin :« Il est utile mon fils de se remettre devant les yeux, les vérités dont nous sommes persuadées mais dont nos préoccupations, nos plaisirs, notre grandeur même effacent incessamment l’image dans nos esprits ».
« L’esprit achève ses propres pensées en les mettant en dehors, au lieu qu’il les gardait auparavant confuses, imparfaites, ébauchées… »

Ainsi, les jardins de Versailles deviennent l’expression et l’affirmation de la vie intérieure d’un souverain pour qui le métier de roi est prioritaire.

Les Jardins de Versailles, un parcours initiatique

Il y a bien sûr de nombreuses façons d’aborder le parcours des jardins de Versailles. Louis XIV a lui-même pris la peine de rédiger un guide de visite, une Manière de montrer les jardins de Versailles, qui correspond à sa vie personnelle. Sensible à la grandeur des lieux, aux effets de perspective et au raffinement des bosquets, le roi a exprimé sa fierté d’avoir créé « le plus beau jardin du monde ».

Louis XIV aurait illustré le parcours initiatique d’un jeune héros humaniste en route vers la connaissance en dépit des épreuves et des dangers, parcours décrit dans un roman, Le Songe de Polyphile, paru en 1499 à Venise sous la plume d’un anonyme (le père Francesco Colonna) et l’on sait qu’il possédait plusieurs exemplaires de l’ouvrage offerts par le cardinal Mazarin.
Polyphile rêve à celle qu’il aime Polia mais qui se montre indifférente à ses avances ; il s’en suit alors un voyage initiatique qui le conduira à l’Ile d’Amour Cythère.

L’Axe Nord-Sud, ou le chemin de l’humanisme : l’Eau et le Feu

Parcourons, nous aussi, de façon très succincte, l’axe traditionnel Nord-Sud pour en donner quelques clés de compréhension : de la naissance du monde manifesté au cheminement initiatique de l’homme.

Au point le plus au Nord des Jardins, en contre-bas, (dans les ombres du début du jour), se trouve la statue de la Renommée, portant le portait du roi, semblant promettre aux audacieux qui s’élanceront dans l’aventure, qu’elle écrira leur histoire !
Le périple commence, tel Polyphile, au bassin de Neptune, dans la mer, origines de la vie, là où barbotent sans fin tous les êtres potentiels. Au loin, l’objet digne de sa quête, le château, la position sociale, la richesse, la connaissance…

Les obstacles forgent le héros : voici que se dresse le dragon, entité maléfique assistée de monstres qu’il faut vaincre afin d’affirmer son courage et sa volonté. Des enfants bienveillants, chevauchant des cygnes ciblent de leurs flèches le dragon qui meure en crachant un jet d’eau.

Si trois chemins s’ouvrent ensuite en perspective (celui de gauche attrayant débouche sur une impasse, celui de droite, on y sort difficilement) seul le central, menant au Château offre une voie ascendante, le chemin de la connaissance, l’allée des Marmousets.

Le Bassin de Neptune et l’allée des Marmousets

Les Marmousets (du nom de marmot) sont regroupés par trois sous des vasques d’où tombe un filet d’eau et présentent sept niveaux d’une conscience évoluant tout au long du parcours. Celui-ci donne accès au Bain des Nymphes qui insuffleront à l’homme la pureté et les nobles pensées nécessaires à l’épanouissement de son esprit. 

Nous accédons ensuite aux parterres Nord et aux terrasses du Château….
Si nous poursuivons le parcours vers le Sud, nous atteindrons l’orangerie qui, par sa douceur et sa beauté, pourrait nous illusionner et nous extraire de toute réalité.
Deux sphinx guidant le promeneur sont chevauchés par des enfants indiquant qu’il faut changer de direction car au-delà, se trouve le lac des Suisses et dans le lointain, la statue de Marcus Curtius à cheval se précipitant dans les flammes.

Changeons donc de repères et revenons sur les terrasses du château pour écouter la voix du bon sens, celle de l’honnête homme : Prendre le temps de poser son regard sur le spectacle inoubliable qui s’offre à soi. Admirer les deux grandes pièces d’eau entourées des quatre fleuves de France et de leurs affluents. Elles prolongent le lieu magique de la galerie des glaces, modèle artistique de l’Europe entière que tous les souverains tentèrent d’imiter.

Sur l’esplanade du château, la découverte du monde : vingt-quatre statues communiquent les unes avec les autres : les quatre parties du jour ; les quatre saisons ; les quatre éléments ; les quatre parties du monde (à l’époque, les quatre continents connus) ; les quatre tempéraments, les quatre poèmes. Chaque statue a une orientation particulière, une direction de regard, un signe représentatif, une histoire dans le lieu.

L’Axe Est-Ouest : la réalisation du chemin vers la lumière, la Terre et l’Air

Mais c’est la perspective vers l’ouest, vers ailleurs qui s’impose comme axe transcendant, orienté vers le soleil couchant le 25 août, à la saint Louis. 
Le parcours se fait les pieds sur terre et le cœur dans le ciel !
Se révèle au fil de la marche, en contrebas, le bassin de Latone : il relate l’histoire de la titanide Léto ou Latone qui s’unit à Zeus et eut deux enfants, Apollon et Diane (Artémis), les dieux de la lumière. Selon le récit des métamorphoses d’Ovide, Latone, chassée par Héra la femme de Zeus, arriva, épuisée, avec ses deux enfants, à Lycie près d’une source et voulu s’y désaltérer mais les hommes qui coupaient les joncs refusèrent de la laisser boire. Ils furent transformés en grenouille.
La statue de Latone et ses deux enfants autour d’elle qui ne peuvent se toucher (le Soleil et la Lune) représentent la naissance de la lumière dans ses aspects diurnes et nocturnes, forces complémentaires qu’il faudra pouvoir aussi réunir en son cœur pour réussir l’étape suivante. 

Plusieurs chemins s’offrent alors à nous : 
Le chemin Sud, est celui de la pensée, de l’art et des plaisirs. Nous sommes accueillis par Platon, le philosophe en état de réflexion intense (tenant par la main le portrait de Socrate). 
En face de lui, Circé, magicienne au pouvoir fantastique ; chemin de l’homme descendant en lui-même ou chemin de l’errance : avec le parcours de la Salle de balle Bassin de l’automne portant l’ivresse de Bacchus, le bosquet de l’ile royalele Labyrinthe (aujourd’hui disparu) et le Bassin de l’hiver où Saturne au centre se tourne dans la direction du soleil au solstice d’été.
Au Nord : c’est Diogène qui nous accueille. Il est celui qui « cherche un Homme ». 
En face de lui Cérès, déesse des moissons. C’est le chemin de la responsabilité et de la prospérité.

Il nous mène au Bassin de l’été, où Cérès fixe en face le soleil de midi au jour du solstice d’été, l’Ile des enfants (à protéger et à élever), le Bosquet du théâtre d’eau, le Carrefour des philosophes, de ceux qui ont choisi l’exil face à une société conventionnelle, le Bassin du printemps (Flore au cœur du bassin regarde la direction du soleil au jour de l’équinoxe de printemps).

L’allée Royale, la Voie : elle n’est pas l’allée du roi ; elle est la voie directe, droite, le chemin qui ne s’écarte pas ni dans les champs (au Nord la fontaine de Cérès), ni dans les vignes (au Sud, fontaine de Bacchus) … (Livre des Nombres XXI, 22) (1).
Accompagnée par une série de six statues de part et d’autre, elle débouche sur un hémicycle dont la perspective s’ouvre sur l’infini.

Au centre du bassin, Apollon sur son char jaillit des eaux dans un concert de vingt-huit jets et trois fleurs de lys. Tiré par quatre chevaux, accompagné de quatre dauphins, et de quatre tritons qui soufflent dans leur corne, le soleil s’élance pour sa course diurne au-dessus de la terre.
Au-delà, du bassin d’Apollon, s’ouvre la perspective du grand canal, saisissante de majesté, de sérénité et de simplicité :  celle du grand voyage, le dernier, vers l’infini, là où l’on ne revient pas ? Être lumineux comme le soleil, Apollon, le « sol invictus » ? Ou celle de poursuivre les actions dans le monde mais de l’autre côté du miroir. 
À en observer plus attentivement Apollon sur son char, son regard, détaché du monde extérieur, semble remonter le temps et nous orienter vers cette autre réalité …

(1) Quatrième livre de la Bible qui raconte les évènements entre la sortie d’Égypte et l’arrivée en terre promise

Quelques repères historiques :
. 1623 : Louis XIII achète une propriété avec un pavillon de chasse
. 1631 : construction d’un modeste château
. 1661 : Louis XIV fait réaménager le château et le Jardin
. 1682 : Versailles devient le siège du gouvernement
. Louis XIV : 1638-1715

Architectes : 
. Louis le Vau (1612-1670)
. André Le Nôtre (1613-1700) de 1660 à 1700
 . Charles Le Brun (1619-1690) 1er peintre du roi 
. Jules Hardouin Marsart (1646-1708)

Dominique DUQUET
Formateur en Philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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