Société

« The Tree of Life », un grand message mystique

Conçu comme une épopée cosmique, un hymne à la vie le film «The Tree of Life» de Terrence Malick porte un regard croisé sur la genèse de l’humanité et la jeunesse difficile d’un garçon des années 1950. Un bel hommage à la foi en l’homme et en Dieu.

The Tree of Life
The Tree of Life

Le film de Terrence Malick (1) commence par une citation du Livre de Job (2) : «Où étais-tu quand je fondais la terre ? Dis-le si tu as de l’intelligence. Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu ? Qui a tendu sur elle le cordeau ? Sur quoi ses bases sont-elles appuyées ? Qui en a posé la pierre angulaire, alors que les étoiles du matin éclataient en chants d’allégresse et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie.» Avec des images sublimes, le spectateur, de son fauteuil assiste à la création du monde, puis à la vie de quelques êtres choisis émanant de cette «soupe évolutive».

La naissance du cosmos

Ici l’univers ressemble à un vaste océan, constitué de l’eau qui le forme et de l’air au-dessus de sa surface. «L’espace-temps situé dans l’eau est l’espace-temps de la matière ; et l’espace-temps situé dans l’air est l’espace-temps de l’esprit», rappelle Jean Charon (1) qui, en son temps, fut décrié par les représentants de la pensée scientifique rationaliste. Comme il aurait aimé ce film !

Terrence Malick nous montre de vastes tourbillons d’eau, creusant des cuvettes dans la surface de l’océan : ce sont les étoiles. Plus les grands tourbillons se rétrécissent, plus la rotation est rapide et plus ils creusent le magma comme un maelström. Un nouveau phénomène apparaît, le tourbillon se referme : il devient presque invisible et nous voilà en présence d’un trou noir.

Parti de l’univers, de la fragmentation interne des galaxies, le réalisateur plonge ensuite le spectateur dans de vastes nuages de gaz et de poussières cosmiques qui sont à l’origine de notre système solaire. Qui suis-je ? dit l’être humain qui attarde son regard le soir sous la voûte étoilée. Nous nous surprenons à rêver puis à avoir le vertige quand nous savons que certaines étoiles qui brillent dans nos yeux ne sont déjà plus. Ces lumières d’un autre âge semblent traduire cependant une grande expérience avec laquelle l’humain reste en symbiose au fond de son inconscient. Cette parcelle divine qui vit en nous est en continuelle interaction avec les particules élémentaires formant notre corps et le cosmos.

 

Qui suis-je ? dit l'être humain qui attarde son regard le soir sous la voûte étoilée
Qui suis-je ? dit l’être humain qui attarde son regard le soir sous la voûte étoilée

Les atomes en résonance, de l’univers au microcosme

Ici il est bon de rappeler quelques données de physique. Les atomes sont formés d’un noyau central autour duquel gravitent des particules électrisées : les électrons. L’électron est un véritable micro univers, il possède un temps cyclique qui lui permet – selon Jean Charon – de retrouver les états passés de l’espace qui le constituent. Il est indépendant de la matière. Ces électrons s’attirent et se repoussent en fonction de certaines affinités. Sensible aux théories de scientifiques comme Fridjof Capra, David Böhm et Jean Charon. Terrence Malick montre les correspondances qui existent, selon lui, entre la fonction de l’univers – corps de Dieu – et sa réplique dans le microcosme humain ; à travers les comportements des particules dans le corps humain en résonance avec Lui. C’est pourquoi il lui fallait montrer ce long prélude cosmique, puis les origines de la vie sur terre et la présence des dinosaures. Et ce n’est qu’ensuite, comme un laser venu de l’espace, dans un temps donné – les années 50 aux États-Unis – que nous faisons connaissance avec des êtres à deux pattes, une famille classique : un père autoritaire et humain, une mère pleine de grâce (admirable découverte de Terrence Malick en la personne de Jessica Chastain), et leurs enfants. Un conflit non moins classique se joue entre le père (Brad Pitt) qui veut le succès individuel pour ses trois fils élevés à la dure, et une mère qui souhaite leur inculquer qu’il existe autre chose qu’être fort, travailler et gagner de l’argent. Elle est près d’eux avec toute la force discrète de son amour.

Entre ces deux extrêmes, les garçons font l’apprentissage difficile de la religion et de leur propre personnalité.

Le dualisme familial 

Un évènement tragique vient bouleverser tous les personnages en fonction de leur vécu. Parmi les trois enfants, celui dont la personnalité est la plus complexe (Jack) va également apparaître adulte dans un temps différent (Sous les traits de Sean Penn). Mais les deux temps deviennent parallèles.

La mise en scène de Terrence Malick est d’une incroyable fluidité. La grâce aérienne de Jessica Chastain nous montre que cette femme est en communion constante avec Dieu. Son visage offre une gamme de vibratos qui met à jour les plus subtiles réactions de l’âme dans ce grand oratorio cosmique.

Les choix musicaux participent à ces envolées mystiques qui habitent le film de bout en bout : Toccata et fugue en ré mineur de Jean Sébastien Bach, le Requiem de Berlioz, les barricades mystérieuses de François Couperin, Funeral Canticle de John Tavener.

Au niveau de la narration, Michel Chion (3) note justement qu’elle est décentrée. La voix ne recoupe pas exactement ce que l’on voit à l’image. Elle manifeste une connaissance des faits différente et désaxée par rapport au récit. Tout cela permet à Terrence Malick de naviguer avec élégance et virtuosité dans des temps et des espaces différents. Il met en évidence l’essence même du cinéma que David Wark Griffith (4) avait bien comprise dès les quinze premières années du cinéma.

L’apothéose du film est cette longue scène finale sur la plage où les protagonistes se croisent ; ceux d’ici et maintenant et ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui ou de demain dans une chorégraphie intemporelle baignée d’une lumière qui semble être captée sur une autre terre ; une réplique identique à la nôtre mais cependant distincte. L’animation d’une telle scène me fit penser d’emblée à celle de La terre qui flambe de Friedrich Wilhelm Murnau (5).

Découvrir l’être intérieur

 Terrence Malick pense qu’une œuvre d’art peut provoquer d’infimes mais durables changements dans nos cœurs, réveiller en nous des sentiments cachés dans notre âme et surtout nous inciter à aimer plus. C’est effectivement sa vocation première et pour le créateur son acte le plus noble.

Dans la deuxième partie du XIXe siècle vivait en Nouvelle-Angleterre un grand philosophe très mal connu en France, Henry David Thoreau, qui allait beaucoup influencer Gandhi en Inde. Il célébrait une vie en liaison avec la nature, nous apprenant à nous suffire à nous-mêmes sans contraintes d’aucune sorte dans un élan panthéiste en accord avec les rythmes du cosmos. L’œuvre de cet homme, Walden, va laisser une empreinte profonde dans les films de Terrence Malick.

«Découvrir ce secret profond que chacun porte en soi, auquel la plupart des hommes sont indifférents, mais pourtant qu’il faut connaître. Notre être intérieur est blanc sur la carte de l’univers, il faut explorer cette contrée inconnue. Etre éveillé c’est être vivant. Je n’ai pas rencontré d’homme qui fût tout à fait éveillé. Un seul sur un million est assez éveillé pour un effort intellectuel fécond, un seul sur cent millions pour mener une vie poétique ou divine. »

 

Terrence Malick, réalisateur de The tree of Life
Terrence Malick, réalisateur de The tree of Life

Faire grandir l’humanité

De La balade sauvage (1974) et Les moissons du ciel (1978) à La ligne Rouge (1998) et Le nouveau monde (2005), vingt ans de réflexions séparent ces deux périodes mais elles sont toutes deux habitées par les visions de Henry David Thoreau. Seulement quatre films en quarante ans de création avant The Tree of Life ! Est-il pour autant important de tourner tous les ans comme certains, quand on n’a rien à dire ; seulement la peur de s’ennuyer ? Une œuvre d’art doit être le fruit d’une mûre réflexion sur la vie. Elle doit être exigeante et surtout servir l’humanité, permettre de faire grandir d’autres personnes. Les rencontres spirituelles entre Henry David Thoreau et Terrence Malick me font penser à celles de Maxime Gorki et du cinéaste Mark Donskoï avec ce même élan panthéiste. Dans La ligne rouge, Terrence Malick nous montre que la guerre ne rend pas les hommes nobles, elle en fait des chiens méchants et, pire que tout, elle empoisonne leur âme. Empoisonner l’âme est bien le pire des méfaits que nous subissons dans notre civilisation actuelle car ses effets sont terribles.

Parmi les projets de Terrence Malick il y a le désir d’adapter au théâtre L’intendant Sansho, réalisé pour le cinéma par Kenji Mizoguchi (6) (un de ses chefs-d’œuvre), d’après le livre de Ogai Mori (7). Je pense qu’à travers cette volonté, s’il la réalise, le cinéaste américain trouvera sans doute une belle résonance avec son œuvre : une période terrible de guerre des clans où un être humain qui a vécu les pires vilénies de l’existence va trouver la force de sauver son âme de l’anéantissement dans une belle aspiration vers le haut.

Les préoccupations les plus actuelles de Terrence Malick semblent trouver un prolongement au sujet de The Tree of life dans sa volonté de montrer la naissance et la fin de l’univers : tel est le projet du film Voyage of Time.

Épopée cosmique, genèse de l’humanité, hymne à la vie, l’œuvre de Terrence Malick semble s’inscrire dans une brève histoire du temps.

(1) Réalisateur, scénariste et producteur de cinéma américain
(2) Livre de l’Ancien Testament
(3) Compositeur de musique concrète, réalisateur, enseignant et critique de cinéma
(4) Réalisateur américain (1875-1945), fondateur du premier studio de cinéma indépendant, United Artists, avec Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks et Mary Pickford
(5) Friedrich Wilhelm Murnau, nom d’artiste de Friedrich Wilhelm Plumpe (1888 – 1931) réalisateur allemand, maître du cinéma expressionniste allemand
(6) Réalisateur japonais (1898-1956)
(7) Pseudonyme de Rintaro Mori (1862-1922), célèbre écrivain japonais de l’ère Meiji

Par Lionel TARDIF

The tree of life (l’arbre de vie)
Film réalisé par Terrence Malick, sorti en mai 2011 au Festival de Cannes. Il obtint la Palme d’Or. Terrence Malick a été consacré meilleur réalisateur par la Los Angeles Film critics association

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