L’école de la République : retour aux sources
Qui dit école de la République pense généralement à l’école de Jules Ferry (1). On imagine les petits écoliers, cartable et blouse noire, en rang, attendant que leur institutrice leur ouvre la porte de la salle de classe. C’est le début de la IIIe République, à la fin d’un XIXe siècle marqué par le triomphe de l’industrie et de la science.
Si, en 1882, l’école est devenue laïque et obligatoire, c’est parce que les principes de la Révolution française de 1789, en énonçant les droits de l’homme et du citoyen, mettent à l’honneur l’individu. Pour que les hommes deviennent capables de participer à la vie publique, il fallait qu’ils soient suffisamment instruits, d’où l’urgence à mettre en place une forme nouvelle d’éducation éclairée par les lumières de la raison, destinée à tous, dont nous sommes les héritiers.
L’éducation morale, une voie pour faire naître l’humain
Dans sa Lettre aux instituteurs, Jules Ferry invite les futurs maîtres à une réflexion sur l’éducation morale, qui a pour but de développer dans l’homme, l’homme lui-même. « Car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité (2). »
Il tient son inspiration des réflexions de l’époque sur la laïcité et sur la morale, publiées en 1887 dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, bible de la pensée républicaine (3). Ses auteurs plaident pour une éducation non seulement intellectuelle, mais surtout morale : « En même temps que l’État élève les esprits, il doit élever les âmes, et cela dans les deux sens du mot, à savoir : donner l’éducation et diriger vers le haut les âmes que la nature entraîne vers le bas. […] Et la loi qui nous prescrit de sacrifier ou de subordonner ce qui est plat et vulgaire à ce qui est généreux, noble et délicat, c’est ce qu’on appelle le devoir. […] D’un autre côté, cette morale du devoir pur, du devoir strict, n’exclut nullement, et même appelle comme son complément la morale du dévouement (4). »
Une morale laïque
Dans une perspective d’ouverture, l’école était vouée à remplacer l’Église dans l’éducation des hommes. Désormais, chaque enfant détiendrait les clés lui permettant d’interroger les principes et règles prescrites par la religion. Une éducation rationnelle et morale fondée sur une religiosité universelle, le devoir et le dévouement comme figure de proue, telle était la vision des premiers républicains.
Dans le respect de la dignité humaine, il s’agissait d’éduquer chacun à remplir ses devoirs envers soi-même et autrui, envers la Patrie et envers Dieu (5), non par la contrainte mais de sa propre volonté, parce que la conscience individuelle éclairée, comme le cœur humain s’il n’est pas obscurci, sait reconnaître sa propre dignité et celle des autres : « À l’école primaire surtout, ce n’est pas une science, c’est un art, l’art d’incliner la volonté libre vers le bien (6)».
Pour dépasser la bienséance ou la politesse formelle, pour comprendre que « je dois prendre soin de moi-même » et que « je dois respecter les autres » sont des lois inscrites dans la nature humaine, il faut les comprendre avec le cœur. Pour développer la vraie conscience morale, il faut dépasser la seule raison, et agir à l’endroit où naît la volonté elle-même.
Trouver sa juste place au service d’une finalité universelle
C’est vers l’art (7) et la nature qu’il représente, que les philosophes se tournent pour exprimer ce qu’est pour eux le sentiment moral. Dans une œuvre d’art, c’est le mouvement harmonieux des différentes parties avec l’ensemble qui fait naître en nous l’émerveillement. De même que chaque instrument dans un orchestre a une place dans un ensemble qui lui est supérieur, et qu’ainsi naît l’harmonie de l’œuvre, la conscience humaine d’abord individuelle, doit apprendre à s’étendre, d’elle-même aux autres, des autres à l’universel, afin de voir la beauté de ce grand tout, et y trouver sa juste place.
Développer ce qu’ils appellent le sentiment de l’universel, dans l’art et dans la nature, c’est retrouver un sentiment d’appartenance à un infini qui nous dépasse. Il n’est plus question ici de la communication de l’âme à un être transcendant, mais de sa communion avec la nature tout entière. Le sentiment du divin consiste à trouver dans l’expérience pratique « l’unité vivante qui se dégage sous l’apparente multiplicité des formes particulières (8) », pour faire coïncider notre propre finalité avec une finalité universelle.
On comprend ainsi autrement les implications, pour notre société, de la pensée au fondement de la France moderne : l’idéal qui nous vient de la Révolution est bien celui de l’individu. Mais c’est un tout autre individu que celui que cherche à nous vendre le récit moderne de l’individualisme. La philosophie des fondateurs de l’école républicaine nous invite à étendre notre champ de conscience pour nous mettre au service, des autres, de notre cité, de notre pays. Dans cette lecture, la modernité, loin de marquer le rejet de la formation des âmes, est synonyme d’espoir. Elle marque la reconnaissance d’une appartenance à une réalité invisible qui nous unit, et l’existence d’un potentiel individuel, que l’éducation doit révéler et qu’il appartient ensuite à chacun, pratiquant dans une constante vigilance, de mettre au service de l’ensemble.
(1) Plusieurs fois ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts entre 1879 et 1883, il est l’auteur des lois restaurant l’instruction obligatoire et gratuite
(2) Jules FERRY, Lettre aux instituteurs, Paris, 17 novembre 1883
(3) Ferdinand Buisson, qui en a dirigé la rédaction, a été directeur de l’Enseignement primaire de 1879 à 1896. En 1905, il préside la commission parlementaire chargée de mettre en œuvre la loi de séparation des Églises et de l’État. Il est connu pour son combat en faveur d’un enseignement laïque
(4) Ferdinand BUISSON, « Morale », in F. BUISSON, op. cité, page 1969
(5) La référence à Dieu sera réduite mais ne sera pas supprimée de la seconde édition du dictionnaire, en 1911, après la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905
(6) F. BUISSON, « Laïcité », in F. BUISSON, Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, Partie 1, page 1472
(7) Le dessin et la musique sont au programme de l’enseignement primaire depuis la loi de 1882
(8) Jean Delvolvé, philosophe et enseignant de pédagogie et de philosophie morale, Rationalisme et tradition, Félix Alcan, Paris, 1911, page 144
Par Margaux NOVELLI
Comment ça va l’école ?
par Francine RAYMOND
Don Quichotte éditions, 2015, 224 pages, 18 €
Francine Raymond est journaliste et cet ouvrage est consacré à ses réflexions sur l’école qu’elle a fréquentée en tant que parent d’élèves pendant vingt ans, étant mère de deux filles dont la dernière vient de décrocher le baccalauréat ! Elle exprime ses reproches et tire des enseignements sur ce qui est à proscrire comme le positionnement élitiste de la machine à exclure mais aussi sur ce qui est à promouvoir comme des pédagogues enthousiastes qui donnent le goût d’apprendre à nos enfants.
Nous sommes tous des exceptions
par Ahmed DRAMÉ
Éditions Fayard, 2014, 172 pages, 15 €
Récit-témoignage de l’histoire d’Ahmed Dramé : jeune noir d’une banlieue déshéritée, mère malienne, femme de ménage qui élève seule ses 5 enfants. En seconde au lycée Léon Blum de Créteil, Mme Anglès leur professeur d’« Histoire des arts » inscrit les élèves de cette classe difficile au Concours national de la Résistance et de la Déportation ; on assiste à la transformation des élèves, lesquels passent d’un individualisme à une prise de conscience, le témoignage de Léon Zygel, rescapé d’Auschwitz les ayant bouleversés. La suite, on la connaît : la classe est lauréate du concours, Ahmed Dramé écrit ce livre, dont est tiré le film Les héritiers, réussit le bac, devient l’acteur du film et obtient le César 2015 du meilleur espoir masculin. Un vrai conte de fée moderne !
Les neurosciences cognitives dans la classe
Guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques
par collectif
Préface d’Olivier HOUDÉ
Éditions ESF Sciences humaines, 2018, 272 pages, 24 €
Ce livre explique les apports des neurosciences cognitives dans l’apprentissage à l’école. Les auteurs, des experts issus du monde enseignant et des neurosciences, ont conduit de nombreuses expérimentations de la maternelle à l’université pour explorer le fonctionnement cognitif à l’école dans de nombreux domaines : mémorisation, compréhension, attention et fonctions exécutives, implication active. Plus de 80 fiches opérationnelles regroupent : les objectifs officiels sur les apprentissages ; les éléments scientifiques qui fondent les pistes pédagogiques préconisées ; les pistes pédagogiques associées à des conseils pour leur mise en œuvre ; la description d’outils numériques adaptés ; des témoignages des acteurs du terrain.