Arts

Rodin, comment être Égyptien Exposition « Rêve d’Egypte » au Musée Rodin

« La beauté éveille le cœur à l’amour et hors l’amour rien ne vaut. »
Rodin


« Ces Égyptiens travaillaient pour toujours ». Fasciné par la simplicité des formes qui atteint l’essentiel tout en transmettant la vie, Rodin s’en inspira et son œuvre en fut imprégnée, devenant un des maîtres de la transformation de l’art moderne.

Imaginons un instant, Rodin, ce géant bienveillant recevant ses visiteurs à Meudon et ouvrant une des vitrines remplies des antiques, ses frères d’âme. Il sort avec soin un épervier égyptien qu’il tient dans ses mains, caresse délicatement ses formes, en suivant les lignes essentielles dont il dégage la simplicité, l’unité et la splendeur tout en expliquant que cet oiseau porte en lui l’essence même de son espèce et qu’à n’importe quel moment il pourrait se mettre à voler et il tournoie en élevant l’oiseau pour évoquer cet envol.

Le secret de l’art égyptien

Que voyait-il dans les œuvres égyptiennes ? « L’art égyptien ne parvient à la simplicité suprême que par une accumulation prodigieuse d’observations faites d’après nature. Sous la ligne définitive, on sent encore tous les tressaillements de la réalité, mais ils sont fondus dans le jet majestueux de l’ensemble. En un mot cet art est grand et vivant à la fois. » (1) 
Devant un scarabée égyptien, dont il ignore la signification symbolique en tant que Khépri, de la force de devenir, d’éveil de la lumière à l’aube et aussi du disciple en transformation, il aura l’intuition suivante : « Les Égyptiens en symbolisant l’éternité dans cet animal ont certainement soupçonné dans sa forme une posture d’adoration. » (2) 

La fascination pour l’Égypte

Tout au cours du XIXe siècle, à partir de l’expédition de Bonaparte en Égypte suivie par des découvertes archéologiques plus remarquables les unes que les autres, on voit se développer en Europe une véritable égyptomanie. Le Musée du Louvre avec ses collections égyptiennes, les Expositions Universelles avec leurs pavillons exotiques, les nombreux voyages des aventuriers, des chercheurs et de commerçants ainsi que les premières images photographiques permettent de diffuser largement la connaissance des œuvres.
Rodin ne sera jamais un spécialiste, n’ira jamais en Égypte et aura peu de livres d’égyptologie chez lui, mais par ses amis et ses relations, il commence une collection d’art égyptien, après s’être initié et intéressé par l’art gréco-romain. Il rassembla entre 1893 et 1917 une collection de plus de huit cents objets égyptiens sur les six mille quatre cents de sa collection.
Il s’inventa une antiquité rêvée, à sa mesure, peuplée de figures de Memnon et autres colosses qu’il découvrait au fil des albums de sa bibliothèque. 
Au début, il achète de petits objets qu’il expose dans différents espaces de la Villa de Brillants à Meudon, mélangés à ses œuvres et parfois devenant même des œuvres mixtes. Mais, à partir de 1910, il décide d’acheter des œuvres majeures issues des chantiers de fouilles. Son intention étant de créer un futur musée à l’hôtel Biron pour l’éducation des jeunes artistes.

Dialogue entre artistes par-delà les siècles

Dans certaines de ces œuvres, présentées à l’exposition, on perçoit clairement le dialogue avec la statuaire égyptienne. Ainsi, sa statue de La Pensée, où une tête féminine émerge d’un grand cube brut n’est pas sans rappeler les statues cubes du Nouvel Empire. Le torse de Nectanebo Ier est comparé avec un plâtre de Jeune femme cambrée. Dans d’autres cas, de petites statuettes sont posées sur des vases antiques qui deviennent socle stable d’une figure humaine en fragile équilibre. Et lorsqu’il réalise son Monument à Balzac, il habille l’écrivain dans une sorte de sarcophage intime et sacré. Il déplorait que l’œuvre ait été refusée par ses commanditaires, la Société des gens de lettres : « on n’a pas voulu voir mon désir de monter cette statue comme un Memnon, comme un colosse égyptien. »
« Cette exposition évoque la résonance de l’art égyptien dans l’œuvre de Rodin, à travers ses recherches sur la représentation du corps humain, la simplification des formes, le fragment ou la monumentalité. Il s’agit plus pour le sculpteur d’« être égyptien » que d’être inspiré par l’art égyptien (3).  

À la découverte des sources profondes de la modernité

L’exposition met aussi en valeur les sources profondes de la modernité. Car Bourdelle admirait également la force barbare de l’art pharaonique. Maillol, Lipchitz, Brancusi, Picasso, Matisse et tant d’autres ont également retenu la leçon d’aller puiser l’eau la plus pure d’Alexandrie à Assouan, voire bien plus au sud, pour étancher leur propre soif de nouveau (4).

De l’exposition temporaire à la publication permanente de la collection

C’est une exposition remarquable, pédagogique et lumineuse qui permet de rapprocher des temps très éloignés de l’histoire dans un même souci de parvenir à toucher et exprimer la quintessence de l’humain et de la nature. Y sont exposés plus de 400 objets, mêlant collection et œuvres d’Auguste Rodin, sculptures et dessins, ainsi que des archives photographiques pour mettre en contexte, ses « amis de la dernière heure » comme l’artiste aimait à appeler les antiques qu’il chérissait.
À souligner le travail acharné et persévérant de Bénédicte Garnier, responsable de la collection d’antiques de Rodin et commissaire de l’exposition qui a mis en place la publication en ligne de la collection égyptienne d’Auguste Rodin en libre accès et présentée de façon remarquable avec l’appui de nombreuses institutions (5). 

Pour conclure, méditons à cette pensée de Rodin, placée en exergue mais qui se finit ainsi : « La beauté éveille le cœur à l’amour, et hors l’amour rien ne vaut. Mais on n’enseigne plus l’amour »… Et si la beauté nous permettait de redécouvrir ce qu’est le véritable amour ?

(1) Paul Gsell, Chez RodinL’Art et les artistes, Revue d’art des deux mondes, n°23, février 1907, pages 395-396
(2) Paul Gsell, Propos de Rodin sur l’Art et les ArtistesLa Revue, Paris, n° 21, novembre 1907, pages 99-100
(3) Sous la direction de Nathalie Lienhard et Bénédicte Garnier, Rodin et l’art égyptien, dans le site du Musée Rodin : http://egypte.musee-rodin.fr/
(4Eric Biétry Rivierre, Rodin, pharaon de la sculpture, Le Figaro, 2 janvier 2023
(5) Centre de Recherche égyptologique de la Sorbonne, Centre de recherche et de restauration des musées de France, le musée du Louvre et de l’Université Paris-Nanterre avec le soutien du Ministère de la Culture – La collection égyptienne est en accès libre sur le site  http://egypte.musee-rodin.fr/fr/collections)
Exposition Rêve d’Égypte jusqu’au 5 mars 2023
Musée Rodin
77, rue Varennes – 75007 Paris
Tel : 01 44 18 61 10
https://www.musee-rodin.fr/musee/expositions/reve-degypte
Catalogue In fine, 192 pages, 35 €
Laura WINCKLER
Co-fondatrice de Nouvelle Acropole en France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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