Sri Aurobindo ou l’évolution future de l’humanité
Après avoir évoqué la jeunesse de Sri Aurobindo et ses premiers pas dans la vie spirituelle ainsi que sa rencontre avec Mirra Richard, Lionel Tardif, cinéaste, historien, enseignant du langage du cinéma, metteur en scène et écrivain, aborde aujourd’hui la vie de Sri Aurobindo et de la Mère dans l’ashram.
La rencontre de Sri Aurobindo avec le Yogi Vishnu Bhâskar Lélé fut le début d’une expérience spirituelle qu’il mena jusqu’à sa mort, dans le but de préparer l’humanité à une évolution, celle d’être capable de recevoir ce que Sri Aurobindo appellera le Supramental (1) et la Conscience supérieure divinatrice de l’Univers
La Shakti
Qu’est-ce que la Shakti ? La force spirituelle, et en même temps une énergie cosmique divine qui projette, maintient et dissout l’univers confirma Swami Muktananda (2). Cette force là vient de loin, de très loin. Les anciens Rishis (3), ces sages à qui les Vedas (4) et d’autres textes sacrés furent révélés savaient l’utiliser. Ils parlaient des pères des hommes qui forgeaient les Dieux en eux, comme le forgeron sur son enclume. Ceux qui disaient cela vivaient il y a presque sept mille ans. Ils transmettaient non seulement leur propre expérience mais celle de leurs ancêtres ou comme il est dit aussi «des pères des hommes». Cela fait combien de millénaires ? Ces expériences étaient répétées de génération en génération sans une faute, sans omettre la moindre diérèse, puisque l’efficacité du Mantra (5) tenait précisément à l’exactitude de sa répétition. Nous sommes là devant la plus ancienne tradition du monde intacte.
Une nouvelle interprétation des «Védas»
C’est à Pondichéry, les quatre années avant l’arrivée de Mirra, que Sri Aurobindo put se pencher sur une ascèse silencieuse accompagnée de l’étude du Rig Veda (6), le premier des Védas dont il récitait les hymnes pour accompagner l’offrande de libations adressées aux divinités cosmiques. Il prit directement contact avec une veine continue de l’or le plus riche, tant par la pensée que par l’expérience spirituelle. Il fut soulagé d’apprendre que la lumière claire et précise des strophes védiques révélait un nombre de ses propres expériences.
Que Sri Aurobindo ait trouvé le Secret du début de notre cycle humain n’est pas dépourvu de signification. Erronées, simplistes, ou falsifiées à dessein, les interprétations des Védas par des exégètes indiens et occidentaux scolastiques, matérialistes, ou politiciens consternait le Maître de Pondichéry comme on l’appelait, lui qui relisait ces versets hautement édifiants et poétiques dans l’original.
À Pondichéry, en apprenant le tamoul (langue prétendue dravidienne) et en la situant sur une échelle comparative de sanskrit – grec – latin, il démontra qu’elle relevait d’un stade donné de la même famille de langue. Il en déduisait que par âryen on ne doit pas désigner une ethnie mais au contraire une phase de développement socio-culturel dans l’histoire de l’espèce humaine.
C’est en 1914 qu’il lança la fameuse revue philosophique Arya, qui parut dès le 15 août.Un peu avant, Sri Aurobindo avait annoncé à Richard l’éminence d’une guerre mondiale pour le mois d’août.
En 1915, Mirra repartit pour la France à cause de la guerre avec son mari, mobilisé. En 1916, Richard se fera réformer et avec son épouse ils partirent pour le Japon. N’ayant plus Mirra à ses côtés, Aurobindo continua seul sa revue Arya. À sa lecture, Romain Roland exprima son admiration : «Une revue de la plus haute importance».
Le dix-sept décembre 1918, Mrinalini mourut d’une grippe virulente alors qu’elle s’apprêtait à venir le rejoindre à Pondichéry. Sri Aurobindo dira à son beau-père : «Le seul chagrin qui saurait encore me toucher droit au cœur, m’a été servi par le Divin. Maintenant le premier choc de cette douleur irréparable passé, je peux encaisser sa sentence la tête baissée. Je suis incapable de cesser d’aimer, là où j’ai placé une fois mon amour. De surcroît, celle qui en est la cause, bien que l’œil physique ne puisse la percevoir reste à notre proximité»
La Mère
Rentrée du Japon le 24 avril 1920, Mirra restera définitivement à l’ashram de Pondichéry. Richard disparaîtra peu après. Sri Aurobindo la salua comme la personnification de l’Énergie Divine, Shakti, indispensable à toute recherche spirituelle. Ainsi, avec l’approbation, et à l’instar de Sri Aurobindo, les disciples l’appelleront désormais La Mère.
Le Maître de Pondichéry aimait mettre à l’épreuve les lois naturelles de repos, de sommeil, de nourriture. Huit heures par jour, durant des années, il marchait d’un bout à l’autre du couloir de l’ashram en méditant sur la descente de la lumière dans la matière. Toute la nuit, jusqu’au petit matin, il aimait écrire. Il ne dormait qu’une nuit sur trois. Il travaillait sur le Supramental. Sri Aurobindo appelait Supramental ou gnose le dynamisme supérieur de l’existence spirituelle. Le Supramental est la parfaite conscience de vérité où il ne peut y avoir de place pour le principe de division et d’ignorance. Son caractère fondamental est la connaissance par identité.
La vie dans l’ashram
En janvier 1921, Aurobindo arrête sa revue ; et en octobre 1929 avec Mère il quitte le pour s’installer au 9, rue de la marine, qui est le bâtiment actuel de l’ashram. Dès cette date et jusqu’en 1926, c’est la période des «entretiens du soir», et le 24 novembre de la même année, Sri Aurobindo se retira pour continuer son travail cellulaire et ce, définitivement. Cette période fut la fondation officielle de l’ashram et dès le 8 février 1927, il s’installa dans le bâtiment de l’Est, la chambre qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort. À partir de cette date, c’est Mère seule qui géra entièrement l’ashram.
En janvier 1921, Aurobindo arrête sa revue l’Arya ; et en octobre 1929 avec Mère il quitte le guest house pour s’installer au 9, rue de la marine, qui est le bâtiment actuel de l’ashram. Dès cette date et jusqu’en 1926, c’est la période des «entretiens du soir», et le 24 novembre de la même année, Sri Aurobindo se retira pour continuer son travail cellulaire et ce, définitivement. Cette période fut la fondation officielle de l’ashram et dès le 8 février 1927, il s’installa dans le bâtiment de l’Est, la chambre qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort. À partir de cette date, c’est Mère seule qui géra entièrement l’ashram.
Fait étonnant, un vieil archéologue de Pondichéry disait que c’était en ce lieu même que le rishi védique Agastya venu du Nord, comme Sri Aurobindo, avec son épouse Lopamoudra, il y a sept mille ans, avait installé son ashram. Le lieu s’appelait Veda Pouri, la ville du Veda. C’est dans le périmètre autour du 9, rue de la marine que les premières retraites de ceux qui furent les premiers rishis à parler du «soleil de vérité sous le roc de la montagne» eurent lieu. La vérité au fond de la matière, la divinisation du corps.
Mère créa une vie de toute pièce à l’ashram : une boulangerie, une blanchisserie, le cordonnier, un atelier mécanique, des jardins pour les légumes et les fleurs. L’ashram s’étendit dans plusieurs quartiers de la ville blanche. Il y avait des terrains de sport : football, tennis, athlétisme. Mère aimait beaucoup jouer au tennis. Il y avait aussi la fabrication des médicaments ayurvédiques avec sa pharmacie. En passant à l’ashram, j’ai personnellement vu des femmes en train de concasser des décoctions de toute sorte en chantant des mantras pour les charger.
En 1930, vingt-et-une maisons avaient été acquises sur des dons, puis il y eut aussi d’autres financements grâce aux activités de l’ashram. Le personnel salarié était d’environ 60 personnes et les membres permanents variaient entre 80 et 100 personnes. L’ashram se développa encore : cinq voitures furent achetées, des bicyclettes, des machines à coudre et machines à écrire, de nombreux garages se développèrent, services électriques, de construction, ateliers de couture, services de photographie, laiterie, magasins généraux et une énorme bibliothèque. En 1950, ils furent près de 750 résidents. Mère gérait l’ensemble.
À cette époque, Purani (7) témoigna d’une méditation avec Sri Aurobindo et Mère, qui dura quarante cinq minutes. Toute l’atmosphère était surchargée comme d’une énergie électrique. «Il était certain qu’une Conscience Supérieure était descendue sur la Terre». Ce poème jaillit :
«Toutes mes cellules vibrent, balayées d’une marée splendide
Dense comme une pierre, fixe comme une colline ou une statue,
Mon vaste corps éprouve et porte le poids du monde
Terrible, l’énorme descente Divine pénètre des membres qui sont mortels,
Le monde entier est changé en une unité simple.»
Purani le vieux disciple témoigna encore : «Quand la Conscience Supérieure descend au niveau du mental, puis dans le vital et même au-dessous du vital, une grande transformation se produit dans le système nerveux et même dans l’être physique».
«Le mental, nous dit le docteur Jacques Vigne (8), est un pendule qui oscille indéfiniment dans un espace à trois dimensions : la peur, la colère et le désir».
Par Lionel TARDIF
(1) Connaissance directe de la vérité aujourd’hui connaissable indirectement et partiellement par l’intelligence mentale ; conscience de vérité par laquelle le Divin connaît non seulement sa propre essence et son être propre, mais aussi sa manifestation
(2) De Mukti, libération, délivrance, et ananda, félicité, béatitude, également appelé Baba par ses disciples, maître hindou (1908-1982), disciple de Bhagawan Nityananda. Il enseigna le Siddha Yoga (pratique spirituelle issue de l’hindouisme et visant à réaliser la présence de la divinité en soi et dans la création). Il a acquis une certaine renommée en Occident dans les années 1970
(3) Sages indiens
(4) En sanskrit «vision» ou «connaissance», ensemble de textes qui auraient été révélés oralement aux Rishis (sages indiens) de brahmane à brahmane, au sein du védisme, du brahmamisme et de l’hindouisme
(5) Dans l’hindouisme et le bouddhisme, mot sanskrit désignant ne formule condensée formée d’une ou d’une série de syllabes répétées de nombreuses fois suivant un certain rythme
(6) Ensemble d’hymnes (sūkta) sacrés de l’Inde, composés en langue sanskrite langue indo-européenne). Le Rig Véda fait partie des quatre grands textes canoniques (Sruti) de l’hindouisme ou Véda. C’est l’un des plus anciens textes dont la composition remonte entre 1500 et 900 av. J.-C.
(7) Activiste nationaliste qui a rejoint l’ashram de Sri Aurobindo de 1938 à 1950
(8) Médecin psychiatre et essayiste français vivant en inde, étudiant les rapports entre le corps, l’esprit et l’âme, auteur de nombreux ouvrages traitant de spiritualité
Œuvres de Sri Aurobindo
– Le guide du Yoga, Éditions Albin Michel, collection Pocket, 2007, 275 pages
– Yoga de la Bhagavad Gîta, Éditions Sand, 1984, 436 pages
– Le Yoga intégral, Éditions Sri Aurobindo Ashram, 2002, 448 pages
– La Synthèse des Yoga aux éditions Buchet/Chastel
- Tome 1 : Le Yoga des œuvres, 1972, 448 pages
- Tome 2 : Le Yoga de la connaissance intégrale, 1972 ,507 pages
- Tome 3 : Le Yoga de l’amour divin, 1972, 492 pages
– Le Cycle humain, Éditions Buchet-Chastel, 1973, 429 pages
– La manifestation supramentale sur la Terre, Éditions Buchet/Chastel, 1974, 168 pages
– La vie divine, 4 volumes, Éditions Albin Michel, 1973
– Savitri, Institut de Recherches évolutives, 1996