Éducation

Simone Weil, éduquer aux besoins de l’âme

Plus les crises sont profondes, plus les solutions réclament une pensée exigeante, courageuse, et tournée vers la vérité.

Ce que proposait Simone Weil, pour reconstruire moralement une France effondrée au sortir de la 2èmeGuerre mondiale, est aujourd’hui exactement ce dont nous avons besoin pour éduquer à la transition : une éducation aux « besoins de l’âme », une éducation aux « obligations envers les hommes » et non seulement aux « droits de l’homme ».

Insuffler une inspiration à un peuple

Simone Weil propose une pensée exigeante, courageuse, et tournée vers la vérité.
Simone Weil propose une pensée exigeante, courageuse, et tournée vers la vérité.

Dans son ouvrage L’enracinement (1) qu’elle rédige à Londres dans les premiers mois de l’année 1943, à la fin de sa courte et fulgurante vie, la philosophe Simone Weil (1909 – 1943) pose un problème central : comment insuffler une inspiration à un peuple ? Elle travaille alors pour le Cabinet du Général de Gaulle en exil à Londres, qui confie à cette jeune philosophe une réflexion pour un projet politique renouvelé (2), afin de repenser une nouvelle déclaration des droits de l’homme et de poser les bases d’une nouvelle constitution pour la France à la Libération, après le désastre et l’effondrement physique et moral que venaient de subir la France et toute l’Europe.
L’enracinement fut publié après sa mort en 1949 par Albert Camus, qui, après l’avoir lu, déclara : « Il me paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies dans L’Enracinement. »

Alors, quelles sont ces exigences philosophiques et morales que Simone Weil définit comme devant être les fondements mêmes d’une renaissance de la civilisation, précédant toutes considérations juridiques, politiques et a fortiori économiques, qui devront ensuite, mais seulement ensuite, être posées ?

Les besoins de l’âme

Pour élaborer un projet politique et éducatif, l’action publique étant, selon elle, le mode d’éducation d’un pays, « la première étude à faire est celle des besoins qui sont à la vie de l’âme ce que sont pour la vie du corps les besoins de nourriture, de sommeil et de chaleur. […] L’absence d’une telle étude force les gouvernements, quand ils ont de bonnes intentions, à s’agiter au hasard. » (3)

Simone Weil a défini trois besoins fondamentaux de l’âme.

Le premier de tous les besoins de l’âme est l’ordre, celui qui est le plus proche de sa destinée éternelle, « c’est-à-dire un tissu de relations sociales, tel que nul ne soit contraint de violer des obligations rigoureuses pour exécuter d’autres obligations ». Le besoin d’ordre est un besoin de cohérence, d’inclusion et d’harmonisation.
La vérité, c’est le besoin le plus sacré, celui qui protège l’homme contre la suggestion, la manipulation et l’erreur. « On n’a pas le droit de donner à manger du faux ». Pour être le plus près possible de la vérité, il faut développer l’impartialité, s’interdire tout parti-pris, être authentique. Mais il faut avant tout apprendre à aimer la vérité et cet apprentissage est autant spirituel qu’intellectuel. « Il n’y a aucune possibilité de satisfaire chez un peuple le besoin de vérité, si l’on ne peut trouver des hommes qui aiment la vérité. » (4)
L’enracinement, le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine, « L’âme humaine a besoin par-dessus tout d’être enracinée dans plusieurs milieux naturels et de communiquer avec l’univers à travers eux. La patrie, les milieux définis par la langue, par la culture, par un passé historique commun, la profession, la localité, sont des exemples de milieux naturels. Est criminel tout ce qui a pour effet de déraciner un être humain ou d’empêcher qu’il ne prenne racine. » (5)

Simone Weil travaille alors pour le Cabinet du Général de Gaulle en exil à Londres, qui confie à cette jeune philosophe une réflexion pour un projet politique renouvelé.
Simone Weil travaille alors pour le Cabinet du Général de Gaulle en exil à Londres, qui confie à cette jeune philosophe une réflexion pour un projet politique renouvelé.

Les autres besoins de l’âme qu’elle définit, peuvent être ordonnés en couples d’opposés qui s’équilibrent et se complètent.
L’âme humaine a besoin d’égalité, car chacun mérite la même quantité de respect et d’égards et a besoin de hiérarchie, comme expression du dévouement portée à des supérieurs, conscients d’être des symboles, « pour amener chacun à s’installer moralement dans la place qu’il occupe ».
Elle a besoin d’obéissance, dont le fondement est le consentement moral, et non la crainte d’un châtiment ou l’appât de la récompense, et a besoin de liberté de penser et de choisir et d’agir.
L’âme humaine a besoin, d’une part de solitude et d’intimité, d’autre part de vie sociale.
Elle a besoin de propriété personnelle et collective.
L’âme humaine a besoin d’honneur, de reconnaissance, de prestige social,  toute oppression étant une atteinte à l’honneur et a besoin de châtiment, le châtiment étant le seul moyen de témoigner du respect à celui qui s’est mis hors la loi, et de le réintégrer dans la considération sociale.
Elle a besoin de participation disciplinée à une tache commune d’utilité publique, et elle a besoin d’initiative personnelle dans cette participation.
L’âme humaine a besoin de sécurité et de risque. La peur de la violence, de la faim, ou de tout autre mal extrême, est une maladie de l’âme. L’ennui causé par l’absence de tout risque est aussi une maladie de l’âme.

« Les besoins d’un être humain sont sacrés. Leur satisfaction ne peut être subordonnée ni à la Raison d’État, ni à aucune considération soit d’argent, soit de nationalité, soit de race, soit de couleur, ni à la valeur morale ou autre attribuée à la personne considérée, ni à aucune condition quelle qu’elle soit. » (6)
Pour tous les philosophes citoyens engagés dans la construction d’un monde meilleur, il est important de comprendre que les besoins de l’âme doivent guider les nouvelles formes éducatives et les nouvelles formes d’action qui se mettent en place à l’heure actuelle. Si nous le faisons, c’est certain que peu à peu nos vies et nos sociétés vont commencer à respirer un autre air.

« On reconnaît dans une société que les besoins de l’âme sont satisfaits par un épanouissement de fraternité, de joie, de beauté, de bonheur. Là où il y a repliement sur soi, tristesse, laideur, il y a des privations à guérir. »

(1) L’enracinement, Simone Weil, Éditions Gallimard-Collection Folio 2007, 380 pages
(2) Lire Écrits de Londres et dernières lettres, Simone Weil, Éditions Gallimard, 1957
(3) L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Simone Weil, Éditions Flammarion, 2014, 468 pages, page 17
(4) Ibidem, page 57
(5) Ibidem, page 61
(6) Ibidem, pages 398-399
Article paru dans le Hors-série N°8 Éduquer à la transition, édité en 2018
Par Françoise BECHET

 

Paru

 Hors-série N° 8
Revue Acropolis, septembre 2018, 6,50 €

Éduquer à la Transition

Nous vivons dans un moment de transition. Le monde vit de grands changements, favorisés par des découvertes extraordinaires dans tous les domaines et en même temps, d’un point de vue culturel, politique, et moral, notre monde est en crise et les modèles existants sont impuissants à renouveler nos sociétés. De nombreuses initiatives surgissent partout dans le monde, offrant des solutions alternatives, pour transformer durablement notre manière de vivre et d’agir, qui nécessitent de changer de paradigme et de réviser en profondeur nos modes de pensée et nos valeurs. La clé pour accompagner cette transition réside dans l’éducation : une éducation permanente et intégrale, pour une évolution et un développement permanents des potentialités humaines. Se changer soi-même pour changer le monde, redonner à l’être humain sa dignité, sa légitimité et lui permettre

 

 

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