Sciences

Saint Luc de Crimée, « L’Esprit, l’âme et le corps »

Nous vous invitons à découvrir Luc de Crimée, un saint orthodoxe du XXe siècle, qui a eu une vie extraordinaire et écrit un essai passionnant et inspirateur, « L’Esprit, l’âme et le corps » (1).

Valentin Félixovitch Voïno-Iasenetsky est né en 1877 en Crimée dans une famille aisée et cultivée. Il fait des études de médecine pour venir en aide aux pauvres, aux paysans démunis. À 27 ans, pendant la guerre russo-japonaise, il dirige le service de chirurgie d’un hôpital de Sibérie puis, après cette guerre, pendant 13 ans, il va accomplir sa vocation de médecin de campagne.
Ensuite, de 1917 à 1923, il est médecin-chef du grand hôpital municipal de Tachkent en Ouzbekistan. Là comme ailleurs en Russie, il y a la guerre civile à la suite de la révolution bolchévique.

Valentin avait fait preuve d’un attrait précoce pour la philosophie et la théologie, et d’un profond attachement à l’Évangile. Il se met à fréquenter les offices. L’évêque de Tachkent lui demande de devenir prêtre et il est ordonné en 1921. L’évêque, violemment contesté par le pouvoir bolchévique, doit s’exiler en 1923 et le père Valentin lui succède et reçoit le nom de l’apôtre Luc, médecin.

Persécution et réhabilitation

Étant lui-même contesté, il est mis en prison puis est déporté en Sibérie. De 1923 à 1943, il alterne arrestations et exils en Sibérie, retours en grâce et activités médicales, car c’est un chirurgien hors pair. Avec un courage indomptable, il ne cède jamais sur les questions de foi et les affaires de l’Église. 
Au début de la Seconde Guerre mondiale, il propose d’aller soigner les blessés sur le front et de repartir en exil à la fin de la guerre. Il vit un retour en grâce pendant la guerre où il est très sollicité et même gratifié de plusieurs décorations. En 1942 il est élevé au rang d’archevêque.
En 1946 il obtient le prix Staline pour ses travaux de médecine. La même année, il est transféré au siège de l’archevêché de Crimée.
Devenu totalement aveugle en 1955, il est contraint d’abandonner la chirurgie, mais il continue de recevoir des malades et de poser des diagnostics qui se révèlent exacts. 

Les archives, ouvertes après la chute de l’U.R.S.S., montrent que la surveillance et les brimades se poursuivirent jusqu’à sa mort en 1961.
Pour conclure voici une phrase du texte de présentation de son autobiographie : persécuté pour son engagement comme éveilleur des âmes et sauvé par ses prouesses de médecin des corps. Il fut canonisé en 2000 comme saint de l’Église orthodoxe russe.

Son essai « L’Esprit, l’âme et le corps »

C’est dans les années 1920 que Mgr Luc commença la rédaction de son essai et ce n’est qu’à la fin de la Seconde guerre mondiale qu’il l’achèvera.
Par cette démarche, il tentait de répondre aux propagateurs de l’athéisme et du matérialisme, qui ne comprenaient pas comment le savant et grand chirurgien qu’il était, avait pu devenir un prédicateur de l’Évangile du Christ. 

Dans L’Esprit, l’âme et le corps, il expose sa propre vision anthropologique chrétienne, où il rejette toute contradiction irréductible entre science et religion.
Le chapitre 2 du livre, peut-être le plus dense et le plus inspirant, s’intitule Le cœur, organe de la connaissance supérieure

Le cœur, organe principal de nos sens

L’auteur explique que nous devons considérer le cœur comme l’organe principal de nos sens, et non pas uniquement comme le moteur central de la circulation sanguine. Que les fibres sensitives partent de tous les organes des sens, et, en fait, de tous les organes du corps, pour se diriger vers le cerveau. Qu’« elles véhiculent seulement des sensations […] Or, ne pas faire de distinction entre sentiments et sensations, c’est tomber dans l’erreur psychologique la plus totale. » (2)

Les pensées, au sortir du cerveau, sont comme un matériau brut, qui doit être soumis à une élaboration profonde et décisive dans le cœur, ce creuset des sentiments et de la volonté. « De quelle manière les pensées nées dans le cerveau passent-elles dans le cœur, nous l’ignorons. Mais la pensée en tant qu’acte purement psychologique n’a nul besoin de voies de transmission anatomiques. De même les sentiments nés dans le cœur en fonction de telles ou telles pensées et façonnés par lui dans une certaine mesure, n’ont aucun besoin non plus de ces voies pour être acheminés. »

L’attention à la vie

Luc cite de très nombreuses phrases des Saintes Écritures qui mettent en évidence le rôle essentiel du cœur. Il s’appuie également sur Pascal « Le cœur a ses raisons… », sur Bergson, qu’il appelle « le grand métaphysicien », et sur son compatriote le « génial physiologiste Ivan Pavlov » prix Nobel de physiologie et médecine, pour dire que le cerveau a un rôle effecteur et non de connaissance. Il prend à son compte cette affirmation de Bergson : « Le cerveau… assure à tout instant l’adaptation de l’esprit aux circonstances… Il n’est donc pas, à proprement parler, organe de pensée, ni de sentiment, ni de conscience ; mais il fait que conscience, sentiment et pensée restent tendus sur la vie réelle et par conséquent capables d’action efficace. Disons, si vous voulez, que le cerveau est l’organe de l’attention à la vie… » (3).

Le cœur deuxième cerveau

Il affirme, dans son écrit, ce que la science découvrira beaucoup plus tard, c’est-à-dire que le cœur est un deuxième cerveau. En effet, nous le savons aujourd’hui, il possède lui aussi des neurones. « Or le cœur ne reçoit pas seulement à partir du cerveau des pensées élaborées, des perceptions sensorielles : il est doté aussi lui-même de la capacité étonnante et essentielle de recevoir, à partir du monde spirituel, des sensations exogènes d’un ordre supérieur qui ne sont absolument pas adéquates aux organes des sens. […] Ces perceptions parvenues dans le cœur engendrent, à leur tour, des pensées, des raisonnements. Phénomène comparable à celui qui se produit dans le cerveau où les perceptions sensorielles servent de stimuli et de matériaux dans le processus cérébral réflexif. Par conséquent, le cœur est le second organe de la perception, de la connaissance et de la pensée. À partir de cette activité, la connaissance prend naissance dans le cœur et la sagesse y repose. » (4) Cette dernière phrase nous rappelle, combien de sagesses antiques, comme celle des Égyptiens ou du bouddhisme par exemple, valorisaient la sagesse du cœur par-delà la connaissance de tête.

Comme nous pouvons le voir, à travers ce chapitre, l’auteur s’inscrit dans une longue tradition de sagesse et s’efforce, par son approche érudite et éclectique, de réconcilier la philosophie, la science et les Écritures.

(1) Saint Luc de Crimée, L’Esprit, l’âme et le corps, Préfaces du R.P. Jean Breck et du docteur Jean Becchio, Traduction de Anne Davidenkoff. 2021, Éditions du Monastère Srétenski, Moscou, 2021,160 pages
(2) Ibidem, page 51
(3) Ibidem, page 56
(4) Ibidem, pages 52 et 53
Michel MARCHAL
Formateur en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole

La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page