Société

Nos héros du quotidien

La crise du coronavirus est en train de nous faire découvrir que d’une part, tout peut changer et s’arrêter soudainement, et le bruit trépidant de nos cités devenir un silence accablant ou inspirateur, c’est selon. Que le simple geste d’aller au supermarché acheter des denrées quotidiennes cache en arrière-plan une chaîne incroyable d’acteurs, depuis celui qui fabrique chaque élément d’un pack de lait jusqu’aux transporteurs et même aux caissières que nous regardons d’un air indifférent.


Et soudain, nous découvrons de plus près l’effort extraordinaire et quotidien des soignants qui deviennent nos héros, fantassins et soldats de cet étrange combat. Oui, nous nous sentons plus proches les uns des autres et ceux qui ne peuvent agir en première ligne, inspirés par l’exemple de ces vaillants acteurs, ressentent le besoin de sortir aux fenêtres et d’applaudir : un moyen d’exprimer de la gratitude et des sentiments positifs pour confirmer que nous nous sentons intimement reliés dans ce moment d’épreuve. Et quand on sait que cela ne concerne pas simplement un petit village perdu mais la planète entière, ce sentiment d’humanité une devient une réalité palpable et vibrante pour nous tous.

La question que nous devons nous poser aujourd’hui est donc de savoir si nous sommes aptes à gérer un monde volatile, incertain, complexe et ambigu que les états-majors de certaines armées ont appelé VICA (VUCA en anglais) (1). Il s’agit de quatre paramètres pour évaluer une situation ou un contexte.
VICA se manifeste dans les domaines complexes et chaotiques qui, pour être résolus, nécessitent une grande qualité : le courage qui est l’art d’agir avec la peur. En effet, la peur étant naturelle et inévitable, le courage est nécessaire pour agir malgré ou au-delà de la peur, ce même courage dont font preuve nos héros du quotidien. Plutôt que de nier ou combattre la peur, accueillons-la et transformons-la en force vitale.

Face au chaos, expliquent les spécialistes de VICA, il faut faire preuve d’héroïsme. Les héros dont nous parlons ne sont pas des êtres téméraires ou irréfléchis, car ils sont conscients des dangers et suivent les règles de précaution essentielles pour faire face, notamment à un ennemi invisible, qui met à l’épreuve notre équilibre psychique. Plus qu’une posture, il s’agit d’une manière d’être que nous devons retrouver en nous-mêmes. Comme disait Etty Hillesum, « Il nous faut distinguer le repli sur soi du repli en soi, le retour vers le soi, dans sa chambre haute. » (2)

Nous pouvons transformer le monde VICA complexe et chaotique que nous vivons dans un monde VICA qui nous aide à nous épanouir et à résoudre la crise individuelle et collective. Pour cela, il nous faut développer : la vision qui permet de voir les choses telles qu’elles sont et saisir le sens de leur dynamique ; l’intelligence, par la compréhension de soi et des autres qui facilite l’empathie ; la clarté pour percevoir clairement une situation en observant notre attention aux choses ; l’agilité prête à agir lorsque la réalité change et que des défis inattendus se présentent, en développant des retours pertinents.

Comme l’explique Renaud Girard, « Le confinement est une stratégie défensive du XXe siècle, comme le fut la ligne Maginot pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit maintenant de passer à une stratégie offensive au XXIe siècle, puisque les stratégies passives et attentistes ont peu de chance de succès, comme on l’a vu dans l’histoire. Cette offensive nécessitera du renseignement, des fantassins, des protections pour l’infanterie, des munitions, des opérations commando innovantes, de l’artillerie lourde (adaptés à cette guerre sanitaire) » (3).

La crise révèle que la science et la technique ne sont pas suffisantes. Il faut apprendre à assumer, à gérer et à agir dans cette situation. Et en plus des stratégies et des plans, ceci dépend fondamentalement du facteur humain. Nous avons besoin de promouvoir la conscience et la mise en marche d’une transformation individuelle et collective, comme le dit la philosophe Corinne Peluchon « à travers un savoir incarné et vécu qui transforme notre comportement » (4) et nous aide à sortir d’une civilisation de la démesure, l’hybris des Grecs. Elle nous a rendus, individuellement et collectivement irresponsables face à la planète, dans notre manière de consommer, dans la façon de prendre soin de nos aînés et de comprendre que la santé fait partie des éléments stratégiques d’une Nation.

Je suis d’accord avec Corinne Peluchon sur le fait que le travail du philosophe est d’ouvrir un horizon d’espérance, de donner des outils pour réparer le monde mais aussi de préparer l’avenir. L’espérance, dit Georges Bernanos (5), n’a rien à voir avec l’optimisme qui n’est souvent qu’un ersatz d’espérance, voire l’expression du déni. L’espérance, c’est du désespoir surmonté. Tel est notre défi héroïque au quotidien.

(1) Sommes-nous aptes à gérer un monde VICA ? publié par Military Power Revue des Schweizer Armée, N° 2/2014
(2 ) Auteur de Faire la paix avec soi-même, 365 méditations quotidiennes, Éditions Points, Collection Points Vivre 2014, 144 pages
(3) Auteur de l’article, La France ne doit pas mourir guérie !, paru dans le journal, Le Figaro, le 24 mars 2020
(4) Auteur de l’article, L’épidémie doit nous conduire à habiter autrement le monde, paru dans le journal, Le Monde, le 24 mars 2020
(5) Écrivain français (1888-1948)
Par Fernand SCHWARZ
Président de la Fédération Des Nouvelle Acropole

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